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Rebiya Kadeer, la porte-drapeau des Ouïghours : « Notre indépendance, une vraie question de vie ou de mort »

Rédigé par Gianguglielmo Lozato | Lundi 29 Juin 2020 à 11:00

           

Tandis que la Chine de Xi Jinping s’affirme toujours plus dans le concert des nations, le peuple ouïghour, turcophone et musulman, poursuit sa descente aux enfers. Rebiya Kadeer, présidente du Congrès mondial ouïghour depuis 2006, est la plus célèbre des dissidentes ouïghoures. Aussi appelée « la mère des Ouïghours », celle qui est mère de 11 enfants s’exprime depuis les Etats-Unis où elle vit en exil depuis sa libération des geôles chinoises en 2005. C’est au détour d’une rencontre à Washington que l’interview de cette militante âgée de 73 ans, conspuée par Pékin, a été réalisée en plusieurs étapes, d’abord à son domicile, puis dans son quartier général situé non loin de la Maison Blanche. Un entretien amical mais aussi franc durant lequel Rebiya Kadeer nous fait part de la situation et des aspirations du Turkestan oriental, nom que les Ouïghours donnent à la région du Xinjiang.



Rebiya Kadeer, présidente du Congrès mondial ouïghour depuis 2006, est la plus célèbre des dissidentes ouïghoures. © Parlement européen / Pietro Naj-Oleari
Rebiya Kadeer, présidente du Congrès mondial ouïghour depuis 2006, est la plus célèbre des dissidentes ouïghoures. © Parlement européen / Pietro Naj-Oleari

Bonjour Rebiya Kadeer. Tout d'abord merci pour la confiance qui nous est accordée afin de réaliser cette rencontre.

Rebiya Kadeer : C'est tout à fait normal. Nous devons nous ouvrir pour nous faire connaître. Et puis j'ai été tellement bien accueillie en Europe, surtout en France, que je me dois de vous accueillir.

Vous êtes exilée aux États-Unis depuis plusieurs années. Quel est votre ressenti par rapport à l'organisation du gouvernement du Turkestan oriental en exil ici-même aux États-Unis, présidé par Erkin Ablimit (depuis novembre 2019) ?

Rebiya Kadeer : Je suis très satisfaite de la tenue et de l'aboutissement de cet événement. Je soutiens totalement ce gouvernement en exil. Je le reconnais officiellement et lui souhaite bonne chance. Cela fait longtemps que je suis son action alors qu'il n'était qu'en préparation.

Quelle est aujourd’hui votre place et votre rôle vis-à-vis de ce gouvernement ouïghour en exil ?

Rebiya Kadeer : Moi, je reste aux côtés de ce gouvernement et de son président démocratiquement élu. Comme vous avez pu le constater par vous-même, je suis là pour dialoguer, encourager. Je laisse ce gouvernement évoluer par lui-même. Je me présente prioritairement comme dissidente, partisane d'une vraie autonomie (pour le Turkestan oriental, ndlr) sous la forme d'une indépendance. Je me présente comme la mère des Ouïghours à travers le monde, une mère protectrice.

Erkin Ablimit
Erkin Ablimit
Je suis ouvertement partisane de ce gouvernement formé en exil, avec à sa tête Erkin Ablimit. Attention toutefois, il faut rester vigilant. Il faut toujours faire en sorte de concilier nos convictions avec le respect des lois, qu’il s’agisse des lois promulguées par notre gouvernement en exil ou des lois qui nous encadrent dans les pays où les membres de notre communauté sont exilés.

Je tiens à insister sur un point bien précis : certains autres groupes ouïghours existent à l'étranger mais je ne soutiens que ce mouvement précis mené par Erkin Ablimit, responsable au départ de l'Association des Ouïghours de France, et qui représentera par la suite l'Union Internationale Ouïghoure.

Pourquoi ce mouvement aurait-il plus de légitimité ?

Rebiya Kadeer : Car il fonctionne selon des bases précises, rendues le plus simples possible, et il est démocratique. Il est vraiment très actif pour ce qui est d'informer les gens (sur la cause ouïghoure).

Qu'est-ce que vous ne cautionnez pas chez les autres par exemple ?

Rebiya Kadeer : Le manque de clarté avant tout. Ensuite, il s'agit d'un travail régulier, la dissidence, sur le long terme. En cette période troublée internationalement, il faut détecter au plus vite les intentions.

