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Points de vue

Faouzia Zebdi-Ghorab, tête de liste aux européennes

Rédigé par Amara Bamba | Jeudi 3 Juin 2004 à 00:00

           

Faouzia Zebdi-Ghorab est diplômée de philosophie. Mère de famille et citoyenne engagée, elle mène la liste de l'Union française pour la cohésion nationale (UFCN) aux élections européennes le 13 juin 2004. Une tête de liste originale. « Provocation islamiste » ou « cohérence idéologique » ? Nous avons voulu en savoir plus. Entretien avec une femme politique qui n’aime pas la langue de bois.



SaphirNet.info : Votre parti, l’UFCN a été privé d’élections régionales pour des raisons plutôt techniques. Où en êtes-vous de cette candidature aux européennes ?

Nous n’avons pas pu participer aux régionales, mais nous avons participé aux cantonales du 21 et 28 mars dernier. Actuellement, nous avons mené toutes les démarches administratives pour pouvoir participer aux élections européennes dans quelques semaines. Notre liste est déposée. Nous avons le même projet politique de base auquel nous avons ajouté et développé certains points concernant particulièrement l’Union Européenne et ses institutions.

Vous êtes plutôt connue sur le terrain associatif local, pas sur le champ politique.

Ce qui démontre que l’UFCN est à l’image des idées qu’il défend. C’est un parti qui lutte contre toutes les formes de discriminations. Et le fait de me confier la conduite de notre liste est une preuve de courage et de cohérence dans ses principes. Car notre parti lutte aussi contre l’islamophobie. Et ce n’est pas anodin pour nous d’avoir mis une femme en tête de notre liste.

Ce n’est pas seulement que vous soyez une femme. C’est aussi que vous portez le hijab.

Absolument. Et je trouve cela courageux car c’est tout à fait en conformité avec le projet politique et social du parti. Se refuser de mettre une femme en tête de liste au motif qu’elle porte le foulard aurait été une trahison de ses projets.

Mais le hijab paraît actuellement en France comme un instrument de lutte, un prétexte identitaire voire un argument de revendication communautaire. Votre choix n’est-il pas une provocation nouvelle ?

On me pose systématiquement cette question. C’est bien la preuve que nous avons encore du chemin à faire. Mais rassurez-vous, votre question ne me dérange pas. Vous me donnez l’occasion d’y répondre. Parce que je ne porte pas mon foulard comme un étendard. Et mon désire de m’investir dans l’Ufcn n’est pas un moyen de dresser mon foulard en étendard. Je veux avant tout porter un projet politique qui tient la route et qui me plaît. Le fait que je porte le foulard ou que je ne le porte pas est une dimension qui est personnelle et qui ne s’inscrit pas dans le cadre de ce qui motive mon action au sein du parti. Maintenant, si des femmes avec foulard sont discriminées, cela n’a nullement été l’objet premier de mon militantisme.

Qu’est ce qui motive votre engagement dans un nouveau parti comme l’UFCN. Ce ne sont pas les partis politiques qui manquent en France. Certains sont mêmes connus pour défendre les intérêts des minorités.

Vous avez raison. Les grands partis auxquels vous pensez prétendent vouloir aider leurs bases discriminées en portant leurs revendications vers le haut. Mais dans le même temps, ils nous enferment dans des terminologies restrictives comme « intégration ». Ce qui, en mon sens, contribue à la normalisation de la marginalisation. On aboutit ainsi à une « marginalisation normale » au sens de conforme à la norme. Vouloir intégrer quelqu’un suppose d’office qu’il n’est pas dans la norme et qu’il n’est pas comme les autres. Et donc, quelque part, cette terminologie est malsaine même si je ne peux pas nier les efforts produits par certains de ces partis. A titre d’exemple, ces partis refusent de reconnaître qu’il y a une véritable ségrégation à l’école. Une ségrégation ethnique sur laquelle ils refusent le débat. Le sujet est considéré « trop sensible ». Je ne peux donc pas être avec eux pour dénoncer toutes les formes de discriminations (sociale, économique, antisémitisme, etc.) et, à partir du moment où je dis qu’il y a une discrimination contre les gens de références afro-maghébines alors ils disent en chœur « Non ! Ça, c’est un autre problème ». Moi, ça me gène.

