S’il est un événement qui aura marqué ce début de XXIe siècle en laissant une trace indélébile dans l’histoire, c’est bien la révolution tunisienne. Premier des « printemps arabes » [1] de l’année 2011, elle déclencha le soulèvement des peuples d’Afrique du Nord, opprimés depuis trop longtemps par des régimes autocratiques. C’est cette rupture historique que l’ouvrage L’invention d’une démocratie. Les leçons de l’expérience tunisienne* du président tunisien Moncef Marzouki se propose d’éclairer, afin d’en tirer les conséquences pour l’avenir du pays.
Bilan historique provisoire, témoignage manifeste politique… il est difficile de définir l’ouvrage de Moncef Marzouki. Né en 1945, Marzouki est écrivain, médecin et militant des droits de l’homme. Fondateur du Comité national pour les libertés en Tunisie (CNLT) en 1998, il a dirigé de 1989 à 1992 la Ligue tunisienne des droits de l’homme. L’auteur n’en est pas à ses premiers écrits sur le printemps arabe. Il pressentait ainsi la fin des dictatures arabes, il y a quelques années de cela [2], lorsqu’il était un opposant traqué par le pouvoir.
Depuis le 12 décembre 2011, Marzouki est président de la République tunisienne. Il partage aujourd’hui le pouvoir avec un gouvernement dominé par les islamistes du parti Ennahda de Rached Ghannouchi [3].
Bilan historique provisoire, témoignage manifeste politique… il est difficile de définir l’ouvrage de Moncef Marzouki. Né en 1945, Marzouki est écrivain, médecin et militant des droits de l’homme. Fondateur du Comité national pour les libertés en Tunisie (CNLT) en 1998, il a dirigé de 1989 à 1992 la Ligue tunisienne des droits de l’homme. L’auteur n’en est pas à ses premiers écrits sur le printemps arabe. Il pressentait ainsi la fin des dictatures arabes, il y a quelques années de cela [2], lorsqu’il était un opposant traqué par le pouvoir.
Depuis le 12 décembre 2011, Marzouki est président de la République tunisienne. Il partage aujourd’hui le pouvoir avec un gouvernement dominé par les islamistes du parti Ennahda de Rached Ghannouchi [3].
La fin du « syndrome autoritaire » [4] arabe
Opposant de longue date du régime de Ben Ali, il est à la fois l’un des acteurs et le témoin privilégié de sa chute dont il explique les ressorts dans son ouvrage. L’auteur souligne ainsi le grand paradoxe que fût, pendant de longues années, la situation de la Tunisie, société avancée, stable, industrialisée et pourtant sous la coupe d’une dictature. Il affirme ainsi que « la Tunisie était prête pour la démocratie dans les années 1980 » [5].
Si Ben Ali est resté en place si longtemps, ce serait « avant tout par des facteurs externes » [6]. L’opposition à Israël, bouc-émissaire idéal pour les régimes autoritaires arabes, mais aussi le soutien occidental aux dictateurs ainsi que leur peur de l’islamisme auraient ainsi permis à Ben Ali de se maintenir artificiellement. Selon lui, l’attitude occidentale « n’était pas seulement lié à la défense de leurs intérêts (ou supposés tels), mais aussi à un racisme plus ou moins conscient, impliquant que les sociétés arabes seraient définitivement allergiques à l’ambition démocratique » [7].
Dès lors, il est normal que la révolution tunisienne ait tant surpris : « D’une part, la révolution a été rapide, relativement peu sanglante et réalisée sans intervention extérieure. De l’autre, le processus de démocratisation est fondé sur la volonté partagée de trouver un consensus entre les deux grandes composantes fondamentales de la société : la partie moderniste et la partie traditionaliste » [8], alors que beaucoup craignaient la montée de l’islam radical.
Si Ben Ali est resté en place si longtemps, ce serait « avant tout par des facteurs externes » [6]. L’opposition à Israël, bouc-émissaire idéal pour les régimes autoritaires arabes, mais aussi le soutien occidental aux dictateurs ainsi que leur peur de l’islamisme auraient ainsi permis à Ben Ali de se maintenir artificiellement. Selon lui, l’attitude occidentale « n’était pas seulement lié à la défense de leurs intérêts (ou supposés tels), mais aussi à un racisme plus ou moins conscient, impliquant que les sociétés arabes seraient définitivement allergiques à l’ambition démocratique » [7].
Dès lors, il est normal que la révolution tunisienne ait tant surpris : « D’une part, la révolution a été rapide, relativement peu sanglante et réalisée sans intervention extérieure. De l’autre, le processus de démocratisation est fondé sur la volonté partagée de trouver un consensus entre les deux grandes composantes fondamentales de la société : la partie moderniste et la partie traditionaliste » [8], alors que beaucoup craignaient la montée de l’islam radical.
