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Derrière le foulard, une Femme

Rédigé par Lazrak Jihen | Mardi 24 Décembre 2002 à 00:00

           

Une histoire de foulard au travail, extrêmement médiatisé, à en oublier que derrière cette affaire judiciaire, c’était une femme, Dalila Tahri, qui était impliquée. Une femme, un être humain qui ne vit pas un tel périple judiciaire sans être marqué moralement et psychologiquement. Dalila Tahri, deux jours après sa réintégration a accepté de revenir sur ces quelques mois, qui ont bouleversé sa vie.



Une histoire de foulard au travail, extrêmement médiatisé, à en oublier que derrière cette affaire judiciaire, c’était une femme, Dalila Tahri, qui était impliquée. Une  femme, un être humain qui ne vit pas un tel périple judiciaire sans être marqué moralement et psychologiquement. Dalila Tahri, deux jours après sa réintégration a accepté de revenir sur ces quelques mois, qui ont bouleversé sa vie.

 

Un an et demi de travail sans embûche

Dalila Tahri est une jeune femme de 30 ans originaire de Dreux. Elle y vit toujours malgré son travail à Paris. Depuis le 16 juin 2001, Dalila Tahri travaillait à « Téléperformance ». Dès le début, elle a voulu être honnête : « Je n’avais aucune appréhension lors de l’entretien d’embauche étant donné que j’avais d’abord  téléphoné en leur demandant s’il y avait un problème par rapport au foulard et on m’avait  répondu que non, j’étais  tranquille, sereine. Je n’ai pas voulu leur mentir, je voulais que, dès le départ les choses soient claires, j’habite à Dreux, je fais 80 km, c’était pas pour m’entendre  dire merci rentrez chez vous. » Son entrée dans l’entreprise s’est à priori bien passée, elle avoue que durant cette année et demi, il régnait une certaine convivialité, tant au niveau des employés que des cadres. Aucune remarque désobligeante à l’égard de son foulard n’a été prononcé. Hormis, des collègues taquins, durant la période estivale, qui se demandaient si elle n’avait pas chaud avec son foulard étant donné qu’il n’y avait pas la climatisation dans les bureaux. Des relations qui se passaient donc au mieux. Pour illustrer cette entente qui s’exprimait dans l’entreprise, Dalila Tahri évoque une soirée de réception entre « téléperformance » et ses clients. « On a eu une opération : « le grand prix », qui a débuté au mois de mars 2002 et s’est terminé au mois de mai 2002…Et à la suite de cette opération, il y a eu une remise des grands prix, et là c’est toute la grande publicité de « Téléperformance »  qui se fait par rapport aux médias ; tous les télé-enquêteurs étaient invités ainsi que moi-même. Après la cérémonie, il y avait un dîner, et on avait le choix de dîner avec les clients ou entre nous, et on m’a proposé d’aller dîner avec les clients, c’est vraiment pour dire qu’il y avait aucun problème avec mon foulard… j’étais au milieu des clients, j’étais voisine du directeur administratif et financier durant la soirée, franchement jamais j’aurai pensé que le 25 juin, ils me disent de rentrer chez moi. »

 

« Mademoiselle, il y a un problème avec votre foulard… »

