Moeurs islamiques ordinaires...
L'hebdomadaire marocain TelQuel s'est rendu sur place, au cœur du djihad malien, pour voir comment est appliquée la loi religieuse. Une religion de paix, dit M.Moussaoui de l'UOIF ! Sur la place du marché de Tombouctou, des porteurs bousculent des passants. Des vendeuses de légumes marchandent avec des clients. Des bouchers exposent leur viande sur des étals envahis par les mouches. Dans les rues, des motos cèdent le passage aux camions, tandis que des gamins, pieds nus, tapent dans un ballon de fortune. Soudain, un convoi de véhicules surmontés d'armes lourdes traverse la place pour disparaître en direction de la sortie orientale de la ville. Le convoi s'arrête pour encercler une vaste cuvette de sable mou, grande comme deux ou trois terrains de foot. En quelques minutes, une foule immense envahit la place, puis une voix relayée par un haut-parleur s'adresse au public. "C'est la charia, c'est la loi d'Allah", répète plusieurs fois l'homme au micro. Encadré par trois ou quatre gardes, un homme au teint clair, au crâne dégarni et à la barbe fournie, sort d'un tout-terrain qui vient d'arriver au milieu de la cuvette. C'est Moussa Ag Mohamed, un éleveur touareg de 40 ans originaire de Goundam, petite ville située à 90 km au sud-ouest de Tombouctou. Ce père de quatre enfants est le premier condamné à mort dans le cadre de l'application de la charia par le mouvement Ansar Dine (les défenseurs de la religion), un des groupes jihadistes qui contrôlent le nord du Mali. Aidé par ses gardes, Moussa, pieds et mains liés, avance en titubant. On lui ôte ses liens. Le temps d'une dernière prière, d'une dernière larme aussi. L'homme se met à genoux. Venue de derrière lui, une balle lui perce le coeur, traverse le torse, puis meurt dans le sable, juste devant ses yeux. De puissants "Allah Akbar" retentissent, tandis qu'un filet de sang coule lentement sur sa poitrine. Moussa se couche, se relève, se recouche, murmure quelques mots. On devine qu'il demande à être achevé. Une seconde balle le jette définitivement sur le sable tiède. "Il a tué mon fils, il doit être tué" Jugé par un tribunal islamique, il venait d'être reconnu coupable du meurtre d'un pêcheur noir de la communauté des Bozos, suite à un incident provoqué par ses vaches, qui avaient abîmé les filets de sa victime. Selon les préceptes de la charia, Moussa, lui-même membre d'Ansar Dine, n'avait aucune chance de sauver sa tête : la famille de la victime ne lui a pas accordé son pardon, ni n'a accepté les 30 millions de francs CFA (45 000 euros environ) que ses proches ont proposés en guise de diya, c'est-à-dire le prix du sang prévu par la charia. "Il a tué mon fils, il doit être tué", confie sèchement la mère du pêcheur, voilée dans un boubou aux couleurs vives et contemplant le corps immobile du Touareg. Voulait-elle s'assurer qu'il était bien mort ? Sans doute. Au Mali, comme dans la plupart des pays du pourtour du Sahara, le sceau de la méfiance est le marqueur principal des rapports entre sédentaires noirs et nomades au "teint clair" ou "peau rouge", c'est-à-dire des Touaregs et des Arabes. Et ces derniers étant dominants au sein des groupes islamistes qui contrôlent le nord du pays, leurs actes sont souvent perçus avec suspicion parmi les populations noires. Plusieurs jours après la mise à mort du berger touareg, dans certains milieux noirs de la ville, on mettait encore en doute son exécution. "Il n'a pas bougé quand ils ont tiré la première balle, puis il s'est relevé. C'est quand même bizarre", s'étonnait, par exemple, derrière son comptoir, Baba, un commerçant songhaï, la principale ethnie noire du nord du Mali. "Vous avez été à son enterrement ?", demandait Yahya, un lycéen, installé au "grain", ce petit coin de rue où les jeunes Maliens aiment se retrouver entre amis. Les ordres de Dieu ne se discutent pas "La charia s'applique à tout le monde, Noirs ou Blancs, y compris nos propres combattants", explique Sanda Ould Bouamama, porte-parole d'Ansar Dine, faisant allusion à la "filiation" islamiste du Touareg exécuté. Selon la tradition musulmane, c'est sa famille qui devait l'enterrer. Mais celle-ci n'a pas souhaité le faire. Restée à Goundam, elle n'avait pas assisté à son procès. Moussa a donc été enterré par les islamistes eux-mêmes. C'était le lendemain de son exécution. Tôt le matin, à l'aube, juste après la première prière du jour, sa dépouille, drapée dans un linceul blanc, avait été amenée dans une mosquée de la ville pour la traditionnelle salat al-janaza, la prière du mort. Des dizaines de croyants étaient présents. Tous ou presque étaient des djihadistes. "C'était trop fort", dit Al Mouataz Billah, un combattant islamiste revenant du cimetière. "C'était trop dur", ajoute Abou Jendel, son compagnon. "Je n'ai presque pas dormi de la nuit", complète un autre. Entre yeux embrumés et voix enrouées, le trio avoue qu'il aurait bien souhaité voir le Touareg épargné. Et si l'un d'entre eux avait été désigné au peloton d'exécution ? Auraient-ils désobéi aux ordres ? Certainement pas. "La charia est une obligation divine et elle s'impose à tout musulman. C'est une fierté pour tout croyant sincère de participer à son application", explique l'imam Daouda Cissé, membre du tribunal islamique qui a prononcé la condamnation du berger touareg. Lui aussi dit qu'il aurait bien voulu voir Moussa sauvé. "Même s'il prévoit la peine de mort, l'islam recommande aussi le pardon. Mais la famille de la victime a refusé de pardonner. Et c'était son droit. Ce n'est donc pas nous qui avons décidé de tuer cet homme. C'est Dieu qui nous l'a imposé et les ordres de Dieu ne se discutent pas", dit le religieux.