Un processus global est en cours, qui s’accélère, c’est l’affaiblissement des démocraties européennes. Il est d’abord dû à l’inconscience trop fréquente avec laquelle nombre de leurs dirigeants gardent l’œil rivé sur les sondages d’opinion, se soumettant à quelques questions démagogiques qui leur masquent souvent les questions réelles, avec des effets catastrophiques. Et la politique de forteresse assiégée qui refuse tous les visas conduit trop souvent des étudiants pourtant francophones d’Afrique, du Maghreb ou d’Orient, à partir vers la Chine plus accueillante ou d’autres pays émergents, plus confiants en eux-mêmes.
Les autres pays sont de plus en plus dubitatifs quant à l’effectivité du droit international et des valeurs démocratiques dont nous nous étions fait les champions. Le Sud global accuse l’Occident d’hypocrisie et de double standard parce qu’on assiste à beaucoup de contradictions et d’incohérences dans ses réponses aux crises actuelles internes et externes. Cela renforce incontestablement le ressentiment, la suspicion et le complotisme. Pour la France, ce n’est pas seulement qu’elle oublie le monde, c’est qu’elle oublie sa propre mondialité, sa pluralité d’ailleurs ancestrale, mais désormais indissociable de son avenir. Or les cicatrices de la période sont réactivées à l’envi, comme s’il fallait rouvrir et envenimer les blessures, par une perpétuelle humiliation.
Les autres pays sont de plus en plus dubitatifs quant à l’effectivité du droit international et des valeurs démocratiques dont nous nous étions fait les champions. Le Sud global accuse l’Occident d’hypocrisie et de double standard parce qu’on assiste à beaucoup de contradictions et d’incohérences dans ses réponses aux crises actuelles internes et externes. Cela renforce incontestablement le ressentiment, la suspicion et le complotisme. Pour la France, ce n’est pas seulement qu’elle oublie le monde, c’est qu’elle oublie sa propre mondialité, sa pluralité d’ailleurs ancestrale, mais désormais indissociable de son avenir. Or les cicatrices de la période sont réactivées à l’envi, comme s’il fallait rouvrir et envenimer les blessures, par une perpétuelle humiliation.
La République doit remplir son rôle de médiateur dans la résolution des conflits
Nos démocraties sont ainsi menacées par de potentielles majorités dangereuses qui voudraient refaire l’unité du corps social en fabriquant un corps étranger à rejeter et expulser. Et ce processus est suicidaire car, une fois lâché et attisé, il génère une rancœur sociétale ou identitaire sans autre fin que la furie de la destruction mutuelle. La République ne peut pas se trahir dans ses valeurs de liberté, égalité et fraternité. Elle doit remplir pleinement son rôle de médiateur dans la résolution des conflits tant au niveau national qu’international. Les Lumières voulaient l’émancipation et la dignité de l’Homme, et n’étaient pas une révolte contre la religion, mais contre l’interprétation dominatrice qui en était donnée.
Pourquoi la parole religieuse est-elle aujourd’hui si souvent embarrassée, humiliée, comme écrasée entre la dérision et le fanatisme ? Certes il y a des entrepreneurs de parole religieuse qui sont bien peu embarrassés car, dans leur milieu, l’embarras serait un aveu de faiblesse de la conviction ! Cependant, l’ironie à l’égard de la religion n’est pas très embarrassée non plus, habituée à faire taire la question.
Dans nos médias, on parle beaucoup de la religion mais on ne laisse pas beaucoup s’exprimer la parole religieuse ; on la cantonne, on la dénigre, elle devient amère et réactionnaire. On explique tout ce qui va mal par un passé religieux ramené à quelques stéréotypes. On n’hésite pas à donner à la laïcité la forme inédite de lectures humiliantes, infantilisantes, méfiantes, sinon méprisantes. On n’encourage guère la critique interne, proprement théologique, des traditions, on ne voit pas qu’il y existe des traditions extrêmement critiques et novatrices.
Pourquoi la parole religieuse est-elle aujourd’hui si souvent embarrassée, humiliée, comme écrasée entre la dérision et le fanatisme ? Certes il y a des entrepreneurs de parole religieuse qui sont bien peu embarrassés car, dans leur milieu, l’embarras serait un aveu de faiblesse de la conviction ! Cependant, l’ironie à l’égard de la religion n’est pas très embarrassée non plus, habituée à faire taire la question.
Dans nos médias, on parle beaucoup de la religion mais on ne laisse pas beaucoup s’exprimer la parole religieuse ; on la cantonne, on la dénigre, elle devient amère et réactionnaire. On explique tout ce qui va mal par un passé religieux ramené à quelques stéréotypes. On n’hésite pas à donner à la laïcité la forme inédite de lectures humiliantes, infantilisantes, méfiantes, sinon méprisantes. On n’encourage guère la critique interne, proprement théologique, des traditions, on ne voit pas qu’il y existe des traditions extrêmement critiques et novatrices.
Le refus que le religieux soit autre chose qu’une affaire purement individuelle et privée ont eu des effets désastreux
La question religieuse a profondément à voir avec l’humiliation du sujet parlant. C’est d’abord par la parole, par le langage, que les sujets donnent forme à leur vie. Comment instituer des sujets parlants, comment les créditer d’une parole, d’une confiance dans leur parole et celle des autres, si on ne cesse d’humilier leur langage ?
Le dialogue interreligieux ou interconvictionnel doit exclure tout préjugé social, culturel ou religieux ; il doit s’engager sincèrement et sans hypocrisie pour une meilleure reconnaissance objective et mutuelle.
Nos démocraties individualistes n’ont pas voulu voir que la culture est toujours liée à une forme de vie. Le refus que le religieux soit autre chose qu’une affaire purement individuelle et privée, la manière dont nous avons fait en sorte que les individus soient autant que possible soustraits à tout milieu religieux, ont eu des effets désastreux, ils ont ruiné la transmission, mais aussi l’inventivité de ces milieux.
La sécularisation ne signifie pas la négation des religions mais plutôt la possibilité d’attester d’une religion ou d’une conviction loin du conformisme communautaire ou social. L’Etat est laïc en France mais la société française n’est pas laïque car la laïcité n’est pas une religion mais un principe juridique protecteur de la diversité des convictions.
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Olivier Abel est philosophe, professeur d’université et membre de l’académie de Nîmes. Mohammed El Mahdi Krabch est théologien, juriste et membre correspondant de l’académie de Nîmes.
Le dialogue interreligieux ou interconvictionnel doit exclure tout préjugé social, culturel ou religieux ; il doit s’engager sincèrement et sans hypocrisie pour une meilleure reconnaissance objective et mutuelle.
Nos démocraties individualistes n’ont pas voulu voir que la culture est toujours liée à une forme de vie. Le refus que le religieux soit autre chose qu’une affaire purement individuelle et privée, la manière dont nous avons fait en sorte que les individus soient autant que possible soustraits à tout milieu religieux, ont eu des effets désastreux, ils ont ruiné la transmission, mais aussi l’inventivité de ces milieux.
La sécularisation ne signifie pas la négation des religions mais plutôt la possibilité d’attester d’une religion ou d’une conviction loin du conformisme communautaire ou social. L’Etat est laïc en France mais la société française n’est pas laïque car la laïcité n’est pas une religion mais un principe juridique protecteur de la diversité des convictions.
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Olivier Abel est philosophe, professeur d’université et membre de l’académie de Nîmes. Mohammed El Mahdi Krabch est théologien, juriste et membre correspondant de l’académie de Nîmes.