Souviens-toi, c’était la plus grande manifestation jamais organisée jusqu’alors en Israël : en 1982, au lendemain des massacres sanglants de Sabra et Chatila, vous étiez des centaines de milliers d’Israéliens à descendre dans les rues pour refuser qu’un tel crime puisse être commis en votre nom. Pour dire que vous n’étiez pas de cet Israël meurtrier, et que vous refusiez d’entacher votre histoire et votre mémoire du sceau de l’infamie. Vous êtes bien encore quelques-uns aujourd’hui à protester devant l’incroyable offensive israélienne menée sans merci à Gaza, et à essayer de raisonner un pays étourdi par l’ivresse de sa force décuplée par une armée suréquipée, par le silence des Etats-Unis, par l’atonie d’une Europe à la culpabilité refoulée et par la division des Etats Arabes.
Mais vous êtes peu, bien trop peu encore. Tu me diras qu’il n’est jamais simple de rompre le consensus avec sa propre communauté, qu’elle soit religieuse ou politique. Le « Peuple Elu » n’y échappe pas, lui qui multiple et en errance est devenu un et indivisible par la seule création de l’Etat d’Israël. Critiquer ses choix, contester sa politique, assumer une voix dissonante n’est pas chose aisée tant la priorité reste la sauvegarde et le salut des Siens.
Mais je te répondrais à quel prix et jusqu’où ? Et pour quelle sécurité ? Parce qu’Israël dépasse tous ses droits, il se condamne à ne plus compter pour sa paix et sa sérénité que sur ses ressources armées et policières. La sécurité du respect et de l’estime mutuels - la vraie et seule reconnaissance digne de ce nom-, quant à elle, a disparu sous l’effet des dommages collatéraux de toutes ces guerres.
Car il y a pire que commettre une erreur en pensant avoir raison : c’est persister parce que l’on ne supporte pas d’avoir eu tort. Au risque de l’immoralité, on préfère la gloire de l’honneur sauf, bien que… sali. C’est ce qui arrive à Israël aujourd’hui. Comme si l’enjeu était maintenant moins sa sécurité que d’aller jusqu’au bout de sa logique, pour ne pas céder. Mais ce faisant, ou ce « malfaisant », ce qu’Israël ne voit pas, ce n’est pas seulement le drame des Palestiniens de Gaza. Ce n’est pas seulement son propre renoncement à une éthique, même minimale. Ce qu’Israël ne voit pas, c’est surtout le fait qu’il lui sera désormais difficile de défendre ses positions après avoir cédé aux sirènes tentantes du radicalisme. Ce sont aussi les conséquences de son action qui épuisent l’espoir des deux côtés. Israël veut désespérément gagner une guerre, qui lui apportera la sécurité… peut-être, la paix… jamais. Ou en tous les cas pas avant longtemps. Pas avant que ne soient épuisés tous ceux qui porteront dans leur chair, et pour de longues années à venir, la mémoire infernale de l’offense. Car tant que brûlera le feu sans cesse nourri du ressentiment, le pardon sera difficile à demander. Et sans doute impossible à obtenir.
La vérité dans toute sa nudité, c’est que l’état d’Israël est en train de mettre fin inexorablement à sa part d’utopie juive. La vérité crue, c’est qu’Israël est tout aussi incapable, de contenir les discours et les actes effroyables de ses extrémistes religieux et politiques. Un pays dont la survie est dans le glaive abandonne la part merveilleuse de son esprit, et qui survit avec une âme qui se meurt.
