Le souverainisme des années 1990 a connu son apogée avec la victoire du « non » au référendum de 2005. Mais depuis lors, il apparaît comme un mouvement marginal. Comment expliquez-vous cela ?
Didier Leschi : Alors marginal, peut-être pas tout à fait puisque qu'on a, dans un certain nombre de pays en Europe et aussi en France, des courants qui se situent plutôt à la droite extrême ou à l'extrême droite, qui n'hésitent pas à se revendiquer d'une forme de souverainisme, c'est-à-dire de cette idée que chaque nation doit œuvrer pour elle-même et qu’elle doit tourner le dos, à partir de là, à l'idée d'une coopération européenne. Donc, oui, il y a un recul au sens où, en 2005, les partisans du « non » (au traité établissant une Constitution européenne, ndlr) étaient beaucoup plus larges que ces courants. il faut se souvenir que Laurent Fabius (l'actuel président du Conseil constitutionnel, membre du Parti socialiste, ndlr), par exemple, était un des partisans du « non ».
On voit bien ce qu'est le souverainisme de droite. Mais le souverainisme de gauche existe-t-il ? Quelle est cette différence essentielle ?
Didier Leschi : C'est une discussion qui n’est pas simple parce que des personnes sont qualifiées de souverainistes et se situent indéniablement à gauche sans qu'elles le revendiquent. En tout cas, que toutes ne le revendiquent pas. Par exemple, Jean-Pierre Chevènement dénie cette qualité, dit toujours qu'il n'est pas souverainiste, mais qu'il est pour la défense d'une souveraineté populaire. Mais d'autres peuvent se qualifier de souverainistes. Je dirais que la différence, c'est peut-être le rapport à ce qu'est l'identité française et à ce qu'on peut faire ou pas en Europe.
Enfin, pour ce qui disqualifie peut-être le souverainisme, c'est par exemple l'attitude de l'Angleterre et de Boris Johnson avec le Brexit, et surtout ce qu'on appelle les régimes illibéraux comme la Hongrie, qui se revendique d'une identité hostile à l'idée de partage au niveau européen des valeurs communes.
Enfin, pour ce qui disqualifie peut-être le souverainisme, c'est par exemple l'attitude de l'Angleterre et de Boris Johnson avec le Brexit, et surtout ce qu'on appelle les régimes illibéraux comme la Hongrie, qui se revendique d'une identité hostile à l'idée de partage au niveau européen des valeurs communes.
Vous parlez d'identité française, mais il me semble que pour les Français, l'identité, c'est prioritairement deux choses : l'État-nation avec un attachement important à l’État, puis son modèle social. Comment expliquez-vous que les souverainistes se trompent souvent sur la notion d'identité en la ramenant fréquemment à une question ethnique ?
Didier Leschi : Sans doute parce que le souverainisme est quand même (un mouvement) né à droite et que, dans l'histoire française, ce qui caractérise les courants nationalistes, c'est une vision extrêmement fermée de l'identité française alors que, depuis la Révolution française, il y avait plutôt cette idée qu'on est Français dès lors qu'on adhère à un certain nombre de valeurs et surtout à une perspective de construction commune de la nation. Il y a là, peut-être, ce qui explique que le souverainisme soit moins attaché à l'idée d'un modèle social qu'à l'idée d'une identité culturelle qui a souvent comme corollaire le racisme ou l'exclusion de l'autre.
Nous avons aujourd'hui une citoyenneté européenne. Les Européens peuvent voter notamment aux élections locales. La souveraineté ne doit-elle pas être défendue et développée au niveau européen ? N'est-ce pas là, en fait, le véritable cadre de protection contre la mondialisation pour résister aux grands ensembles russes, chinois ou américains notamment ?
Didier Leschi : Ce qui est sûr, c'est qu'à l'origine de la construction européenne, il y a à la fois la défense de valeurs générales, communes, humanistes et puis l'attachement à un modèle social autour de la santé, de la protection générale des personnes et que ce modèle-là est en contradiction, disons, qu’il s'oppose à des modèles où l'attention aux personnes, l'attention à un modèle social n'est pas ce qui domine. La protection des travailleurs, par exemple, ou la protection des femmes. Mais la difficulté que nous avons, c'est qu'une partie de ceux qui ont adhéré à l'Union européenne depuis le lancement de cette construction européenne ne partage pas totalement ces valeurs et c'est pour cela, du reste, que la Commission se bat vis-à-vis d'un certain nombre d'Etats membres, en particulier d'anciens pays de ce qu'on appelait du bloc de l'Est, pour que leur adhésion à l'Union européenne ne soit pas simplement formelle.
Enfin, ce qui est le corollaire de la souveraineté européenne, c'est souvent la possibilité ou la matérialisation de politiques communes. On a vu historiquement au niveau du charbon et de l'acier (avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, ou CECA, fondée en 1951 et expirée en 2002, ndlr). On l'a vu au niveau de l'espace (Schengen, pour la libre circulation des personnes, ndlr). La difficulté aujourd'hui, c'est de faire partager de plus en plus l'idée d’une politique commune à l'ensemble des pays d'Europe. La question de l'asile, par exemple, est aujourd'hui très clairement un frein à l'idée qu'on a une Union européenne qui serait souveraine sur ces questions-là.
Enfin, ce qui est le corollaire de la souveraineté européenne, c'est souvent la possibilité ou la matérialisation de politiques communes. On a vu historiquement au niveau du charbon et de l'acier (avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, ou CECA, fondée en 1951 et expirée en 2002, ndlr). On l'a vu au niveau de l'espace (Schengen, pour la libre circulation des personnes, ndlr). La difficulté aujourd'hui, c'est de faire partager de plus en plus l'idée d’une politique commune à l'ensemble des pays d'Europe. La question de l'asile, par exemple, est aujourd'hui très clairement un frein à l'idée qu'on a une Union européenne qui serait souveraine sur ces questions-là.
Du coup, ça renvoie à la question d'une politique construite autour d'une majorité de pays de l'Union européenne et non plus selon la règle de l'unanimité.
Didier Leschi : Bien sûr. La question, c'est celle de l'entraînement. Mais il faut se souvenir qu'à un moment donné, au milieu des années 1970 et au début des années 1980, pour bien faire adhérer l'Espagne ou le Portugal à l'Union européenne, il fallait justement entraîner ces pays vers plus de démocratie alors que c'étaient des pays qui sortaient de régimes de dictature. On peut y rajouter la Grèce. L'effet d'entraînement était plus fort que l'unanimisme, qui peut être paralysant. Et il faut retrouver cet effet d'entraînement pour éviter que se constituent des blocs qui soient hostiles philosophiquement à ce qui a été depuis l'origine la construction européenne, qui a amené quand même sur ce continent une paix de longue durée alors que nous avons vécu pendant des décennies dans un affrontement particulier entre la France et l'Allemagne. Et aujourd'hui, le cœur de l'Union, c'est la fraternité entre deux pays que sont la France et l'Allemagne.
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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