Je tiens à préciser que nous, les Ouïghours, ne sommes pas des terroristes, contrairement à la récupération faite par la Chine suite aux attentats de groupes radicaux islamistes à travers le monde. Nous n'avons rien à voir avec tout cela. Il y a d’ailleurs même des Ouïghours chrétiens. Justement c'est pour cela que je soutiens exclusivement le gouvernement qui est élu ici aux Etats-Unis car il agit avec un esprit de concertation. Il a un aspect laïque et démocratique, loin d'être obscurantiste puisque même des femmes y participent. Alors je le répète, nous ne sommes pas des terroristes !

Vous venez d'évoquer un acteur important, la Chine. Même à distance, ressentez-vous les pressions exercées par les autorités chinoises ?

Rebiya Kadeer : Bien sûr que oui ! Des pressions sont exercées sur moi et tous les Ouïghours qui résident ici aux États-Unis. Je peux vous citer un épisode survenu il y a dix ans : une voiture m'a délibérément foncé dessus, me cassant les deux jambes et m'envoyant à l'hôpital pour six mois. Ces intimidations continuent et depuis quelques temps, elles reprennent même en s'accentuant.

On doit récupérer notre pays, c'est le principal. C'est vital. C’est une vraie question de vie ou de mort. Les Chinois exercent une pression totale sur nous. Tout le temps. Par conséquent, se séparer d'eux permettrait d'éviter un génocide déjà entamé. Sans indépendance, plus de vie possible.

Vous résidez aux Etats-Unis et vous avez été reçu dans bien des endroits à travers le monde, dont l'Europe. Qu'en est-il du relationnel avec les pays turcophones ?

Rebiya Kadeer : Aucun autre pays turcophone ne nous soutient plus franchement, l'argent en étant la principale raison. Puis, par extension, l'ensemble des pays musulmans nous ont déçus, à l'instar du Pakistan. Nous sommes tous très déçus. Après, chacun a ses problèmes. Le Printemps arabe a un peu fait diversion, ce qui peut se comprendre d'une certaine manière, et la Chine en a profité.

Lire aussi : Le soutien affiché de pays musulmans à la Chine contre les Ouïghours dénoncé

Que faire ? Quel serait votre première réaction lors de la proclamation de votre indépendance ?

Rebiya Kadeer : Tout d' abord, sensibiliser encore plus l'opinion publique et les gouvernements afin d’alerter vraiment le monde entier sur la nature des événements. Il faut que tous les pays possibles cherchent à intervenir en informant ou en agissant sous diverses formes, diplomatiques ou commerciales. Que ce soit les États-Unis ou d'autres. Par exemple pourquoi pas la France, en reconnaissant l'existence de notre gouvernement en exil ? Nous souhaitons vivement qu'elle le fasse, cela donnerait l'exemple aux autres pays européens.

Le jour où le Turkestan oriental aura son indépendance, je serai impatiente de m'y rendre, c'est une évidence. À condition que le processus démocratique soit en marche pour effacer la dictature communiste destructrice.

Afin de conclure l'entretien, pourriez-vous délivrer un dernier message ?

Rebiya Kadeer : Alors un message pacificateur sur le fond, c'est le principal. Ensuite, sur la forme, un message multiple, c'est-à-dire celui (appelant à) apprendre à tenir compte des différences, non à les niveler pour les gommer comme le font les Chinois avec nous comme avec d'autres minorités que sont les chrétiens, les adeptes de Falun Gong, les Tibétains...

La gentillesse vous savez, c'est plus que la simple amabilité de répondre aux sollicitations d'un journaliste. En fait, j'ai un devoir d'information, comme vous, mais aussi de prévention. La gentillesse, c'est la compassion, c'est de s'ouvrir aux autres, ce que faisaient au départ les membres de mon peuple avec les caravaniers de la Route de la Soie.

Je dis aux nations qui ne nous connaissent pas « Croyez en nous ». Nous sommes ouverts à l'idée d'une économie de marché non expansionniste à sens unique. Là encore, nous nous différencions de celles et ceux qui gouvernent la Chine en chantant le radicalisme communiste associé au protectionnisme méprisant. Avant que je n'oublie, je remercie les avancées du Congrès américain qui a su prendre le temps de nous écouter dès le départ.

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