Un chiffre tourne en boucle dans les médias depuis dimanche 18 septembre : 28 %, près d'un tiers des musulmans de France, seraient des « ultras », pouvant constituer une source de danger potentiel pour la République aux yeux de politiques et d'intellectuels qui font de la peur de l'islam un business. Ce chiffre est extrait du rapport de l'Institut Montaigne « Un islam français est possible », sous la direction de Hakim El Karoui, membre associé du think-tank.
Comment en est-on arrivé là ? L’Institut Montaigne a commandé un sondage IFOP auprès de personnes à référence musulmane, un groupe extrait d’un vaste échantillon dit représentatif de la population résidant en France métropolitaine comptant 15 459 personnes de 15 ans et plus. Très loin des trois à quatre millions de musulmans en France (voir encadré), ont été retenus 1 029 individus, parmi lesquels 874 se définissent comme « musulmans », interrogés entre le 13 avril et le 23 mai 2016.
Comment en est-on arrivé là ? L’Institut Montaigne a commandé un sondage IFOP auprès de personnes à référence musulmane, un groupe extrait d’un vaste échantillon dit représentatif de la population résidant en France métropolitaine comptant 15 459 personnes de 15 ans et plus. Très loin des trois à quatre millions de musulmans en France (voir encadré), ont été retenus 1 029 individus, parmi lesquels 874 se définissent comme « musulmans », interrogés entre le 13 avril et le 23 mai 2016.
Des groupes de profils très réducteurs
Le sondage fait, trois groupes de musulmans – dont la pertinence est à interroger tant les identités et les parcours de vie sont complexes - ont été construites : la « majorité silencieuse », les « conservateurs » et les « autoritaires ».
La première (46 % des sondés, qui deviendront plus tard, à force de raccourcis, « la moitié des musulmans de France ») regroupe des personnes « sécularisées » qui sont « en train d’achever leur intégration dans le système de valeurs de la France contemporaine » sans renier pour autant leur religion, « souvent identifiée au halal ». Ils ont « une pratique religieuse nettement plus régulière que la moyenne nationale ».
Le second groupe (25 %), dont bien des aspects pourraient se confondre avec le premier, est « plus composite », comptant d’individus « fiers d’être musulmans » et « très pieux » sans pour autant placer « la charia » - un mot-valise si mal compris et à la source de nombreux amalgames – « devant la loi de la République ». « Ils rejettent très clairement le niqab et la polygamie et acceptent la laïcité », indique-t-on.
La première (46 % des sondés, qui deviendront plus tard, à force de raccourcis, « la moitié des musulmans de France ») regroupe des personnes « sécularisées » qui sont « en train d’achever leur intégration dans le système de valeurs de la France contemporaine » sans renier pour autant leur religion, « souvent identifiée au halal ». Ils ont « une pratique religieuse nettement plus régulière que la moyenne nationale ».
Le second groupe (25 %), dont bien des aspects pourraient se confondre avec le premier, est « plus composite », comptant d’individus « fiers d’être musulmans » et « très pieux » sans pour autant placer « la charia » - un mot-valise si mal compris et à la source de nombreux amalgames – « devant la loi de la République ». « Ils rejettent très clairement le niqab et la polygamie et acceptent la laïcité », indique-t-on.
Une extrapolation problématique
C’est le troisième qui fait jaser tant elle recouvre de nombreuses réalités mais fait naître de dangereuses conclusions auprès des politiques. Ce groupe regroupe en effet deux catégories dont la distinction est difficilement compréhensible, comme les classes qui font le premier et le second groupe.
La sixième catégorie (15 % des sondés) se distingue de la cinquième en prônant « une vision plus "dure" des pratiques religieuses ». « En revanche, elle valorise la foi comme un élément privé et non comme un élément public. Presque tous ses membres valorisent le port du niqab et près de 50 % contestent la laïcité tout en étant favorables à l’expression de la religion sur le lieu de travail », lit-on.
Pourtant, une contradiction est visible : considérant la foi comme un élément privé, un fondement de la laïcité (dans l’esprit de la loi de 1905), les personnes du groupe déclarent dans le même temps la contester. Il est important d'intégrer l'idée que les compréhensions de la laïcité - comme de « la charia » - peuvent être multiples et variées selon les personnes interrogées, ce qui biaise des analyses du sondage, comme tant d'autres avant lui. Par ailleurs, être favorable à l’expression de la religion sur le lieu de travail n'est pas incompatible avec la laïcité dans le secteur privé.
