La théologienne afro-américaine Amina Wadud est auteure de « Le Coran et la femme ». © DR / Tarkiz / Saphirnews
L’association féministe et antiraciste Lallab organisait avec les éditions Tarkiz, samedi 6 févier, une table-ronde virtuelle autour de l’ouvrage pionnier d’Amina Wadud, « Le Coran et la femme ». A l’occasion de sa traduction en français, plus de 20 ans après sa première publication, la professeure d'études islamiques à l’Université du Commonwealth de Virginie, aux Etats-Unis, s’est exprimée sur la nature de son travail, entourée d'Asma Lamrabet, médecin biologiste et ancienne présidente du Centre d’études féminines en islam (CERFI), basé à Rabat, de Malika Hamidi, sociologue et auteur de l’ouvrage « Un féminisme musulman, et pourquoi pas ? », et de la physicienne Inès Safi.
Dans une vidéo enregistrée pour l’occasion, Amina Wadud rappelle que c’est son amour pour le Coran qui l’a conduite à « éliminer tous les obstacles » qui se tenaient entre elle et les interprétations majoritaires qui en sont faites depuis des siècles pour « un tête-à-tête intime avec le texte ». « Si le Coran affirme qu’il est valable pour toutes les personnes, en tout temps et en toutes circonstances, (…) mon interprétation est tout aussi légitime que n’importe quelle autre interprétation », déclare-t-elle. Par son travail pionnier, elle démontre que « le patriarcat n’est pas justifié dans le Coran ».
Dans une vidéo enregistrée pour l’occasion, Amina Wadud rappelle que c’est son amour pour le Coran qui l’a conduite à « éliminer tous les obstacles » qui se tenaient entre elle et les interprétations majoritaires qui en sont faites depuis des siècles pour « un tête-à-tête intime avec le texte ». « Si le Coran affirme qu’il est valable pour toutes les personnes, en tout temps et en toutes circonstances, (…) mon interprétation est tout aussi légitime que n’importe quelle autre interprétation », déclare-t-elle. Par son travail pionnier, elle démontre que « le patriarcat n’est pas justifié dans le Coran ».
© DR / Tarkiz / Saphirnews
Promouvoir « une interprétation égalitaire » du texte sacré
Dans l’Histoire, « même s'il y avait une diversité interdisciplinaire dans l’approche exégétique (...), la tendance dominante de vouloir graver le patriarcat dans le marbre n’était simplement pas remise en cause. En conséquence, cela a permis d’entériner l’idée d’un système patriarcal trouvant sa source dans le Coran lui-même », analyse la théologienne. Une idée qui trouve sa source, en partie, dans l’absence de transmissions de réflexions féminines sur le texte sacré. « Sur une période de plus de 1 000 ans d'exégèse coranique (tafsir), nous n’avons aucune trace connue de réflexion féminine au Coran », affirme-t-elle.
Or, « on sait que les femmes lisaient et mémorisaient le Coran. Mais l'exégèse était une discipline réservée aux hommes ». explique-elle avant d’aller plus loin. « Ce n’est qu'au 19e siècle que quelques traces d’exégèses de femmes ont été retrouvées. Mes ces réflexions n'abordent pas la question du genre. »
Voir aussi la vidéo de La Casa del Hikma - L'égalité hommes-femmes en islam, un mytho ?
Amina Wadud a ainsi « apporté de nouvelles pistes de réflexions pour développer une méthode qui encourage et promeut une interprétation égalitaire (du texte sacré) en matière de genre ». Une interprétation toujours subjective et circonstanciée par une histoire personnelle, rappelle-elle. « On ne peut pas s’empêcher de lire et d'interpréter le Coran d’un point de vue en particulier. Ce point de vue prend en compte les circonstances de la vie réelle qui vont avoir un impact sur les questions que l’on se pose et la façon dont on va chercher les réponses à ces questions. Mais ce point de vue a aussi un impact sur les réponses que l’on trouve. »
C’est ainsi que cette Afro-Américaine a choisi de se réapproprier le texte sacré, sans pour autant le dénaturer. Grâce à une approche novatrice encore aujourd’hui, elle cherche à défendre une justice de genre et à réhabiliter l’universalité du message coranique pour « maintenir le Coran comme source de guidance ». « Le Coran, l’islam, le Prophète appartiennent à tous ceux qui les cherchent », martèle la théologienne.
