La semaine sera tendue pour les Musulmans de France. A peine sortis des tracas du capricieux mouton de l’Aïd el Kébir, les musulmans attendent l’ouverture du débat parlementaire sur le projet de loi sur les insignes religieux. Sur proposition de la Commission Stasi, le président Jacques Chirac a décidé qu’une loi soit votée pour réaffirmer les principes de laïcité en interdisant les insignes religieux dans les établissements scolaires et les institutions publiques. Ces dernières semaines ont montré que le projet divisait la droite et la gauche, au delà de leurs clivages classiques. Mais les résistants à la loi se battent en ordre dispersé. D’abord spontanée et citoyenne, l’opposition tente d’échapper au spectre du communautarisme.
En l’absence de réaction des organisations représentatives, au lendemain du discours du Président Jacques Chirac demandant une loi sur le Hijab, un collectif de jeunes filles de Tremblay (93) avait organisé la manifestation du 21 décembre. Deux autres appels à manifester furent immédiatement lancés.
Le Pmf et le spectre communautaire
Le premier appel est lancé par le Parti des musulmans de France (PMF) qui appela à manifester le 17 janvier. Le second est sur l’initiative d’un collectif jusqu’alors inconnu. Il appelle à une marche le 7 février sous le mot d’ordre ' Liberté-égalité-fraternité, non à l’islamophobie '. Il faudra attendre le 2 janvier pour mieux connaître les signataires de ce second appel constitués en mouvement citoyen sous la dénomination de Mouvement pour la Justice et la Dignité (MJD). Au nombre des signataires l’on note des associations déjà connues comme le FARES (Face au racisme, ensemble et solidaire), l’association Justice, Islam et Dignité (Jid), la Ligue Internationale de Défense de l’Islam et des Musulmans (Lidim) et l’Union française pour la cohésion Nationale (Ufcn), un jeune parti politique. On y voit d’autres associations peu connues et des personnalités n’appartenant à aucune association mais participant au mouvement en tant que citoyens désireux d’agir contre la loi antifoulard.
L’appel du PMF à manifester le 17 janvier est une première dans le monde politique français. Le discours politique du parti, très minoritaire, est peu connu. Mais les positions de son président, Mohamed Latrech sur les questions nationales, dérangent par leur forte empreinte communautariste y compris les musulmans de France qui, dans leur large majorité, n’aspirent pas au communautarisme. Mais la manifestation du 17 janvier sera très médiatisée, à l’image M. Mohamed Latrech lui-même. Elle sera diabolisée par la presse et boycottée par les responsables associatifs musulmans désireux de se démarquer d’un mouvement politique à qui leur immobilisme avait laissé le champ libre. Ils choisiront stratégiquement le jour de la manifestation pour tenir des assises à Paris. 150 associations répondront à cet appel lancé conjointement par le Collectif des Musulmans de France (CMF), l’association Jeunesse musulmane de France (JMF), Participation et spiritualité musulmanes (PSM) et l’association des Etudiants Musulmans de France (EMF). Quatre associations musulmanes reconnues pour leur présence effective dans des champs d’activités fort différents.
Le collectif une école pour tous-tes
Si l’Emf est un jeune mouvement qui a réussi à se faire une respectabilité dans le milieu estudiantin avec la flexibilité qui le caractérise, Jmf est un petit mammouth à caractère national à l’image de l’Union des organisations islamiques en France dont elle fait partie. Psm se caractérise par son intérêt pour la pratique spirituelle conjointement à ses engagements citoyens. Ce qui le rattache au mouvement marocain Al Adl Wal Ihassan du Cheikh Abdelslam Yassine, dont il partage les méthodes d’enseignement. Psm s’était clairement opposé à la création du Conseil français du culte musulman (Cfcm) en évoquant, entre autres raisons, la jeunesse de la communauté musulmane de France. Le Cmf s’était aussi opposé à la création du Cfcm mais s’était profondément investi dans l’action civile extracommunautaire, notamment en participant activement au dernier forum social européen. Ce qui lui vaut de solides amitiés dans le monde associatif de gauche altermondialiste.
Au sortir des assises du 17 janvier, un nouveau ' collectif une école pour tous-tes ' verra le jour et prendra la tête de la lutte contre la loi antifoulard. Le spectre du communautarisme brandi contre le PMF est alors écarté et la lutte contre la loi à venir est désormais brillamment défendue, sur les plateaux et sur les forums Internet, par Hamida Ben Saïd, membre du parti socialiste, féministe et militante des Droits de l’Homme. Un programme précis de lutte est annoncé prévoyant un rassemblement devant l’Assemblée Nationale le 4 février au moment où la loi est discutée. Un meeting le 6 février à Paris et une manifestation nationale le 14 février. Des personnalités comme Noël Mamère, Halima Boumedienne ainsi que Françoise Gaspard et Christine Delphy sont signataires de l’appel du collectif… Mouloud Aounit, premier secrétaire du MRAP avait participé aux assises, mais le Mrap a pourtant réservé son avis sur la signature de l’appel.
La manif qui peut tout changer
De son côté, le MJD, organisateur de la marche du 7 février, a poursuivi les préparatifs de ce rendez-vous qu’il considère déterminant, comme un vrai test de mobilisation capable d’influer véritablement sur le vote de la loi prévu le 10 février.
Dans un communiqué de presse rendu public le 20 janvier, le comité de direction du mouvement en appelle à un ' sursaut républicain ' et invite ' les Français de tous bords et notamment les familles, à démontrer clairement que les citoyens d’une France républicaine aspirent à vivre ensemble, paisiblement, pacifiquement, dans le respect des diversités en voulant la liberté de chacun, l’égalité pour tous et la fraternité entre les êtres humains '. Un appel au ton extra-communautaire, affichant ainsi la volonté d’éviter la ghettoïsation de la lutte contre l’islamophobie.