Ce groupe des « ultras » est « le plus problématique », réunissant des musulmans « majoritairement jeunes, peu qualifiés et peu insérés dans l’emploi » et habitant les quartiers populaires périphériques des grandes agglomérations selon l’Institut. Ces derniers « ont adopté un système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République ». « 28 % des musulmans de France peuvent être regroupés dans ce groupe qui mélange à la fois des attitudes autoritaires et d’autres que l’on pourrait qualifier de "sécessionnistes". L’islam est un moyen pour eux de s’affirmer en marge de la société française », décrit le rapport. En conclusion, on lira même, point aggravant de l'analyse que nous relevons, que « l’antisémitisme est ainsi devenu un marqueur d’appartenance pour ce groupe, qui se pose à la fois en victime de puissances hostiles et en porteur d’une solution : l’islam ».
Pourtant, une contradiction est visible : considérant la foi comme un élément privé, un fondement de la laïcité (dans l’esprit de la loi de 1905), les personnes du groupe déclarent dans le même temps la contester. Il est important d'intégrer l'idée que les compréhensions de la laïcité - comme de « la charia » - peuvent être multiples et variées selon les personnes interrogées, ce qui biaise des analyses du sondage, comme tant d'autres avant lui. Par ailleurs, être favorable à l’expression de la religion sur le lieu de travail n'est pas incompatible avec la laïcité dans le secteur privé.
Ce groupe des « ultras » est « le plus problématique », réunissant des musulmans « majoritairement jeunes, peu qualifiés et peu insérés dans l’emploi » et habitant les quartiers populaires périphériques des grandes agglomérations selon l’Institut. Ces derniers « ont adopté un système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République ». « 28 % des musulmans de France peuvent être regroupés dans ce groupe qui mélange à la fois des attitudes autoritaires et d’autres que l’on pourrait qualifier de "sécessionnistes". L’islam est un moyen pour eux de s’affirmer en marge de la société française », décrit le rapport. En conclusion, on lira même, point aggravant de l'analyse que nous relevons, que « l’antisémitisme est ainsi devenu un marqueur d’appartenance pour ce groupe, qui se pose à la fois en victime de puissances hostiles et en porteur d’une solution : l’islam ».
De dangeureuses conclusions
Et c’est bien ce dernier groupe de musulmans qui éclipse les deux autres sur le plan médiatique et politique. L'amalgame est tentant : de 28 % des 1 029 sondés, et alors que, selon l'Institut, « il convient d’utiliser ses résultats avec précaution et mesure »*, on est vite passé à « un tiers des musulmans de France » pour les uns, « un million de musulmans » pour les autres. Une extrapolation à la source de dangereuses conclusions.
« Une étude révèle qui (les musulmans de France) sont, ce qu’ils pensent et comment ils vivent. » Depuis l'article du JDD à l'accroche polémique, les journaux se sont principalement concentrés sur le chiffre de la peur. « Un tiers des musulmans ne se reconnaissent pas dans la République », lance par exemple RTL, pour qui « les musulmans français sont partagés entre majorité silencieuse et fondamentalisme ».
Mais d'autres ne se privent pas d'aller plus loin. « Musulmans de France, l’enquête qui fait peur », titre Causeur, qui n’a lui aussi retenu que le chiffre de 28 % « fans de la charia ». « Près d’un tiers des musulmans vivant dans notre pays vivent mentalement dans une toute autre contrée. (…) Combien seront-ils, dans dix ans, à être passés de la charia au jihad ? », écrit sa fondatrice Elisabeth Lévy, qui partage les mêmes thèses qu'Eric Zemmour et autres réactionnaires sur l'islam.
Interrogé par Saphirnews, Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), estime que le chiffre annoncé est « grave » et est « de nature à stigmatiser davantage les musulmans ». Mais dans les rangs de la droite, on s'en donne à cœur joie depuis la parution du rapport. « Je retiens aussi qu'un tiers des musulmans français sont radicalisés ou en voie de radicalisation, et que cela augmente », a jugé François Fillon sur Europe 1. Du pain-bénit pour la députée FN Marion-Maréchal Le Pen qui tweete : « 28% de radicaux ? S'il y a 6 millions de musulmans en France cela fait 1,5 million ! » Comme à sa (malheureuse) habitude, Robert Ménard n’y va pas sur le dos de la cuillère.