Puis, arrive la date fatidique du 25 juin 2002, Dalila se rend comme tous les matins à son travail, mais cette fois-ci dans la petite unité du 15ème arrondissement après sa mutation. « A 9h, on m’a dit mademoiselle rentrez chez vous… Je suis en fait resté une heure dans la société, j’ai vu le hall d’entrée, le bureau du service du  personnel, les escaliers et au revoir. On m’a dit, mademoiselle, il y a un problème avec votre foulard…On m’a pas demandé de le retirer, on m’a juste demandé de le relever au-dessus des oreilles, en forme de bandanas, car ça n’était pas la politique de l’entreprise. » Demande refusée par Dalila étant donné, qu’elle fut embauchée avec son foulard. Elle nous raconte avoir eu un comportement très calme, zen, accompagné d’un sourire et d’un remerciement pour l’accueil. Elle insiste sur le fait qu’elle n’a pas du tout été impolie avec la responsable du personnel, de part son éducation qui lui impose d’avoir des propos corrects. Dans la minute qui a suivi, elle a eu le déclic de se rendre à l’inspection du travail du 15ème, qui lui a conseillé d’écrire un  courrier. Le lendemain, elle s’empresse dans le 13ème arrondissement, à Tolbiac, voir ses anciens collègues, et en particulier une femme qui porte le foulard comme elle, afin de l’avertir de l’accueil auquel elle devait s’attendre. Tout le personnel, en effet, a vocation, à être muté dans le 15ème arrondissement. Elle a aussi fait part des évènements à ces autres collègues : «Ils ont été dégoûté, ils ont exprimé leur colère, ils n’ont pas compris, ils sont restés sans voix…cela m’a réconforté. »N’ayant pas renoncer à aller travailler, Dalila Tahri, s’est rendu à « Téléperformance », le 29 juin et le 1er juillet. Elle y a trouvé porte close, on lui a refusé le droit d’accéder à son poste de travail. Elle a donc fait un « sitting », selon ses termes, dans le hall d’entrée. Et par deux fois, la police est venue la sortir. Dalila n’en revient toujours pas, elle se remémore cet épisode : « je suis restée assise dans le hall, j’ai appelé le commissariat pour qu’ils constatent les faits, je me suis dit que je ne pourrais pas trouver meilleur témoin que les policiers, mais ils ont pas voulu venir car ils ne peuvent pas répondre à la demande d’un salarié, par contre ils ont répondu à l’appel de la responsable de recrutement et se sont déplacés… » Elle exprime un sentiment de désarroi face à l’arrivée des policiers en nombre : « Ça  fait toujours mal, un peu de honte même si tu sais que tu n’es pas fautive, tu as toujours cette gêne… Ils m’ont fait sortir gentiment et m’ont emmené au commissariat où ils m’ont dit d’envoyer une lettre au procureur de la république. Ils m’ont aussi conseiller de retourner le 1er juillet n’ayant pas reçu de lettre de renvoie. » Et donc, le 1er juillet, même scénario, mais avec une petite différence. Elle s’est sentie comme une mal propre face à des policiers moins gentils que la première fois.

 Le renvoi

Le 5 juillet, mademoiselle Tahri reçoit une lettre d’entretien préalable au licenciement, qui stipule le motif de renvoi : « signe distinct religieux : foulard islamique ». Et durant l’entretien, la responsable lui a notifié qu’elle était « un danger pour la société »dans le sens où elle craignait que les filles en bonnet dans l’entreprise ne le transforment en foulard ( le bonnet étant un substitut du foulard pendant les heures de travail.) Dès la réception de cette lettre et suite à l’entretien, Dalila a fait part de ses informations à son avocat qui a été stupéfait, lui qui est un partisan de la laïcité. Il n’apprécie pas forcément son foulard mais considérant qu’elle subissait une injustice et qu’elle avait des droits, il devait la défendre. Dalila déclare d'ailleurs que son avocat a été son plus grand soutien après sa famille et ses amis. Elle ne regrette vraiment pas de l’avoir pris. C’était le début de l’aventure judiciaire. Une aventure qu’elle était prête à affronter : « moi, on ne m’a jamais rien imposé dans la vie, je me suis toujours défendu, défendu et pas attaqué, j’insiste sur le terme défendre, je ne commence jamais les hostilités. Je suis quelqu’un qui ne se laisse pas faire, depuis toute petite…même si je me casse la figure mais par principe je me défends, même si parfois je perds. Mais il est hors de question que je me laisse faire surtout par rapport à mon foulard… c’est pas une personne qui est complètement étrangère  à moi qui va m’imposer ma façon de m’habiller, que ce soit le jean ou que ce soit le foulard, cela ne regarde que moi, je ne peux pas changer la couleur de ma peau, je ne peux pas changer mes origines et encore moins ma religion puisque c’est moi qui l’aie choisit et c’est moi qui l’assume pleinement. » Un message qui vient du cœur et qui en dit long sur la ténacité de Dalila Tahri.

