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Politique

Ce que dit le décret de dissolution du CCIF, ce que l'association contre l'islamophobie répond

Rédigé par Lina Farelli | Jeudi 3 Décembre 2020 à 20:00

           

La dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a été officiellement acté mercredi 2 décembre par le gouvernement, qui a jugé l'auto-dissolution de l'association comme une action « de pure façade ».



Ce que dit le décret de dissolution du CCIF, ce que l'association contre l'islamophobie répond
Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a opté pour l’auto-dissolution le 27 novembre, devançant ainsi le ministère de l’Intérieur dans son action contre l’association. Celle-ci a néanmoins été dissoute en Conseil des ministres, mercredi 2 décembre, en tant que « groupement de fait ».

« Conformément aux instructions du Président de la République, le CCIF a été dissous en Conseil des ministres. Depuis plusieurs années, le CCIF conduit avec constance une action de propagande islamiste, comme le détaille le décret que j’ai présenté en conseil des ministres », a fait savoir Gérald Darmanin, en rendant public le décret sur quatre pages justifiant sa dissolution, une semaine avant la présentation du projet de loi contre le séparatisme.

Sa définition de l'islamophobie remise en cause

« Considérant, en premier lieu, qu'en qualifiant d'islamophobes des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou combattre des actes punis par la loi, le Collectif contre l'islamophobie en France doit être regardé comme partageant, cautionnant et contribuant à propager de telles idées, au risque de susciter, en retour, des actes de haine, de violence ou de discrimination ou de créer le terreau d'actions violentes chez certains de ses sympathisants », estime le gouvernement, qui dénonce ainsi une instrumentalisation de l’islamophobie.

Par ailleurs, « sous couvert de dénoncer des actes d'islamophobie, le CCCIF distillait, par la publication de ses propres statistiques ou ses dénonciations, un message consistant à faire passer pour islamophobe tout acte ou évènement mettant en cause des personnes de confession musulmane, n'hésitant pas, dans certains cas, à travestir la vérité pour accréditer ainsi dans l'opinion publique un soupçon permanent de persécution religieuse de nature à attiser la haine, la violence ou la discrimination », avance-t-on encore dans le décret de dissolution.

Pour exemple, il est déclare que l'association aurait dénoncé, sous couvert d’islamophobie, « des expulsions d’imams appelant au jihad » ou encore « la fermeture d’une mosquée utilisée comme centre de recrutement jihadiste ». Le CCIF est aussi accusé d'avoir « présenté, à plusieurs reprises et en travestissant les faits, des actes de violence entre particuliers comme des actions de représailles contre les musulmans, à la suite de l'attentat contre le journal Charlie Hebdo ».

Le CCIF est aussi, plus loin, accusé de défendre « une notion d'"islamophobie" particulièrement large, n'hésitant pas à comptabiliser au titre d’"actes islamophobes" des mesures de police administrative, voire des décisions judiciaires, prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme » et que i[« ce faisant, le CCIF doit être considéré comme participant à la légitimation de tels actes ».]I

Ce que dit le décret de dissolution du CCIF, ce que l'association contre l'islamophobie répond
Aux yeux du gouvernement, le CCIF « doit être regardé comme provoquant à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l'origine, de l'appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme propageant des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence », et même une organisation « se livrant, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ».

« Les interventions de ses responsables ont systématiquement conduit à relativiser ou refuser de condamner des actes de terrorisme ou l'appel à la violence armée, participant également à leur légitimation », reproche-t-on, citant les attentats perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse, par Mehdi Nemmouche au musée juif de Bruxelles ou encore la décapitation de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine.

Autre reproche mise en avant, de nombreux dirigeants de l'association, « anciens comme actuels, sont des tenants d'une approche radicale de la religion musulmane pouvant être qualifiée d'islamiste ; que le collectif entretient de nombreuses relations avec des penseurs ou prédicateurs affiliés à l'islam radical ». Plus encore, des membres du collectif sont accusés d’entretenir des relations avec des personnes parties combattre aux côtés d'Al-Qaïda en Syrie ainsi que d'avoir apporté son soutien à Barakacity dont la dissolution par le gouvernement a été récemment confirmée par le Conseil d'Etat. Il lui est ainsi reproché d’avoir manifesté sa solidarité à l’égard de son président, Idriss Sihamedi, lui-même accusé d'avoir « soutenu le terrorisme ».

A l’instar de Barakacity, le CCIF est aussi accusé de se montrer trop laxiste dans la modération des commentaires générés par ses publications et i[« qui constituaient par eux-mêmes une provocation à la haine, à la discrimination et à la violence. »], et ce « sans que le président du collectif ni aucun autre responsable ne procède à leur retrait ou même à une quelconque modération des propos ainsi diffusés, alors même que le collectif disposait de nombreux salariés et a toujours démontré une réelle volonté de maîtrise de son image et de sa communication ».

