« (Le désert), c’est Dieu sans les hommes. » Honoré de Balzac (Une passion dans le désert, Paris, 1832)
L’islam n’est pas né en vain dans le désert : on connait Dieu par le vide, parce que le vide est plénitude. Il ne faut cesser de rappeler que la profession de foi (shahâda) commence par une négation absolue : « Pas de divinité si ce n’est Dieu (la ilaha illa Llah) ». L’orientaliste Louis Massignon l’a bien relevé : « Dieu est affirmé davantage (en islam) par le non-être que par l'être. » Cela préfigure toute l’éthique/esthétique du dépouillement (tajrid) si proéminente en islam : simplicité du dogme et des rituels, et surtout rejet des supports matériels qui impliquent la vision d’un monde fini tels que les statues, l’art figuratif…
Il n’y a pour s’en convaincre qu’à considérer les lieux saints de l’islam : lorsqu’ils effectuent la prière rituelle, les musulmans s’orientent vers la Kaaba, ce cube vide, cet « être mort » selon Ibn ‘Arabi, qui assimile la circumambulation (tawaf) à une « prière faite sur un cadavre ». Le sanctuaire de La Mecque ne se situe-t-il pas « dans une vallée stérile » ? Mais ce vide/plénitude est peut-être encore plus tangible à ‘Arafât, immense plaine désertique, lorsqu'on la visite hors de la saison du hajj, d'où la vue s'échappe sur d'austères montagnes. Dans ce no-man's land, on n’est plus sur terre, mais sur quelque planète lointaine. La plaine d'Arafat est en fait un lieu métaphysique, et donc un non-lieu physique ; pour cette raison sans doute, elle ne fait pas partie, et contre toute attente, du territoire sacré (haram).
L’islam n’est pas né en vain dans le désert : on connait Dieu par le vide, parce que le vide est plénitude. Il ne faut cesser de rappeler que la profession de foi (shahâda) commence par une négation absolue : « Pas de divinité si ce n’est Dieu (la ilaha illa Llah) ». L’orientaliste Louis Massignon l’a bien relevé : « Dieu est affirmé davantage (en islam) par le non-être que par l'être. » Cela préfigure toute l’éthique/esthétique du dépouillement (tajrid) si proéminente en islam : simplicité du dogme et des rituels, et surtout rejet des supports matériels qui impliquent la vision d’un monde fini tels que les statues, l’art figuratif…
Il n’y a pour s’en convaincre qu’à considérer les lieux saints de l’islam : lorsqu’ils effectuent la prière rituelle, les musulmans s’orientent vers la Kaaba, ce cube vide, cet « être mort » selon Ibn ‘Arabi, qui assimile la circumambulation (tawaf) à une « prière faite sur un cadavre ». Le sanctuaire de La Mecque ne se situe-t-il pas « dans une vallée stérile » ? Mais ce vide/plénitude est peut-être encore plus tangible à ‘Arafât, immense plaine désertique, lorsqu'on la visite hors de la saison du hajj, d'où la vue s'échappe sur d'austères montagnes. Dans ce no-man's land, on n’est plus sur terre, mais sur quelque planète lointaine. La plaine d'Arafat est en fait un lieu métaphysique, et donc un non-lieu physique ; pour cette raison sans doute, elle ne fait pas partie, et contre toute attente, du territoire sacré (haram).
Le désert a toujours été un passage obligé pour les prophètes et les saints
Toute la charpente théologique de l’islam se fonde ainsi sur une approche « négative », dite apophatique, de Dieu et de son Unicité. Ibn ‘Arabi parle en ce sens d’une « science-dépouillement », ou « science-négation » (al-‘ilm al-salb). On peut encore s’en convaincre en méditant ce « propos saint » (hadith qudsi), où Dieu parle à la première personne du singulier : « Celui qui M’enferme dans une forme à l’exclusion d’une autre, c’est la représentation qu’il se fait de Moi qu’il adore ! » La logique en est soulignée par René Guénon : « Toute détermination est une limitation, donc une négation ; par suite, c'est la négation d'une détermination qui est une véritable affirmation. » Les théologiens de l’islam ont toujours insisté sur la non-représentativité de Dieu, afin d’anéantir nos projections idolâtres.
Comme ce fut le cas pour les prophètes, le désert a toujours été un passage obligé pour les saints, les futurs cheikhs, avant qu’ils ne reviennent (al-rujû‘) parmi les humains pour les guider. « Ôte tes sandales : tu es dans la vallée sainte de Tuwâ, s’entend dire Moïse dans le désert du Sinaï » : cette voie du dépouillement que le Divin impose à l’humain a été maintes fois travaillée par les soufis.
Pourquoi le désert nous touche-t-il souvent plus que l’océan, autre lieu de l’immensité, de l’absoluité divine ? Pourquoi l’univers minéral, pulvéral, du désert, qui confine à l’irréel, nous émeut-il ? Peut-être parce que, comme l’affirme non sans paradoxe le soufi Ibn ‘Arabî, ce qu’il y a de supérieur en l’homme c’est sa minéralité…
Mais attention : le désert n’est pas un grand bac à sable pour « civilisés » en quête d’émotions. J’anime parfois des séjours spirituels dans le désert. Lors de notre dernier voyage, la tempête a régné en souveraine. Nous mangions du sable, nous nous habillions de sable… Quelle expérience, cependant, de vivre l’évidence de notre fragilité !
*****
Président de la Fondation Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du soufisme, professeur à l‘université de Strasbourg. Il travaille également sur les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a notamment publié L’islam sera spirituel ou ne sera plus (Le Seuil, 2016) ; Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme (Le Seuil, 2014) ; Le Soufisme (Eyrolles, 2013).
Comme ce fut le cas pour les prophètes, le désert a toujours été un passage obligé pour les saints, les futurs cheikhs, avant qu’ils ne reviennent (al-rujû‘) parmi les humains pour les guider. « Ôte tes sandales : tu es dans la vallée sainte de Tuwâ, s’entend dire Moïse dans le désert du Sinaï » : cette voie du dépouillement que le Divin impose à l’humain a été maintes fois travaillée par les soufis.
Pourquoi le désert nous touche-t-il souvent plus que l’océan, autre lieu de l’immensité, de l’absoluité divine ? Pourquoi l’univers minéral, pulvéral, du désert, qui confine à l’irréel, nous émeut-il ? Peut-être parce que, comme l’affirme non sans paradoxe le soufi Ibn ‘Arabî, ce qu’il y a de supérieur en l’homme c’est sa minéralité…
Mais attention : le désert n’est pas un grand bac à sable pour « civilisés » en quête d’émotions. J’anime parfois des séjours spirituels dans le désert. Lors de notre dernier voyage, la tempête a régné en souveraine. Nous mangions du sable, nous nous habillions de sable… Quelle expérience, cependant, de vivre l’évidence de notre fragilité !
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Président de la Fondation Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du soufisme, professeur à l‘université de Strasbourg. Il travaille également sur les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a notamment publié L’islam sera spirituel ou ne sera plus (Le Seuil, 2016) ; Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme (Le Seuil, 2014) ; Le Soufisme (Eyrolles, 2013).
Avec Conscience soufie, il organise des retraites spirituelles dans le désert marocain. La prochaine retraite itinérante dans le désert marocain a lieu du 15 au 22 février 2020. Pour en savoir plus sur les objectifs, les méthodes et les modalités, c'est ici.