Que comptez vous faire alors ?

Je pense qu’il faut sortir du terrain de la réaction et se placer sur celui de l’action. Nous en avons assez de devoir nous justifier pour montrer que nous sommes comme les autres. Je suis sur le terrain de la construction. Si l’on veut entendre mon discours constructif, qu’on l’écoute mais pas comme un discours d’autodéfense, d’autojustification que je refuse. Je parle sur un pied d’égalité. J’expose mes idées. Je ne veux pas m’arrêter à mon vêtement mais exposer mon argumentation.

Quels points spécifiques proposez-vous à votre programme ?

Nous estimons que, jusqu’alors, l’Europe s’est construite essentiellement autour du credo économique. Les dimensions humaine et sociale ont été un peu oubliées. Nous proposons une Europe plus sociale où l’on met des atouts en commun. Dans ce sens nous défendons une Union européenne forte et indépendante qui puisse faire entendre sa voix à l’échelle internationale. C’est ainsi qu’en cas de problèmes l’Europe pourra rivaliser avec d’autres puissances majeures qui existent. En cela nous ne comprenons pas l’attitude de ces partis qui disent non à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Quelle est votre position sur cette question ?

Sur un plan économique, le commun des acteurs politiques sait que le PIB de la Turquie n’est pas plus faible que celui d’autres pays de l’Union. Et ce rejet de la Turquie repose, à notre sens, sur d’autres considérations. Ce qui nous donne des raisons de nous inquiéter. Autant nous disons « Non à la discrimination » à l’échelle nationale, nous avons l’impression qu’il y a maintenant une discrimination à l’échelle des pays.

Sur quels critères voyez-vous cette discrimination ?

Sur un critère religieux. En Turquie, il s’agit bien d’une population à majorité musulmane. Malgré que la Turquie soit un des premiers pays à adopter la laïcité comme système de gouvernement, cela ne semble pas pouvoir lui donner le label de « dignité d’entrée dans l’Europe » qui nous paraît, dans ce cas là, comme une Europe ethnique. Nous ressentons que cette partie de la France qui se veut d’un certain esprit ethnique, nous renvoie le même problème de discrimination à l’échelle européenne.

On est aussi tenté de dire que votre liste est une liste communautaire…

C’est là une remarque que l’on peut faire si l’on ne dépasse pas la lecture de la liste des noms et prénoms. Et cette remarque est valable pour bien d’autres listes. C’est une lecture assez superficielle et très inexacte de notre spécificité. Je trouve simpliste de voir une liste de noms à consonances afro-maghrébines, de s’y arrêter pour en tirer des conclusions. C’est une attitude qui manque d’honnêteté. Et nous pensons que les électeurs français sauront aller plus loin que la consonance de nos noms. Car, vu la pluralité, le multiculturalisme de la France, le fait que des gens se réunissent, à un moment donné, ne peut pas suffire à conclure à un quelconque communautarisme. A moins que l’on considère que tout nom à consonance arabe suffit à conclure le communautarisme, alors on peut comprendre cette remarque. Et elle reste valable pour les autres listes où on peut trouver des noms ayant d’autres consonances spécifiques. Mais si on s’en tient aux idées exprimées et défendues, dans ce cas nous ne sommes pas une liste communautaire.

Je pensais à la liste Europalestine où l’on rencontre des chrétiens, des musulmans, des juifs et des athées sur une même liste.

Cette argumentation procède du principe que « si quelqu’un a un nom arabe, alors il est obligatoirement musulman ». Je crois qu’il va falloir apporter des changements à nos principes. Le paysage citoyen de France a beaucoup évolué. On peut avoir un nom à connotation musulmane et ne plus avoir aucun lien avec cette religion. Je ne dis pas que c’est bien ou mal. Ce n’est pas à moi d’émettre ce type de jugement de valeur. Mais je tiens bien à souligner que certains esprits continuent de penser en termes de : arabe donc musulman ou ami à l’étranger. Ces esprits sont, bien entendu, malveillants. Et si on suit ce raisonnement, on peut faire dire tout et n’importe quoi aux listes. Pas seulement à notre liste.

