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Politique

Avec le boycott des iftars du Ramadan, Bruno Retailleau affiche une hostilité qui exaspère les musulmans de France

Rédigé par | Lundi 24 Mars 2025 à 11:30

           

Bruno Retailleau n'a pas manqué de culot en invoquant la laïcité pour boycotter l'iftar des ambassadeurs de la Grande Mosquée de Paris. Un prétexte du ministre de l'Intérieur qui fâche et qui traduit une attitude plus ouvertement hostile à l'égard de la composante française musulmane.



Avec le boycott des iftars du Ramadan, Bruno Retailleau affiche une hostilité qui exaspère les musulmans de France
La réponse de Bruno Retailleau pour justifier son absence du traditionnel iftar de la Grande Mosquée de Paris n'a pas été du goût de cette dernière. Le ministre de l'Intérieur a invoqué la laïcité pour refuser de se rendre à aucun repas de rupture de jeûne du Ramadan alors même qu'il ne s'agit aucunement d'un office religieux. À l’inverse, rappelle le HuffPost, de la messe donnée par le pape François à Ajaccio en décembre 2024, et à laquelle avait participé… le très catholique Bruno Retailleau.

Une telle justification ne convainc donc personne, et sûrement pas le recteur Chems-Eddine Hafiz, qui a vu défiler depuis tant d'années nombre de responsables politiques aux iftars de la GMP avant même qu'il ne prenne les rênes de l'institution. « Le président Emmanuel Macron a assisté à des iftars, comme les précédents présidents. Et il en va de même pour de nombreux ministres et élus de la République, chaque année, qui participent à ces moments de partage, en un geste de respect et d’estime pour nos concitoyens musulmans », a-t-il rappelé au journal TSA Algérie.

A l'iftar du 18 mars, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, était d'ailleurs présent. « En France, le ministre de l’Intérieur est chargé du dialogue entre l’État et les cultes. Pour les responsables du culte musulman, il est le premier interlocuteur. Nous nous devons d’entretenir des relations avec lui », a assuré le recteur. Ses prédécesseurs l'ont fait, le dernier d'entre eux étant Gérald Darmanin, ici en 2024.

Des tensions avec l'Algérie qui n'expliquent pas tout

Ce boycott intervient sur fond de crise diplomatique avec l'Algérie, pays avec lequel la GMP entretient des relations privilégiées qu'elle se voit aujourd'hui reprocher. Bruno Retailleau a récemment promis une « riposte graduée » contre le régime algérien après que celle-ci a refusé de prendre en charge ses ressortissants expulsables de France.

Avec le maintien en détention de l'écrivain Boualem Sansal, les tensions vont de mal en pis. Aucun imam n'est d'ailleurs arrivé d'Algérie pour le mois du Ramadan 2025 alors que leur venue n'était normalement pas remise en cause. « J’en ignore les raisons précises, a fait savoir Chems-Eddine Hafiz. J’espère simplement que les fidèles pourront profiter de leur qualité et de leur dévouement l’année prochaine. »

« La crise diplomatique ne doit pas être un prétexte pour s’en prendre tous azimuts aux binationaux algériens ou aux Français d’origine algérienne », a plaidé le responsable musulman. « Ceux qui alimentent aujourd’hui les suspicions sur les binationaux, les jugeant à moitié français, trahissent le vrai récit de la France. Et dans un monde comme le nôtre, la double appartenance n’est pas une soustraction mais une richesse multipliée pour la société. » Dans ce contexte de tensions, la GMP entend continuer à se distinguer, assure-t-elle, dans « la recherche de rapports vertueux entre l’Algérie et la France ».

Une hostilité toujours plus prononcée à l'encontre des musulmans

Pour le locataire de la place Beauvau, le fait de ne pas se rendre à l'iftar de la GMP n'a « rien à voir avec l'Algérie » ; il a en effet décliné une vingtaine d'invitations à des repas similaires pendant le Ramadan au nom d'une « doctrine personnelle ». Au Parisien, son entourage indique que « le ministre ne se rend dans des cérémonies religieuses que quand elles sont officielles ou quand il y a une raison autre que la religion », en citant comme exemple « l’inauguration de Notre-Dame ou une cérémonie de commémoration de la Shoah dans une synagogue ». Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui soulignent un raisonnement bancal qui cache mal son rapport problématique avec les musulmans : sa « doctrine personnelle » est avant tout politique, alors que le ministre de l'Intérieur, dans sa course à la présidence du parti Les Républicains (LR) face à Laurent Wauquiez, chasse dans les terres du Rassemblement national (RN) pour espérer remporter la mise.

Laurent Wauquiez n'est pourtant pas en reste, lui qui assume n'avoir que des divergences économiques avec le RN. Mais Bruno Retailleau, qui incarne une droite conservatrice, a pris du volume depuis son entrée au gouvernement et parvient, avec son discours offensif contre l'immigration, à gagner en popularité chez les partisans de la droite dure.

Et dans sa course à l'échalote avec l'extrême droite, son attitude se durcit à l'égard de la composante musulmane. Il s'est dernièrement félicité de la fin du contrat d'association liant le groupe scolaire Al-Kindi avec l'Etat après une décision judiciaire en sa faveur. Il fait aussi partie des membres du gouvernement militant pour l'extension de l'interdiction du port du voile dans l'espace public comme dans les compétitions sportives, au grand dam des citoyens musulmans qui déplorent des confusions et des amalgames décuplés sous l'ère Macron à leur encontre.

L'exaspération et la lassitude ont tout aussi gagné les rangs des responsables musulmans qui, sans être dupes, imaginaient mieux des suites à donner de la dernière réunion du Forum de l'islam de France (Forif) en février. Bruno Retailleau ne suscitait déjà que peu leur confiance ; elle est aujourd'hui plus abîmée que jamais. Mais par les temps qui courent, les musulmans de France ne sont malheureusement pas prêts de voir leurs inquiétudes diminuer.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur

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