« Créer une démocratie du XXIe siècle » [9]
Marzouki explique que la Révolution ne saurait se résumer à la seule chute du tyran. Elle doit se traduire par la mise en œuvre d’une transition démocratique. Après des décennies d’Etat policier, la difficulté est de savoir renouveler le contrat social entre l’État et ses citoyens : « Les attentes et les ingrédients démocratiques sont bien là […]. Mais il nous faut réarticuler les liens entre le social et le politique en restructurant l’espace public. Le processus se met en place, mais il n’est pas organisé d’en haut » [10].
Le président avertit contre les dangers d’une fausse alternative : « Les Arabes sont face à deux projets : d’un côté, l’islamisme salafiste et djihadiste qui propose toujours une justice sans liberté […]. De l’autre, une démocratie occidentale de plus en plus néolibéralisée pour qui la justice sociale est une question secondaire » 11].
Marzouki propose de développer une troisième voie. Il défend la création d’un système politique mixte, à la fois parlementaire et présidentiel. Ce nouvel Etat « doit en priorité s’intéresser aux droits économiques et sociaux exactement comme elle se préoccupe des droits politiques » [12]. Une économie saine, une lutte effrénée contre la corruption et le soutien à la société civile constitueront, selon lui, des outils essentiels pour redonner le goût de la participation politique aux Tunisiens.
Le président avertit contre les dangers d’une fausse alternative : « Les Arabes sont face à deux projets : d’un côté, l’islamisme salafiste et djihadiste qui propose toujours une justice sans liberté […]. De l’autre, une démocratie occidentale de plus en plus néolibéralisée pour qui la justice sociale est une question secondaire » 11].
Marzouki propose de développer une troisième voie. Il défend la création d’un système politique mixte, à la fois parlementaire et présidentiel. Ce nouvel Etat « doit en priorité s’intéresser aux droits économiques et sociaux exactement comme elle se préoccupe des droits politiques » [12]. Une économie saine, une lutte effrénée contre la corruption et le soutien à la société civile constitueront, selon lui, des outils essentiels pour redonner le goût de la participation politique aux Tunisiens.
L’islamisme, un faux problème ?
L’auteur revient également sur la victoire d’Ennahda aux élections de la fin 2011 qui avait suscité de vives polémiques, notamment chez les commentateurs occidentaux. L’islamisme de ce parti serait en fait un faux problème. L’auteur va jusqu’à affirmer qu’« il est pertinent de comparer les islamistes tunisiens d’aujourd’hui à la démocratie chrétienne d’hier » [13].
Il serait, selon lui, erroné de croire qu’Ennahda souhaite, derrière une façade libérale, instaurer à terme un régime théocratique. Selon lui, le parti islamiste ne tient pas « un double discours, mais un ensemble de discours multiples et parfois contradictoires, expression des différentes tendances à l’œuvre dans leur mouvement » [14].
Il serait, selon lui, erroné de croire qu’Ennahda souhaite, derrière une façade libérale, instaurer à terme un régime théocratique. Selon lui, le parti islamiste ne tient pas « un double discours, mais un ensemble de discours multiples et parfois contradictoires, expression des différentes tendances à l’œuvre dans leur mouvement » [14].
Une nouvelle dynamique méditerranéenne ?
Dans le domaine diplomatique, Marzouki appelle au développement de nouvelles relations entre la Tunisie et ses voisins.
Si la France, malgré son soutien à la dictature désormais déchue, doit demeurer un allié majeur l’essentiel demeure cependant les relations avec les autres nations arabes. L’auteur appelle ainsi à un nouveau panarabisme, susceptible d’apporter une solution au problème palestinien : « Aujourd’hui, l’enjeu me semble prioritairement de commencer par unir le monde arabe démocratique sur le modèle de la construction européenne et, si nous y parvenons, le problème du conflit israélo-palestinien ne se posera plus de la même façon » [15].
Si la France, malgré son soutien à la dictature désormais déchue, doit demeurer un allié majeur l’essentiel demeure cependant les relations avec les autres nations arabes. L’auteur appelle ainsi à un nouveau panarabisme, susceptible d’apporter une solution au problème palestinien : « Aujourd’hui, l’enjeu me semble prioritairement de commencer par unir le monde arabe démocratique sur le modèle de la construction européenne et, si nous y parvenons, le problème du conflit israélo-palestinien ne se posera plus de la même façon » [15].
Le Qatar, ami de la démocratie ou fin stratège ?
Si le Qatar a soutenu la révolution tunisienne, on peut toutefois se demander si cette autocratie est un allié honnête ou agit par recherche d’influence.
Mais l’auteur se garde bien de critiquer l’émirat : « On entend souvent dire que, grâce à leur argent, les Etats du Golfe joueraient désormais un rôle considérable au Maghreb et on incrimine le plus souvent les Qataris, alors que ces derniers ont montré une volonté sincère d’aider la révolution tunisienne » [16].
