Qu'en Allemagne ou en Angleterre, on annonce l'échec du multiculturalisme, c'est une chose. Mais que le président de la République, Nicolas Sarkozy, déclare : "Je ne veux pas d'une société dans laquelle les communautés coexistent les unes à côté des autres. Si on vient en France, on accepte de se fondre dans une seule communauté, la communauté nationale. Si on n'accepte pas cela, on ne vient pas en France", pour ensuite demander un débat sur "les limites que nous mettons à l'islam", est une véritable énigme... Car la diversité religieuse n'a rien à voir avec le communautarisme, sauf à considérer que l'islam déterminerait une fois pour toutes les individus, de manière uniforme.
C'est exactement le contraire : comme les autres, les musulmans comprennent le cas échéant leur religion à partir de leur réalité sociale et de leur culture... Et le gouvernement ne semble toujours pas avoir pris conscience qu'une bonne partie des musulmans nés ici sont de culture française, même s'ils sont de confession musulmane !
Au lieu d'entériner les termes d'un débat posé par Marine Le Pen dans l'objectif de creuser un peu plus la présomption d'altérité autour de l'islam, il aurait été intéressant que le chef de l'Etat rappelle à tous les élus leur responsabilité dans l'application de la loi de 1905. Car justement, si la loi de 1905 était connue et appliquée sur les différents terrains, "aucune communauté ne coexisterait à côté de l'autre" sur le territoire français...
La diversité religieuse, lorsqu'elle est bien gérée, ne mène ni à l'assimilation ni au multiculturalisme ! La laïcité est un système juridique instauré pour que les Français puissent ensemble avoir un destin commun, avec leurs identités multiples, variées, qui peuvent d'ailleurs évoluer. La laïcité est instituée pour qu'il n'y ait plus jamais de morale unique, religieuse ou pas. C'est pour cette raison que la loi de 1905 énonce que la République "assure" la liberté de conscience et garantit "le libre exercice des cultes", sauf entrave à l'ordre public.
Assurer la liberté de conscience, c'est permettre aux citoyens de croire, de ne pas croire, de croire en ce qu'ils veulent, sachant que la liberté de l'un s'arrête où commence celle de l'autre. Plus facile à dire qu'à faire... De nombreux élus, décideurs, manageurs, laissent leur subjectivité personnelle ou le rapport de forces faire la loi : il arrive qu'une majorité de personnes athées harcèle un collègue qui fait son ramadan, pendant qu'à l'étage au dessous une majorité de musulmans pratiquants interdit à une collègue de porter une jupe ou de boire un café.
Alors justement, pour former les responsables d'institution, au lieu d'ouvrir un nouveau procès de l'islam, commençons par cesser le "double discours" sur la laïcité. Obliger les imams à prêcher en français en laissant se dérouler des messes en latin, prêter des salles municipales aux protestants et les refuser aux musulmans, refuser les permis de construire aux mosquées, accepter la viande casher et appréhender la viande halal comme une islamisation de la France, octroyer au dernier moment son jour de l'Aïd au salarié musulman ou Hanoukka au salarié juif, alors que le calendrier français est purement chrétien : la fête de la Nativité, la semaine sainte, la consécration de la Résurrection du Christ, celle de l'élévation de Jésus au ciel, la commémoration de la descente du Saint-Esprit sur les apôtres, sans compter les lundis de Pâques et de Pentecôte, qui sont eux jours fériés.
"Ce n'est pas la même chose, c'est un fruit de l'histoire française !", répond-on aux musulmans pour justifier les discriminations. Mais cette riche histoire française continue, et il y a un choix à faire : soit la France choisit de rester "à tendance chrétienne" en "tolérant les autres religions" selon son bon vouloir, comme d'autres pays européens, soit elle assume la laïcité qu'elle s'est votée au XXe siècle, en appliquant à tous les lois de la même façon, et par ce biais, accepte que les musulmans entrent dans "son histoire". Mais les musulmans ne veulent pas qu'on change cette loi de 1905, ils veulent seulement qu'on l'applique !