Au-delà de la liste de noms, l’UFCN est un jeune parti et je ne connais pas d’autre tête de liste qui porte le hijab. La conjonction de ces deux éléments fait penser à un geste de défense de l’islam...

Je vous comprends. Mais il s’agit pour nous avant tout, de la lutte contre les discriminations quelles qu’elles soient avec un accent particulier sur la discrimination islamophobe dont nous sommes aussi des victimes. Sans jouer à la victimisation il nous faut reconnaître que, par exemple, des jeunes filles ont été exclues de l’école. Nous n’allons pas faire l’autruche et « oublier » de parler de cette situation de peur d’être taxés d’islamistes. Car ces discriminations existent bel et bien... Et nous devons les dénoncer ouvertement. Autre exemple : dans les propositions faites par la liste de Marie-Georges Buffet (du Parti communiste français, ndlr), on parle de « lutte contre le racisme » et on précise « et l’antisémitisme ».

Qu’auriez-vous préféré ?

J’aurais souhaité qu’on y ajoute l’islamophobie… Mais comme je suis une femme avec un foulard et que je parle d’islamophobie, alors on parle de parti pris. Franchement, mon souhait aurait été que ce soit quelqu’un d’autre qui porte notre discours à l’échelle politique pour éviter cet amalgame. Mais comme ce n’est pas le cas, je ne vais pas m’autocensurer de peur de ce que l’on va penser de mon engagement. Il faut aussi cesser avec ces complexes. On ne s’en sort plus à force.

Il s’est passé une chose assez grave cette année en France : notre parlement a voté une loi à destination d’une population ciblée. A une autre époque, ce type de loi fut appelé « loi d’exception ». Celle-ci a consacré officiellement un racisme. C’est pourquoi nous luttons contre tous les racismes… « dont l’islamophobie » qui est une forme de racisme. Il n’est ni pire ni moindre que les autres formes de racisme, car nous ne mettons pas de gradation dans les racismes. C’est un véritable silence et une redoutable langue de bois qui se sont installés dans certains partis sur cette question. A l’UFCN, nous avons cette particularité de pouvoir dire ces choses clairement.

La loi antifoulard ne concerne que la France. Or, une candidature aux européennes dépasse un peu le cadre du débat national.

Il ne faut pas oublier que l’une des controverses qui ont animé la rédaction du futur projet de constitution de l’Union européenne portait sur les racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Affirmer un tel mensonge c’est nier tout l’héritage musulman à l’Europe.

Ne craignez-vous pas une dispersion des voix entre votre liste et la liste Europalestine ?

Dieu sait combien la situation en Palestine est préoccupante pour tout le monde. Elle est préoccupante au titre de l’injustice qui s’y passe. Pour peu que l’on soit humaniste, l’on ne peut pas ne pas s’indigner face à ce qui se passe en Palestine. Et la mise en avant du problème de la Palestine nous interpelle tous. Cependant, ce qui me gène avec cette méthode c’est qu’elle se limite à jouer sur une fibre sensible. Jouer sur cette émotion pour drainer un élan de sympathie voire un électorat est quelque chose que je ne trouve pas sain. J’y vois un certain effet de distraction, comme pour faire diversion. Un peu comme dans certains pays pauvres où l’on se sert des compétitions sportives pour distraire les populations de leurs vrais problèmes. Chacun s’imagine devenir un Abedi Pelé et en oublie sa misère du moment. Je crains que la liste Europalestine n’ait un tel effet sur certains citoyens.

Quelle est votre approche sur cette question ?

A l’UFCN, nous disons, bien sûr, qu’il y a des problèmes en Palestine et qu’il faut les porter au niveau européen pour en rechercher les solutions. Mais il ne faut pas s’en servir pour faire mettre de côté, oublier ou annihiler les injustices auxquelles les citoyens français sont confrontés eux-mêmes. Il y a une carence terrible dans la démarche qui consiste à dire que le seul projet européen est la défense de la Palestine à l’échelle des institutions européennes. Surtout que dans cette défense de la Palestine, la liste Europalestine occulte le droit au retour des réfugiés palestiniens. Nous défendons ce droit au retour dans notre programme.





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