Mais l’auteur se garde bien de critiquer l’émirat : « On entend souvent dire que, grâce à leur argent, les Etats du Golfe joueraient désormais un rôle considérable au Maghreb et on incrimine le plus souvent les Qataris, alors que ces derniers ont montré une volonté sincère d’aider la révolution tunisienne » [16].
Artisan de la démocratie ou « vendeur de paroles » ?
Cette indulgence à l’égard du Qatar nourrit une des critiques dont fait l’objet le président tunisien. Marzouki est accusé par certains de n’être qu’un « vendeur de paroles » [17] qui, à défaut de mettre en œuvre une véritable transition démocratique, servirait d’autres intérêts que ceux de son pays.
A ce titre, il demeure pertinent de ne pas prendre cet ouvrage au mot, mais de le lire avant tout comme un message politique de la part d’un dirigeant de plus en plus décrié.
* Moncef Marzouki, L’invention d’une démocratie. Les leçons de l’expérience tunisienne, Paris, La Découverte, avril 2013, 177 pages, 11,99 €.
Notes
[1] Les « printemps arabes » constituent des révoltes populaires qui ont touché l’ensemble (ou presque) des pays arabes, du Maghreb au Proche-Orient, pour des raisons économiques, sociales et politiques, au cours de l’année 2011. Ils se sont traduits par différentes situations, suivant les contextes locaux : chute du régime dictatorial (Tunisie), guerre civile (Libye, Syrie…) ou bien statu-quo voire réformes superficielles (Maroc, Algérie…).
[2] Moncef Marzouki, Dictateurs en sursis. Une voie démocratique pour le monde arabe. Entretien avec Vincent Geisser, L’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2009.
[3] Rached Ghannouchi (1941– ) est le fondateur et président du parti islamiste Ennahda. Exilé à Londres au début des années 1990 du fait d’une répression des mouvances islamistes par Ben Ali, il est de retour en Tunisie à la suite de la révolution tunisienne de 2011.
[4] L’expression est de Vincent Geisser et Michel Camau et désigne le paradoxe selon lequel les nations arabes, bien que modernisées, soient restées sous la domination de régimes dictatoriaux pendant si longtemps, laissant à penser que ces populations n’étaient peut-être pas prêtes pour la démocratie.
[5] Moncef Marzouki, L’invention d’une démocratie. Les leçons de l’expérience tunisienne, Paris, La Découverte, avril 2013, p. 7.
[6] Ibid, p. 7.
[7] Ibid, p. 8.
[8] Ibid, p. 10.
[9] Ibid, p. 55.
[10] Ibid, p. 37.
[11] Ibid, p. 174.
[12] Ibid, p. 57.
[13] Ibid, p. 88.
[14] Ibid, p. 95.
[15] Ibid, p. 155.
[16] Ibid, p. 100.
[17] Courrier International, Moncef Marzouki se moque du monde, 12 avril 2013.
A ce titre, il demeure pertinent de ne pas prendre cet ouvrage au mot, mais de le lire avant tout comme un message politique de la part d’un dirigeant de plus en plus décrié.
* Moncef Marzouki, L’invention d’une démocratie. Les leçons de l’expérience tunisienne, Paris, La Découverte, avril 2013, 177 pages, 11,99 €.
Notes
[1] Les « printemps arabes » constituent des révoltes populaires qui ont touché l’ensemble (ou presque) des pays arabes, du Maghreb au Proche-Orient, pour des raisons économiques, sociales et politiques, au cours de l’année 2011. Ils se sont traduits par différentes situations, suivant les contextes locaux : chute du régime dictatorial (Tunisie), guerre civile (Libye, Syrie…) ou bien statu-quo voire réformes superficielles (Maroc, Algérie…).
[2] Moncef Marzouki, Dictateurs en sursis. Une voie démocratique pour le monde arabe. Entretien avec Vincent Geisser, L’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2009.
[3] Rached Ghannouchi (1941– ) est le fondateur et président du parti islamiste Ennahda. Exilé à Londres au début des années 1990 du fait d’une répression des mouvances islamistes par Ben Ali, il est de retour en Tunisie à la suite de la révolution tunisienne de 2011.
[4] L’expression est de Vincent Geisser et Michel Camau et désigne le paradoxe selon lequel les nations arabes, bien que modernisées, soient restées sous la domination de régimes dictatoriaux pendant si longtemps, laissant à penser que ces populations n’étaient peut-être pas prêtes pour la démocratie.
[5] Moncef Marzouki, L’invention d’une démocratie. Les leçons de l’expérience tunisienne, Paris, La Découverte, avril 2013, p. 7.
[6] Ibid, p. 7.
[7] Ibid, p. 8.
[8] Ibid, p. 10.
[9] Ibid, p. 55.
[10] Ibid, p. 37.
[11] Ibid, p. 174.
[12] Ibid, p. 57.
[13] Ibid, p. 88.
[14] Ibid, p. 95.
[15] Ibid, p. 155.
[16] Ibid, p. 100.
[17] Courrier International, Moncef Marzouki se moque du monde, 12 avril 2013.
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