Or, « on sait que les femmes lisaient et mémorisaient le Coran. Mais l'exégèse était une discipline réservée aux hommes ». explique-elle avant d’aller plus loin. « Ce n’est qu'au 19e siècle que quelques traces d’exégèses de femmes ont été retrouvées. Mes ces réflexions n'abordent pas la question du genre. »
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Amina Wadud a ainsi « apporté de nouvelles pistes de réflexions pour développer une méthode qui encourage et promeut une interprétation égalitaire (du texte sacré) en matière de genre ». Une interprétation toujours subjective et circonstanciée par une histoire personnelle, rappelle-elle. « On ne peut pas s’empêcher de lire et d'interpréter le Coran d’un point de vue en particulier. Ce point de vue prend en compte les circonstances de la vie réelle qui vont avoir un impact sur les questions que l’on se pose et la façon dont on va chercher les réponses à ces questions. Mais ce point de vue a aussi un impact sur les réponses que l’on trouve. »
C’est ainsi que cette Afro-Américaine a choisi de se réapproprier le texte sacré, sans pour autant le dénaturer. Grâce à une approche novatrice encore aujourd’hui, elle cherche à défendre une justice de genre et à réhabiliter l’universalité du message coranique pour « maintenir le Coran comme source de guidance ». « Le Coran, l’islam, le Prophète appartiennent à tous ceux qui les cherchent », martèle la théologienne.
Questionner le texte de manière « directe et franche »
Aucun des instructeurs d’Amina Wadud, au cours de ses études, n’ont « considéré la grille du genre comme un champ de réflexion ou d’analyse. J’étais donc en train de m’engager en terre inconnue, sans boussole. Ce n’est que plus tard que j’ai compris à quel point ma démarche se révèlerait sans précédent », raconte cette leader religieuse, pour qui « l’enjeu est celui de libérer les positions d’autorité de l’emprise exclusive de ceux du passé, des hommes ou de ceux qui conservent un spectre hétéronormatif ».
Ainsi, elle a ouvert la voie à une génération de chercheuses, dont les trois interlocutrices de la table ronde virtuelle, à commencer par Asma Lamrabet qui confirme combien le travail et l'ouvrage d’Amina Wadud ont été, pour elle, une véritable source d’inspiration. « J’ai aimé sa façon assez directe et franche de questionner les textes », partage-t-elle.
« C’est l’un des premiers livres à avoir ouvert la voie à une approche directe du texte sacré à partir de cette perspective résolument féministe tout en (...) resituant la thématique des femmes au centre d’une vision holistique du Coran. » C’est ainsi que, selon elle, Amina Wadud défend l’idée « d’un féminin issu d’une vision divine juste et égalitaire ». Une vision divine aux antipodes des interprétations coraniques les plus répandues, source d’inégalités. « J’ai compris que cette lecture discriminatoire du religieux permettait de maintenir la domination des femmes mais aussi des hommes », analyse encore la biologiste. Car « invisibiliser les femmes, c’est les dominer et les dominer, c’est dominer toute la société. Et c’est ce que la société patriarcale au nom du religieux, a de tout de temps, essayer de faire ».
Ainsi, elle a ouvert la voie à une génération de chercheuses, dont les trois interlocutrices de la table ronde virtuelle, à commencer par Asma Lamrabet qui confirme combien le travail et l'ouvrage d’Amina Wadud ont été, pour elle, une véritable source d’inspiration. « J’ai aimé sa façon assez directe et franche de questionner les textes », partage-t-elle.
« C’est l’un des premiers livres à avoir ouvert la voie à une approche directe du texte sacré à partir de cette perspective résolument féministe tout en (...) resituant la thématique des femmes au centre d’une vision holistique du Coran. » C’est ainsi que, selon elle, Amina Wadud défend l’idée « d’un féminin issu d’une vision divine juste et égalitaire ». Une vision divine aux antipodes des interprétations coraniques les plus répandues, source d’inégalités. « J’ai compris que cette lecture discriminatoire du religieux permettait de maintenir la domination des femmes mais aussi des hommes », analyse encore la biologiste. Car « invisibiliser les femmes, c’est les dominer et les dominer, c’est dominer toute la société. Et c’est ce que la société patriarcale au nom du religieux, a de tout de temps, essayer de faire ».