 Passage à vide

A partir du moment où elle avait pris un avocat, il ne lui restait plus qu’à attendre. Elle remettait son destin entre les mains de son avocat. Elle espérait un accord à l’amiable, où elle réclamait sa réintégration, qui ne s’est jamais produit, Téléperformance ne s’étant jamais manifesté. Ce fut des mois d’attente, une période de chômage difficile à vivre pour cette jeune femme habituer au travail quotidien.Les mois d’été, synonyme de vacances, se sont  transformés en soucis : « je n’avais pas l’esprit tranquille pour partir en vacances car à n’importe quel moment mon avocat pouvait appeler. » Les problèmes d’argent ont commencé à voir le jour, des mois où elle n’a pas touché d’argent, les soucis ont alors réellement commencé.Ce passage à vide à durer cinq mois : à partir du moment où elle a été licencié jusqu’au procès. Cinq mois chez elle, sans réelle occupation. « Psychologiquement ça a été difficile, surtout que mes parents sont  partis à l’étranger pendant deux mois, et c’était eux qui m’ont soutenu le plus…J’ai quatre frères et deux sœurs, qui m’ont aidé, dans la mesure où pour eux, fallait pas que je me prenne la tête, je n’étais pas fautive, l’erreur venait d’eux(l’entreprise)…Quand tu vois tes potes, du lundi au vendredi, ils travaillent et toi tu travailles pas, et que t’aimerais déjeuner avec eux un midi et que bah! …non, les heures ça correspond pas, t’as les boules…Et en plus qui te répondent : « On a une vie nous ! » Contexte qui l’a rendue d’autant plus fragile, et à fleur de peau : « la moindre remarque faîtes, je la prenais mal. » Par ailleurs, on lui a reproché le fait de ne pas demander de dommage et intérêt, requête comprise par sa famille mais pas par tous ces amis. Elle n’a pas réussi à leur faire accepter que l’argent n’était pas le plus important pour elle.

 L’aventure judiciaire

Le périple judiciaire s’est partagé entre trois procès au tribunal des prud’hommes. Les Jugessont en fait deux salariés et deux chefs d’entreprise. Lors du premier procès, les échéances ont été reporté au 3 décembre faute d’égalité dans le nombre de voix (deux voix chacun). Le trois décembre, il y eut à nouveau le jugement de cette affaire. Mais le verdict n’a été prononcé que le 17 décembre. Dalila était présente à chaque fois, ce fut très éprouvant pour elle, surtout lors de la plaidoirie de la partie adverse, qui citaient des exemples saugrenus pour étayer son argumentation : les clients américains de l’entreprise qui pouvaient avoir des préjugés après le 11septembre, où encore l’avocate qui faisait référence à l’émission « Mots Croisés » d’Arlette Chabot « Faut-il avoir peur de l’Islam » passée la veille. Mais c’était un devoir pour elle d’être présente, ce fut un réconfort d’assister à quelque chose après des mois d’inactivité. Le 17 décembre, le verdict est tombé : Dalila est réintégrée à Téléperformance, ce fut un grand soulagement. « J’ai pensé à ma mère et à mon père » En évoquant cet instant, Dalila ne peut s’empêcher de pleurer, larmes qui révèlent sa souffrance et le soutien important de ces parents durant ces mois de combat. Elle n’avait qu’eux, la communauté musulmane n’était pas là pour la soutenir, ni l’UOIF, qui lui a simplement conseillé de prendre un avocat, ni JMF, structure qu’elle connaît bien pour avoir participer à sa création sur Dreux.Mais selon elle, le plus dur est à venir, « j’ai gagné une bataille mais pas la guerre. »

 La réintégration

Quelques jours après le procès, Dalila Tahri reprend le travail. Elle parle d’un accueil de princesse. Le Travail se passe bien à priori. Par ailleurs, elle apprend que le directeur administratif et financier et la responsable du personnel ont démissionné. Responsable qui l’avait empêché d’accéder aux bureaux le 25 juin…






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