Le gouvernement s'est enfin exprimé sur l’auto-dissolution du CCIF. « Ce n'est que tardivement et au cours de la procédure de dissolution engagée à son encontre que le collectif a acté lui-même sa dissolution », lit-on dans le décret. « Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la dissolution volontaire, intervenue pour faire échec au projet de dissolution envisagé par le gouvernement, n'est que de pure façade. »

Des réponses apportées par le CCIF

Le CCIF, qui a fait le choix de disparaître totalement du Web et des réseaux sociaux, n'a pas répondu publiquement, et point par point, aux reproches qui lui sont faites par le présent décret. Néanmoins, plusieurs des accusations formulées ont fait l'objet de réponses par l'association peu après l'annonce du projet de dissolution par le gouvernement en octobre.

Elle avait notamment réfuté toute complaisance aux actes de terrorisme, rappelant ses diverses prises de position claires dessus. « Il est totalement surréaliste de devoir le rappeler. (…) Le CCIF condamne, sans la moindre équivoque ni la moindre ambigüité, tout acte de violence, quel qu’il soit et où qu’il soit, que ses auteurs se revendiquent ou non d’une idéologie ou d’une compréhension totalement dévoyée de l’islam », a-t-elle déclaré, précisant que sa condamnation du terrorisme « ne saurait répondre à une injonction politique le plus souvent douteuse ».

Le CCIF a également déclaré qu’il n'est pas opposé « aux mesures administratives qui relèvent de la sûreté, de la sécurité intérieure et de la lutte contre le terrorisme, lorsque celles-ci sont menées dans le cadre du droit et sans ciblage spécifique des communautés musulmanes ». « Là où nous différons, c’est quand les perquisitions ou les mesures administratives visent des structures ou des personnes musulmanes sans base claire et objective indiquant ou laissant supposer une activité criminelle réelle, ainsi que nombre de dossiers où ces mesures ont mené à un usage abusif et disproportionné des moyens policiers. De ce point de vue, nous sommes strictement dans notre rôle de défense des libertés fondamentales », a affirmé l’association.

Réfutant l'accusation selon laquelle elle gonfle ses chiffres, le CCIF a rappelé sa définition de l’islamophobie qu’elle désigne comme « des actes et des discours qui visent des individus, des personnes morales ou des institutions en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane ». « Les actes recueillis et compilés par le CCIF sont ainsi des incidents qui tombent déjà sous le coup de la loi, la France étant dotée d’une législation interdisant et punissant sévèrement les discriminations et les violences racistes, y compris sur une base religieuse », avait-elle écrit.

« Il est nécessaire et utile de porter un regard critique sur le travail des organisations non-gouvernementales comme le CCIF. Encore faut-il que ce type d’évaluation soit mené avec un minimum de rigueur et de sérieux, et pas uniquement comme une tentative désespérée de discréditer la lutte contre l’islamophobie, dans un contexte politique où cette idéologie est devenue monnayable », avait-elle encore déclaré.

Une dissolution politique dénoncée

Au lendemain de la dissolution officielle du CCIF, les réactions politiques en défense au CCIF, à l'exception du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), se font maigres. « Si la longueur du décret de dissolution peut faire illusion, sa lecture atteste que les griefs des pouvoirs publics sont avant tout d’ordre politique quand ils ne se bornent pas à faire état de déclarations de tiers », a dénoncé, pour sa part, la Ligue des droits de l’homme (LDH) dans un communiqué en date du mercredi 3 décembre où elle fait valoir ses inquiétudes.

« En assumant de dissoudre une association parce qu’elle a qualifié d’islamophobes "des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou de combattre des actes punis par la loi", le gouvernement s’engage sur la voie du délit d’opinion », a-t-elle indiqué. « En y ajoutant que les opinions du CCIF constituent des "agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme" et "qu’il défend et promeut une notion d’islamophobie particulièrement large", le gouvernement nous montre que plus personne n’est à l’abri de telles ou telles poursuites », a ajouté la LDH, pour qui « cette atteinte à l’Etat de droit (…) ne peut conduire qu’à accroître les tensions et à conforter l’idée que ce sont bien toutes les personnes musulmanes qui sont ici mises en cause ».

Mise à jour vendredi 4 décembre : Le CCIF a annoncé qu'elle va contester sa dissolution devant le Conseil d'État et qu'il dépose plainte devant la Cour de justice de la République contre Gérald Darmanin pour avoir déclaré que l'association était « manifestement impliquée » dans le meurtre de Samuel Paty.

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