Aujourd'hui, la plupart des citoyens français n'ont pas conscience du poids de l'histoire sur la construction des normes. Ils ont le sentiment que la culture occidentale a cessé d'être façonnée par le religieux, et que seule celle de l'Autre continue à être imperméable à la sécularisation. Du coup, Noël et Pâques font partie de la culture commune de tous les Français, croyants ou pas, alors que les fêtes relatives à l'islam sont vécues comme du particularisme ou de la "rébellion communautaire". Appréhender toute initiative individuelle ou collective comme du communautarisme repose sur le fait que l'islam est vécu comme une référence étrangère. C'est justement cela dont souffrent les musulmans nés en France, qui se considèrent ici chez eux, qui ont grandi dans la culture française et qui souhaiteraient voir la référence musulmane intégrée au sein du patrimoine français.
Il va falloir qu'on se le dise : la plupart des normes actuelles sont issues de l'histoire chrétienne, et cela a un impact parfois discriminatoire sur les nouveaux venus. Mais attention, il va s'agir d'atténuer ces effets éventuellement discriminatoires pour certains individus, sans pour autant accepter de droit parallèle communautariste. Une sorte de "pluralisme juridique" qui reconnaîtrait des normes religieuses juives ou musulmanes irait à l'encontre du principal objectif poursuivi par la Constitution française et la loi de 1905 sur la laïcité : dépasser les différences des citoyens pour construire ensemble une nation.
Cela reviendrait à faire reconnaître des ordres normatifs parallèles à celui de l'Etat, et placerait des principes de droit religieux au-dessus du droit positif. Reconnaître des normes de droit religieux de manière collective irait en outre à l'encontre de la liberté individuelle de certain(e)s musulman(e)s - et de certain(e)s juif(ve)s -, qui se retrouveraient liés à une interprétation religieuse contraire à leur propre conviction, ce qui nierait leur droit personnel à la liberté religieuse...
Contrairement à certaines approches multiculturalistes, la loi de 1905 demande de chercher le "plus petit dénominateur commun", afin de continuer à manger ensemble, à nager ensemble, à vivre ensemble, sans pour autant qu'une norme s'impose à tous de façon uniforme. En clair, la France doit maintenant chercher à faire de l'unité avec de la diversité, tout en remettant en question l'uniformité.
Source : www.lemonde.fr | Vendredi 1er avril 2011
Par Dounia Bouzar, anthropologue à Cultes & Cultures Consulting
Ouvrage : Laïcité mode d'emploi (Eyrolles, 2010).
C'est exactement le contraire : comme les autres, les musulmans comprennent le cas échéant leur religion à partir de leur réalité sociale et de leur culture... Et le gouvernement ne semble toujours pas avoir pris conscience qu'une bonne partie des musulmans nés ici sont de culture française, même s'ils sont de confession musulmane !
Au lieu d'entériner les termes d'un débat posé par Marine Le Pen dans l'objectif de creuser un peu plus la présomption d'altérité autour de l'islam, il aurait été intéressant que le chef de l'Etat rappelle à tous les élus leur responsabilité dans l'application de la loi de 1905. Car justement, si la loi de 1905 était connue et appliquée sur les différents terrains, "aucune communauté ne coexisterait à côté de l'autre" sur le territoire français...
La diversité religieuse, lorsqu'elle est bien gérée, ne mène ni à l'assimilation ni au multiculturalisme ! La laïcité est un système juridique instauré pour que les Français puissent ensemble avoir un destin commun, avec leurs identités multiples, variées, qui peuvent d'ailleurs évoluer. La laïcité est instituée pour qu'il n'y ait plus jamais de morale unique, religieuse ou pas. C'est pour cette raison que la loi de 1905 énonce que la République "assure" la liberté de conscience et garantit "le libre exercice des cultes", sauf entrave à l'ordre public.
Assurer la liberté de conscience, c'est permettre aux citoyens de croire, de ne pas croire, de croire en ce qu'ils veulent, sachant que la liberté de l'un s'arrête où commence celle de l'autre. Plus facile à dire qu'à faire... De nombreux élus, décideurs, manageurs, laissent leur subjectivité personnelle ou le rapport de forces faire la loi : il arrive qu'une majorité de personnes athées harcèle un collègue qui fait son ramadan, pendant qu'à l'étage au dessous une majorité de musulmans pratiquants interdit à une collègue de porter une jupe ou de boire un café.