Lutter contre une approche figée du Coran
Si, pour Asma Lamrabet, cette lecture discriminante emprisonne les femmes, pour Inès Safi, elle enferme aussi le texte sacré. De fait, elle constate qu'« on ne cesse de harceler le Coran » en lui demandant de répondre à diverses questions de manière dogmatique et figée. Des questions qui, estime-t-elle, sont posées par « ceux d’abord qui ne veulent rien changer » et « qui vont extraire du Coran des arguments pour réduire les femmes à un statut inférieur. »
Au-delà d’une lecture réductrice imposée par les plus rigoristes, la physicienne alerte aussi contre une approche rigide, voire littéraliste du texte qui empêcherait chacun d’en comprendre sa dimension spirituelle et libératrice. « Dieu ne nous a pas accordé une parole figée pour établir des lois immuables et, par la suite, se retirer. Je pense que Dieu se manifeste à chaque instant », déclare-t-elle. « Mon message consiste à rappeler que le Coran ne se réduit pas à un guide moral mais représente aussi un mode de transformation intérieure et de réalisation spirituelle. »
Au-delà d’une lecture réductrice imposée par les plus rigoristes, la physicienne alerte aussi contre une approche rigide, voire littéraliste du texte qui empêcherait chacun d’en comprendre sa dimension spirituelle et libératrice. « Dieu ne nous a pas accordé une parole figée pour établir des lois immuables et, par la suite, se retirer. Je pense que Dieu se manifeste à chaque instant », déclare-t-elle. « Mon message consiste à rappeler que le Coran ne se réduit pas à un guide moral mais représente aussi un mode de transformation intérieure et de réalisation spirituelle. »
Déconstruire des lectures de l'islam jugées immuables
Il importe aussi que les femmes déconstruisent les schémas de pensée qu’elles ont intériorisé, et qu’elles pensent parfois leur être bénéfiques. Ainsi, Asma Lamrabet s’attaque à « une lecture coranique apologétique de la femme », une lecture où celle-ci est décrite comme une « fleur » ou « un bijou ».
Les adeptes de cette lecture « s’enferment dans une vision éthérée des femmes (...) qu’on doit absolument protéger ». Un discours souvent répété et imposé aux premières concernées comme un argument d’autorité divine immuable du fait que « l’homme a l’autorité pour le bien de sa femme ». Or, « le Coran ne décrit les femmes ni comme des bijoux, ni comme des fleurs mais comme des êtres humains », rappelle-elle avec force.
De fait, elle enjoint les femmes à se défaire de certaines injonctions culturelles qui les emprisonnent. « Un véritable travail d’autocritique doit se faire au sein des communautés musulmanes », plaide-t-elle, jugeant qu’on impose aux femmes de culture musulmane « un impératif de fidélité à leur communauté de foi, à leur identité ou à leurs traditions même quand celles-ci devient une source d'injustice. Il ne faut pas se taire pour défendre une identité, qu’elle soit traumatisée ou pas », ajoute-elle.
Les adeptes de cette lecture « s’enferment dans une vision éthérée des femmes (...) qu’on doit absolument protéger ». Un discours souvent répété et imposé aux premières concernées comme un argument d’autorité divine immuable du fait que « l’homme a l’autorité pour le bien de sa femme ». Or, « le Coran ne décrit les femmes ni comme des bijoux, ni comme des fleurs mais comme des êtres humains », rappelle-elle avec force.
De fait, elle enjoint les femmes à se défaire de certaines injonctions culturelles qui les emprisonnent. « Un véritable travail d’autocritique doit se faire au sein des communautés musulmanes », plaide-t-elle, jugeant qu’on impose aux femmes de culture musulmane « un impératif de fidélité à leur communauté de foi, à leur identité ou à leurs traditions même quand celles-ci devient une source d'injustice. Il ne faut pas se taire pour défendre une identité, qu’elle soit traumatisée ou pas », ajoute-elle.
S’arracher la légitimité
Si l’autocritique est importante, elle doit s’accompagner d’un retour vers soi, défend Malika Hamidi, pour qui la lutte en faveur de la justice sociale doit passer par « un engagement apaisé » et une transformation intérieure encouragée par le Coran.
« Dorénavant, la lutte pour la justice sociale passe par un retour radical vers soi », partage-elle en citant les célèbres activistes Angela et Fania Davis Jordan. « C’est en cela que le Coran m’accompagne, et notamment à travers un verset de la sourate "Le tonnerre" » , indique-elle en rappelant le fameux passage : « En vérité, Dieu ne modifie pas l’état d’un peuple tant qu’ils ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. ». Il importe de « valoriser un engagement qui va négocier moins de radicalité et permettre plus de dialogue afin que nos combats soient à l’image du Coran ».
