Pour la première fois de leur histoire, les Saoudiens votent aujourd’hui dans la province de Ryad. Sur les 470 000 citoyens estimés par les données statistiques, 140 000 seulement se sont inscrits sur les listes pour désigner la moitié des membres des conseils municipaux. L’autre moitié étant choisie par le gouvernement. Cette première expérience démocratique au pays des wahhabites est exclusivement réservée aux hommes. Les femmes du royaume devront attendre 2009 pour vivre l’expérience de l’isoloir.
Le scrutin municipal de Ryad constitue la première des trois phases annoncées. Les provinces de l’est et du sud-est tiendront leurs élections le 3 mars. La région de La Mecque et de Médine voteront le 21 avril. Au terme de ce processus, les saoudiens auront désigné 178 conseillers municipaux. Les candidats ne manquent pas. Pour les sept postes à pourvoir dans ville de Ryad, 646 candidats sont en lice. Un engouement qui s’explique par l’absence d’associations et de partis politiques interdits par la législation saoudienne.
Un pouvoir bicéphale : religieux et politique
Avant le boom pétrolier de 1973, l’Arabie Saoudite n’intéressait pas grand monde. Ce pays était considéré comme un désert stérile où rien ne pousse. Seuls les musulmans s’y rendaient une fois l’an pour accomplir le Hajj, le pèlerinage rituel, l’un des piliers de l’Islam. En dehors de cette période, les lieux saints de l’Islam avaient perdu leur caractère de sainteté.
Déjà au 18e siècle, le chef religieux Muhammad Ibn Abd al-Wahhab avait pris l’initiative de changer cette situation. Il organisa une révolte contre les chiites de la région dans le but d’instaurer un système de pratique conforme à l’Islam. Face à la perdition ambiante, son système sera particulièrement rigoureux. Il est connu sous le nom de wahhabisme.
Fidèles à leur leader religieux, soucieux de préserver l’authenticité des valeurs prônées par l’Islam, les partisans du Cheikh Abd al-Wahhab passent une alliance avec la dynastie Saoud pour fonder un Etat sur les bases de l’Islam. Les affaires politiques sont alors conduites par les Saoud et les affaires religieuses contrôlées par les dignitaires de la lignée d’Abd al-Wahhab. A ce jour, cet équilibre bicéphale fondateur guide chacun des aspects de la vie publique de l’Arabie saoudite sur le plan national et sur le plan international.
Grâce à la manne pétrolière, les bédouins ignorés hier sont les princes d’aujourd’hui. Par la force de leur argent, ils sont au cœur des grandes décisions de ce monde. Le père fondateur du wahhabisme n’expliquait-il pas que son peuple ne retrouvera pas sa splendeur avant d’avoir renoué avec une pratique convenable de l’Islam ? Ses successeurs n'ont pas su adapter son discours. Il est aujourd'hui que la rigueur excessive prônée par le wahhabisme et distillée à travers le monde à coups de pétrodollars, côtoie la bombance nouvelle des princes plus connus pour leurs frasques financières de nouveaux riches que pour leur dévotion religieuse. Une situation de schizophrénie nationale généralisée qui ne peut pas durer éternellement.
La réforme ne se fera pas sans les femmes
Dans un tel contexte, toute réforme exige une prudence extrême. Il a fallu près de vingt années de débat national pour que la télévision soit admise par les autorités religieuses wahhabites qui y voyaient un instrument de perversion. Mais depuis 2003, les autorités politiques saoudiennes ont lancé un processus dit de ' dialogue national ' sous forme de conférences réunissant des universitaires, des religieux et des acteurs économiques. Les thématiques sur le fondamentalisme religieux, l'éducation, la place de la femme dans la société et les problèmes de la jeunesse ont ainsi été traitées. Et si les femmes ne sont pas autorisées à voter à ces premières élections cela est bien le cadet de leurs soucis. Car avant d’avoir le droit d’aller voter, il faudrait peut-être qu’elles aient le droit de passer leur permis de conduire afin de se déplacer à leur guise. L’histoire a bien montré que la réforme ne peut se faire sans les femmes. L'Arabie Saoudite n'y coupera pas.
Ces premières élections sont donc incontestablement un pas significatif vers un nouvel équilibre saoudien qui mériterait un intérêt plus grand des autorités françaises. Les Américains l’ont compris et accompagnent le mouvement actuel. A ce jour, il n’y a pas de centre de recherche français en Arabie Saoudite. Cette année, 20 000 pèlerins musulmans français se sont rendus à La Mecque.