Alors justement, pour former les responsables d'institution, au lieu d'ouvrir un nouveau procès de l'islam, commençons par cesser le "double discours" sur la laïcité. Obliger les imams à prêcher en français en laissant se dérouler des messes en latin, prêter des salles municipales aux protestants et les refuser aux musulmans, refuser les permis de construire aux mosquées, accepter la viande casher et appréhender la viande halal comme une islamisation de la France, octroyer au dernier moment son jour de l'Aïd au salarié musulman ou Hanoukka au salarié juif, alors que le calendrier français est purement chrétien : la fête de la Nativité, la semaine sainte, la consécration de la Résurrection du Christ, celle de l'élévation de Jésus au ciel, la commémoration de la descente du Saint-Esprit sur les apôtres, sans compter les lundis de Pâques et de Pentecôte, qui sont eux jours fériés.
"Ce n'est pas la même chose, c'est un fruit de l'histoire française !", répond-on aux musulmans pour justifier les discriminations. Mais cette riche histoire française continue, et il y a un choix à faire : soit la France choisit de rester "à tendance chrétienne" en "tolérant les autres religions" selon son bon vouloir, comme d'autres pays européens, soit elle assume la laïcité qu'elle s'est votée au XXe siècle, en appliquant à tous les lois de la même façon, et par ce biais, accepte que les musulmans entrent dans "son histoire". Mais les musulmans ne veulent pas qu'on change cette loi de 1905, ils veulent seulement qu'on l'applique !
Aujourd'hui, la plupart des citoyens français n'ont pas conscience du poids de l'histoire sur la construction des normes. Ils ont le sentiment que la culture occidentale a cessé d'être façonnée par le religieux, et que seule celle de l'Autre continue à être imperméable à la sécularisation. Du coup, Noël et Pâques font partie de la culture commune de tous les Français, croyants ou pas, alors que les fêtes relatives à l'islam sont vécues comme du particularisme ou de la "rébellion communautaire". Appréhender toute initiative individuelle ou collective comme du communautarisme repose sur le fait que l'islam est vécu comme une référence étrangère. C'est justement cela dont souffrent les musulmans nés en France, qui se considèrent ici chez eux, qui ont grandi dans la culture française et qui souhaiteraient voir la référence musulmane intégrée au sein du patrimoine français.
Il va falloir qu'on se le dise : la plupart des normes actuelles sont issues de l'histoire chrétienne, et cela a un impact parfois discriminatoire sur les nouveaux venus. Mais attention, il va s'agir d'atténuer ces effets éventuellement discriminatoires pour certains individus, sans pour autant accepter de droit parallèle communautariste. Une sorte de "pluralisme juridique" qui reconnaîtrait des normes religieuses juives ou musulmanes irait à l'encontre du principal objectif poursuivi par la Constitution française et la loi de 1905 sur la laïcité : dépasser les différences des citoyens pour construire ensemble une nation.
Cela reviendrait à faire reconnaître des ordres normatifs parallèles à celui de l'Etat, et placerait des principes de droit religieux au-dessus du droit positif. Reconnaître des normes de droit religieux de manière collective irait en outre à l'encontre de la liberté individuelle de certain(e)s musulman(e)s - et de certain(e)s juif(ve)s -, qui se retrouveraient liés à une interprétation religieuse contraire à leur propre conviction, ce qui nierait leur droit personnel à la liberté religieuse...
Contrairement à certaines approches multiculturalistes, la loi de 1905 demande de chercher le "plus petit dénominateur commun", afin de continuer à manger ensemble, à nager ensemble, à vivre ensemble, sans pour autant qu'une norme s'impose à tous de façon uniforme. En clair, la France doit maintenant chercher à faire de l'unité avec de la diversité, tout en remettant en question l'uniformité.
Source : www.lemonde.fr | Vendredi 1er avril 2011
Par Dounia Bouzar, anthropologue à Cultes & Cultures Consulting
Ouvrage : Laïcité mode d'emploi (Eyrolles, 2010).