Saphia Ait Ouarabi est la vice-présidente de SOS Racisme. © Coexist
Une des formes du racisme les plus visibles ces derniers mois a été le racisme anti-asiatique, exacerbée par la pandémie de la Covid-19. SOS Racisme semble bien démuni, comme beaucoup d'autres, pour lutter contre ces préjugés. Mais au-delà, selon vous, pourquoi certains stéréotypes se maintiennent et se propagent-ils encore aujourd'hui ?
Saphia Aït Ouarabi : Effectivement, sur la question des préjugés anti-asiatiques qui ont émergé durant la pandémie de la Covid 19, il existe une logique qui est assez historique et traditionnelle concernant les dynamiques de racisme, à travers (la figure du) bouc émissaire. Pendant une pandémie, on va alors chercher à mettre la faute sur un groupe d'individus et là, c'était celle des personnes asiatiques. Le plus compliqué pour SOS Racisme, c'était surtout de faire face à la vague de haine sur les réseaux sociaux, puisqu'il y a eu des dizaines de messages extrêmement violents à l'égard de la communauté asiatique. Des auteurs ont été appréhendés, mais le problème, c'est qu'il reste toujours une zone de flou puisque (les messages ont) fait l'objet de centaines de likes et qu'en fait, les personnes qui approuvent ce genre de messages ne peuvent pas être appréhendées par la justice ou (subir) quelque autre forme de sanction.
Malgré tout, on voit bien que les stéréotypes se maintiennent et se propagent. Quelle est donc votre analyse sur la propagation de ces stéréotypes ?
Saphia Aït Ouarabi : D'une part, la propagation des stéréotypes est historique. Elle est véhiculée par l’existence de biais dans la société qui vont démarrer dès l'école, dans la famille, à travers des blagues, de l'humour, mais aussi les médias. Les stéréotypes ont à voir avec l'histoire, celle de l'esclavage ou de la colonisation, puis ils vont trouver plein de manières dans la société de se répandre. Pour SOS Racisme, le meilleur moyen de lutter contre, c'est effectivement de faire de la prévention en déconstruisant les préjugés racistes et antisémites dans les milieux scolaires et les milieux de jeunesse.
Justement, comment peut-on expliquer aujourd'hui l'adhésion d'une partie de la jeunesse aux thèses de l'extrême droite et aux idées racistes qu'elle défend ?
Saphia Aït Ouarabi : C'est vrai qu'il y a quelque chose d'assez inquiétant, puisqu'on entend parler de plus en plus de ces groupes de jeunes comme la génération Z qui soutient la candidature d'Eric Zemmour à la présidentielle. J'entends par là aussi le groupe Génération identitaire avant sa dissolution, qui a été connu pour leurs actions nauséabondes dans les Alpes en vue de stopper les migrants ou quelconque migration. Ces groupes, effectivement, sont pour beaucoup composés de jeunes. Mais ce sont des fractions extrêmement minimes et qui, surtout, et ça il est important de le rappeler, ont toujours existé. Il y a toujours eu, de toute façon, une partie de la jeunesse qui a été attirée par la radicalité, le nationalisme, la xénophobie, cela n'a rien de surprenant. L'espoir qu'on peut avoir, c'est qu'en réalité, une écrasante majorité de la jeunesse, elle, est à contre-courant de ces idées-là.
Il a été maintes fois question de supprimer le mot « race » de la Constitution. Par exemple, Robert Badinter s'y était opposé, jugeant que la race n'existe pas, mais que le racisme existe. Alors, supprimer le mot race des discours est-il nécessaire et efficace, selon vous ?
Saphia Aït Ouarabi : Il est vrai que ce débat sur le mot « race » dans la Constitution est un débat qui est en réalité très parlementaire. Les associations et les mouvements antiracistes ne s'en sont pas tellement emparés parce que c'est un débat qui reste très institutionnel. A SOS Racisme, en tous cas, la position antiraciste a un fil rouge qui est le combat du concept de « race ». Alors maintenant, aux jeunes qui se questionnent « Mais alors dans ce cas-là, pourquoi utilise-t-on le mot "racisme" ? », on leur répond qu'il est important de nommer un phénomène qui est idéologique. Parce qu'en fait, oui, des personnes vont avoir des comportements racistes, vont discriminer, vont avoir l'idéologie de la race, de la hiérarchie entre les gens. Pour autant, nommer le phénomène ne veut pas dire adhérer à ce concept mais, au contraire, c'est le combattre.
Vous êtes vice-présidente de l'association SOS Racisme, qui est née il y a presque 40 ans. Comme vous le savez, dans une certaine mémoire collective, SOS Racisme est considéré comme celle qui participé à l'affaiblissement de la lutte pour la dignité et l'égalité, en référence notamment à la « Marche des Beurs » de 1983. Que répondez-vous, vous qui avez 20 ans aujourd'hui ?
Saphia Aït Ouarabi : Merci de poser cette question parce qu'elle est importante. C'est vrai qu’aujourd'hui, entre jeunes, en tout cas pour ceux qui militent ou pas à SOS racisme, ce sont des conversations qu'on ne va pas tellement avoir parce que c'est un épisode qui n'est pas et qui ne fait pas tellement partie de notre génération. Mais c'est vrai que j'ai déjà eu des interrogations de la part de personnes plus âgées que moi, qui venaient me voir, parfois de manière très agressive pour me parler de manipulation, du fait que SOS Racisme aurait volé la « Marche des Beurs ». Moi, ce que j'aurais à dire, c'est que je suis extrêmement fière d'être à SOS Racisme, dans une association qui me permet d'être militante.
Je m’explique : quand on a 20 ans, je vous l'assure, on a espoir, on sait et on pense que l'antiracisme va gagner. Simplement, on sait que les victoires ne vont pas forcément arriver de manière rapide et immédiate. Alors, parfois, pour garder espoir quand on est militant, il est important de regarder un peu en arrière et de voir les victoires qu'on a pu acquérir, et je sais que SOS Racisme a pu acquérir des victoires qui font que la situation de mes grands-parents ou de mes parents en France n'est pas la même que la mienne, qui font que la situation de mes enfants, encore heureux, ne sera pas la même que la mienne.
Concernant cette histoire sur la Marche pour l'égalité par exemple, on a perdu un grand militant à SOS Racisme, Nasser Ramdane Ferradj (en avril 2021, ndlr), qui était un ami, un proche de Toumi (Djaïdja), l'un des initiateurs et des grandes figures de cette Marche pour l'égalité. Toumi, j'ai eu l'occasion d'écouter un message de sa part qui était extrêmement beau, extrêmement fort, qui parlait de Nasser comme un frère d'armes.
(...) Dire que SOS Racisme a volé ou étouffé la Marche pour l'égalité (...) ou, et on a pu le dire de manière assez violente, que les Juifs à SOS Racisme auraient étouffé cette Marche pour l'égalité pour étouffer la voix des concitoyens noirs et arabes, ces discours, en réalité, sont très graves. Et le dire aujourd'hui à des gens qui ont 20 ans, comme pour les dégoûter de l'antiracisme et pour les dégouter de leur engagement, je vous assure, c'est extrêmement grave. (…) Je pense qu'aujourd'hui, ces débats n'ont plus lieu d'être.
*****
Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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