« Une étude révèle qui (les musulmans de France) sont, ce qu’ils pensent et comment ils vivent. » Depuis l'article du JDD à l'accroche polémique, les journaux se sont principalement concentrés sur le chiffre de la peur. « Un tiers des musulmans ne se reconnaissent pas dans la République », lance par exemple RTL, pour qui « les musulmans français sont partagés entre majorité silencieuse et fondamentalisme ».
Mais d'autres ne se privent pas d'aller plus loin. « Musulmans de France, l’enquête qui fait peur », titre Causeur, qui n’a lui aussi retenu que le chiffre de 28 % « fans de la charia ». « Près d’un tiers des musulmans vivant dans notre pays vivent mentalement dans une toute autre contrée. (…) Combien seront-ils, dans dix ans, à être passés de la charia au jihad ? », écrit sa fondatrice Elisabeth Lévy, qui partage les mêmes thèses qu'Eric Zemmour et autres réactionnaires sur l'islam.
Interrogé par Saphirnews, Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), estime que le chiffre annoncé est « grave » et est « de nature à stigmatiser davantage les musulmans ». Mais dans les rangs de la droite, on s'en donne à cœur joie depuis la parution du rapport. « Je retiens aussi qu'un tiers des musulmans français sont radicalisés ou en voie de radicalisation, et que cela augmente », a jugé François Fillon sur Europe 1. Du pain-bénit pour la députée FN Marion-Maréchal Le Pen qui tweete : « 28% de radicaux ? S'il y a 6 millions de musulmans en France cela fait 1,5 million ! » Comme à sa (malheureuse) habitude, Robert Ménard n’y va pas sur le dos de la cuillère.
Tout sondage a ses limites. Conclure qu'un tiers des musulmans de France sont un danger potentiel pour la France est tout aussi faux qu'irresponsable. Si cette conclusion n'est pas tout à fait celle de l'Institut Montaigne, pour qui « la question sociale est la priorité des musulmans interrogés, bien avant les questions religieuses ou identitaires », ce dernier a sérieusement minimisé l'impact quant à la diffusion d'un chiffre aussi énorme et non crédité sur le terrain, dans une France en pleine islamo-psychose.
*Le think-tank reconnaît qu'un écart conséquent est possible : « La marge d’erreur moyenne d’un sondage effectué auprès d’un échantillon de 1 000 personnes est d’environ 3 %, celle inhérente à l’analyse d’un sous-groupe dans ce même échantillon augmente sensiblement et peut s’élever entre 6 et 8 %. » Mais « la marge d'erreur moyenne » pourrait tout aussi être revue à la baisse... comme à la hausse, rien ne le dit dans le rapport.
*Le think-tank reconnaît qu'un écart conséquent est possible : « La marge d’erreur moyenne d’un sondage effectué auprès d’un échantillon de 1 000 personnes est d’environ 3 %, celle inhérente à l’analyse d’un sous-groupe dans ce même échantillon augmente sensiblement et peut s’élever entre 6 et 8 %. » Mais « la marge d'erreur moyenne » pourrait tout aussi être revue à la baisse... comme à la hausse, rien ne le dit dans le rapport.
Le nombre de musulmans en France, un chiffre revu à la baisse : inédit ?
Cinq à six millions de musulmans en France ? L’Institut Montaigne indique dans son rapport que leur nombre est largement surestimé - sans ne citer aucun chiffre - et qu'ils constituent plus exactement « 5,6 % de la population de plus de 15 ans en métropole », soit entre trois et quatre millions en incluant les moins de 15 ans. Une information qui n’est pas nouvelle : un rapport de l’Institut national d'études démographique (Ined) dont Saphirnews avait relayé les conclusions en juillet 2013 estimait alors le nombre de 4,1 millions de musulmans en France, tous âges confondus. Dans ce rapport, les préjugés tenaces sur le « communautarisme musulman » avaient d'ailleurs été balayés par les statistiques.
Cinq à six millions de musulmans en France ? L’Institut Montaigne indique dans son rapport que leur nombre est largement surestimé - sans ne citer aucun chiffre - et qu'ils constituent plus exactement « 5,6 % de la population de plus de 15 ans en métropole », soit entre trois et quatre millions en incluant les moins de 15 ans. Une information qui n’est pas nouvelle : un rapport de l’Institut national d'études démographique (Ined) dont Saphirnews avait relayé les conclusions en juillet 2013 estimait alors le nombre de 4,1 millions de musulmans en France, tous âges confondus. Dans ce rapport, les préjugés tenaces sur le « communautarisme musulman » avaient d'ailleurs été balayés par les statistiques.
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