Revendiquer une place (légitime) au sein du monde religieux mais aussi au sein de la société est un combat. Si Asma Lamrabet confie « avoir longtemps traîné un sentiment de culpabilité », elle clame que le Coran l’a aidé à s’en libérer. « La légitimité, elle ne se donne pas : elle se forge grâce au sérieux, à la sincérité et à la quête de savoir. Cette légitimité, il faudrait se l’arracher car personne ne vous dira que vous êtes légitime, encore moins quand vous êtes une femmes dans le monde du sacré et du religieux. »
Même son de cloche pour Malika Hamidi, qui constate toutefois que cette autocensure est moins pesante aujourd’hui : « Les femmes ont longtemps été reléguées et confinées dans des espaces réduits mais force est de constater que ces dernières années, la présence des femmes musulmanes dans la société est en train de s'accroître. On a cette nouvelle génération dotée de cette conscience spirituelle, religieuse, intellectuelle et théologique qui souhaite défendre sa place et contribuer aux débats sociétaux. »
« Dorénavant, la lutte pour la justice sociale passe par un retour radical vers soi », partage-elle en citant les célèbres activistes Angela et Fania Davis Jordan. « C’est en cela que le Coran m’accompagne, et notamment à travers un verset de la sourate "Le tonnerre" » , indique-elle en rappelant le fameux passage : « En vérité, Dieu ne modifie pas l’état d’un peuple tant qu’ils ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. ». Il importe de « valoriser un engagement qui va négocier moins de radicalité et permettre plus de dialogue afin que nos combats soient à l’image du Coran ».
Revendiquer une place (légitime) au sein du monde religieux mais aussi au sein de la société est un combat. Si Asma Lamrabet confie « avoir longtemps traîné un sentiment de culpabilité », elle clame que le Coran l’a aidé à s’en libérer. « La légitimité, elle ne se donne pas : elle se forge grâce au sérieux, à la sincérité et à la quête de savoir. Cette légitimité, il faudrait se l’arracher car personne ne vous dira que vous êtes légitime, encore moins quand vous êtes une femmes dans le monde du sacré et du religieux. »
Même son de cloche pour Malika Hamidi, qui constate toutefois que cette autocensure est moins pesante aujourd’hui : « Les femmes ont longtemps été reléguées et confinées dans des espaces réduits mais force est de constater que ces dernières années, la présence des femmes musulmanes dans la société est en train de s'accroître. On a cette nouvelle génération dotée de cette conscience spirituelle, religieuse, intellectuelle et théologique qui souhaite défendre sa place et contribuer aux débats sociétaux. »
L'ère du post-féminisme musulman
Cependant, la chercheuse note que les défis à relever restent importants. « Il y a toujours cette volonté de vouloir faire bouger les choses mais quelle va être véritablement la marge de manœuvre au sein d’un système pour ce qui est des communautés musulmanes qui est principalement et culturellement dominé par les hommes ? », s'interroge-elle.
Malgré ces obstacles, l’espoir est au rendez-vous, Malika Hamidi remarquant que, si les nouvelles générations de femmes doivent encore relever des challenges, elles en imposent aussi : « Cette troisième génération pose le défi du pouvoir, du leadership (...) au féminin », affirme-elle avec conviction, constant l’émergence de ce qu’elle appelle un « post-féminisme musulman ». « Ce post-féminisme musulman a ouvert de nouvelles fenêtres d’espoirs dans ces quêtes de liberté, au-delà de la nécessité de mobiliser le référentiel religieux. On est face à une génération de femmes qui n’est plus prisonnière de son identité religieuse. »
Lire aussi :
Le Coran et la femme, la contribution d'Amina Wadud pour « une justice de genre »
« Lutter ensemble avec nos différences », ou l’alliance possible entre afro-féminisme et féminisme musulman
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Asma Lamrabet, féministe musulmane de la troisième voie
L’égalité des musulmans et des musulmanes, en théorie seulement
Malgré ces obstacles, l’espoir est au rendez-vous, Malika Hamidi remarquant que, si les nouvelles générations de femmes doivent encore relever des challenges, elles en imposent aussi : « Cette troisième génération pose le défi du pouvoir, du leadership (...) au féminin », affirme-elle avec conviction, constant l’émergence de ce qu’elle appelle un « post-féminisme musulman ». « Ce post-féminisme musulman a ouvert de nouvelles fenêtres d’espoirs dans ces quêtes de liberté, au-delà de la nécessité de mobiliser le référentiel religieux. On est face à une génération de femmes qui n’est plus prisonnière de son identité religieuse. »
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