A moins que toi, mon ami, que je sais avoir comme beaucoup d’autres assez de lucidité pour demander que la démocratie israélienne en soit réellement une, et ne la rappelle à ses devoirs quand elle n’est plus obnubilée que par ses droits. Si l’homme est assez perfide pour tout se pardonner, je veux croire qu’il est aussi assez noble pour essayer de n’avoir rien à se reprocher. Certes la révolte n’est pas simple, parce qu’une révolte exige beaucoup de ceux qui l’amènent puis… la mènent : une conviction ferme, une confiance absolue et un humanisme intransigeant. Ce n’est rien moins que nécessaire pour défier les positions dominantes, et pour préférer au confort des vérités officielles le danger de la liberté salvatrice de la pensée. Un rabbin à qui on demandait « de quoi meurent les hommes » eut cette réponse : « ils meurent de leurs certitudes ». Alors c’est un sursaut de vie que je te demande, un sursaut urgent et nécessaire parce que le devenir de deux peuples en dépend. Car les peuples juif et palestinien sont tous les deux des survivants : et quand on a partagé le pire, on doit vouloir et pouvoir partager le meilleur. Et rien que le meilleur…
Mais vous êtes peu, bien trop peu encore. Tu me diras qu’il n’est jamais simple de rompre le consensus avec sa propre communauté, qu’elle soit religieuse ou politique. Le « Peuple Elu » n’y échappe pas, lui qui multiple et en errance est devenu un et indivisible par la seule création de l’Etat d’Israël. Critiquer ses choix, contester sa politique, assumer une voix dissonante n’est pas chose aisée tant la priorité reste la sauvegarde et le salut des Siens.
Mais je te répondrais à quel prix et jusqu’où ? Et pour quelle sécurité ? Parce qu’Israël dépasse tous ses droits, il se condamne à ne plus compter pour sa paix et sa sérénité que sur ses ressources armées et policières. La sécurité du respect et de l’estime mutuels - la vraie et seule reconnaissance digne de ce nom-, quant à elle, a disparu sous l’effet des dommages collatéraux de toutes ces guerres.
Car il y a pire que commettre une erreur en pensant avoir raison : c’est persister parce que l’on ne supporte pas d’avoir eu tort. Au risque de l’immoralité, on préfère la gloire de l’honneur sauf, bien que… sali. C’est ce qui arrive à Israël aujourd’hui. Comme si l’enjeu était maintenant moins sa sécurité que d’aller jusqu’au bout de sa logique, pour ne pas céder. Mais ce faisant, ou ce « malfaisant », ce qu’Israël ne voit pas, ce n’est pas seulement le drame des Palestiniens de Gaza. Ce n’est pas seulement son propre renoncement à une éthique, même minimale. Ce qu’Israël ne voit pas, c’est surtout le fait qu’il lui sera désormais difficile de défendre ses positions après avoir cédé aux sirènes tentantes du radicalisme. Ce sont aussi les conséquences de son action qui épuisent l’espoir des deux côtés. Israël veut désespérément gagner une guerre, qui lui apportera la sécurité… peut-être, la paix… jamais. Ou en tous les cas pas avant longtemps. Pas avant que ne soient épuisés tous ceux qui porteront dans leur chair, et pour de longues années à venir, la mémoire infernale de l’offense. Car tant que brûlera le feu sans cesse nourri du ressentiment, le pardon sera difficile à demander. Et sans doute impossible à obtenir.
La vérité dans toute sa nudité, c’est que l’état d’Israël est en train de mettre fin inexorablement à sa part d’utopie juive. La vérité crue, c’est qu’Israël est tout aussi incapable, de contenir les discours et les actes effroyables de ses extrémistes religieux et politiques. Un pays dont la survie est dans le glaive abandonne la part merveilleuse de son esprit, et qui survit avec une âme qui se meurt.
A moins que toi, mon ami, que je sais avoir comme beaucoup d’autres assez de lucidité pour demander que la démocratie israélienne en soit réellement une, et ne la rappelle à ses devoirs quand elle n’est plus obnubilée que par ses droits. Si l’homme est assez perfide pour tout se pardonner, je veux croire qu’il est aussi assez noble pour essayer de n’avoir rien à se reprocher. Certes la révolte n’est pas simple, parce qu’une révolte exige beaucoup de ceux qui l’amènent puis… la mènent : une conviction ferme, une confiance absolue et un humanisme intransigeant. Ce n’est rien moins que nécessaire pour défier les positions dominantes, et pour préférer au confort des vérités officielles le danger de la liberté salvatrice de la pensée. Un rabbin à qui on demandait « de quoi meurent les hommes » eut cette réponse : « ils meurent de leurs certitudes ». Alors c’est un sursaut de vie que je te demande, un sursaut urgent et nécessaire parce que le devenir de deux peuples en dépend. Car les peuples juif et palestinien sont tous les deux des survivants : et quand on a partagé le pire, on doit vouloir et pouvoir partager le meilleur. Et rien que le meilleur…