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L’Observatoire contre l’islamophobie du CFCM dénonce l’appel contre « le nouvel antisémitisme »

 Mohamed MARTIN
Lundi 23 Avril 2018

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1- "L'identité républicaine". Origines et valeurs:
conférences prononcées à St Germain en Lay le 14-01-1900 par Ferdinand Buisson
(philosophe, éducateur et homme politique français, cofondateur et président de la Ligue des droits de l'Homme, ainsi que président de la Ligue de l'enseignement (1902-1906). En 1927, le prix Nobel de la paix lui est attribué conjointement à Ludwig Quidde.Il a été directeur de l'Enseignement primaire en France. En 1905, il préside la commission parlementaire chargée de mettre en œuvre la séparation des Églises et de l'État. Connu pour son combat en faveur d'un enseignement laïque à travers la Ligue de l'enseignement).

"Pourquoi nous sommes patriotes et ne sommes pas nationalistes",

"...

C'est pourquoi nous sommes patriotes.

C'est parce qu'elle est la France de 1789, le pays d'où est parti cet appel impossible à étouffer, un appel à la liberté, appel à la justice et à la raison, appel à l'égalité, à la fraternité, c'est parce que la France a fait cela, que nous l'aimons comme notre mère au double sens du mot, car elle ne nous a pas seulement enfantés à la vie du corps, elle nous a enfantés à la vie de l'esprit.

C'est son âme qui vit dans les nôtres; elle est deux fois notre patrie, puisqu'elle nous a donné non seulement une terre à aimer, mais un idéal à poursuivre.

(...)

Nous ne répudions nous n'oublions rien, de son long passé, ni ses gloires, ni ses droits, rien de ce quelle a souffert, tant de fois écrasée par les forts, tant de fois trompée par les habiles.

Et quand nous suivons la trace sanglante des martyrs qui sont morts sans avoir vu luire l'aube de la liberté, martyrs du fanatisme, martyrs de la tyrannie féodale, cléricale, royale, martyrs de toutes les persécutions et de toutes les oppressions, martyrs de la misère et de la barbarie sociale,
et quand nous voyons soudain sortir de cet abîme, jeune, fière, indomptable, rayonnante d'espoir, illuminant le monde, la grande République libératrice des peuples,
ah! nous savons pourquoi nous sommes fiers d'être français :
nous sommes les fils d'une patrie qui a un double nom dans l'histoire : elle s'appelle la France, mais elle s'appelle aussi la République !

Messieurs, il y a d'autres patrie qui sont vénérables, il n'y a qu'une France.
C'est une patrie faite à la fois de passé et d'avenir, de réalité et d'idéal, de faits et de principes, de communauté de souvenirs et de communion d'espérances.

Un français n'est pas seulement un homme né en France, c'est un homme né de la France, qui a l'esprit formé de son esprit, qui a appris d'elle à regarder toujours plus haut, à vouloir toujours plus de lumière, toujours plus de raison, toujours plus de fraternité.

Soldat de Dieu au moyen âge, soldat du Droit dans les temps modernes, la France c'est une patrie tous ensemble et c'est une foi.

La France c'est une idée qui s'est faite nation, c'est une nation qui s'est forgée elle même.

On ne lui est pas complètement fidèle si l'on ne croit pas à l'idéal qu'elle s'est donné au prix de tant de siècles de souffrances, si l'on renie comme des chimères les mots sacrés qu'elle a enfin révélé au monde et que le monde ne distingue plus d'elle. Le monde a raison et c'est pourquoi nous sommes patriotes.

..."



2- 2017, Constats de P. Kessel: "Les principes mêmes de la République se trouvent aujourd’hui menacés" (Colloque du 9 déc. 17)
Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 24 décembre 2017

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"Bienvenue à ce colloque organisé par le CLR dans le cadre de la célébration du 112e anniversaire de la loi de séparation des églises et de l’État.

En préparant ce colloque, m’est revenu en mémoire le souvenir de mes jeunes années à l’école communale. Les années 1960. L’instituteur, au début du cours, passait dans les travées et inspectait les cahiers de correspondance avec les familles. Ce faisant, s’il décelait au cou d’un élève une médaille ou un signe religieux, il invitait l’élève à la glisser à l’intérieur de sa chemise lui suggérant de la sortir à la fin des cours.

Personne, ni élèves ni parents ne s’en offusquait. Aucune famille, quelles que soient leurs origines, ne revendiquait de dérogation aux principes de l’école. Tous les enfants issus de l’immigration, notamment nord et sub-saharienne, et il y en avait déjà beaucoup dans mon école du XIIIe arrondissement parisien, étaient des écoliers comme les autres. Leurs parents voulaient qu’ils s’instruisent, fassent des études pour trouver un bon travail et devenir des citoyens comme les autres. Personne ne parlait d’origines, de couleur de peau, de croyances religieuses. S’intégrer à la République, d’où qu’on vienne, de la ville, d’une province lointaine, d’un pays étranger, constituait l’ambition de toute famille. Une fierté.

Il y avait bien, de temps à autres, des manifestations de racisme ou d’antisémitisme, notamment pendant la guerre d’Algérie, mais elles étaient exceptionnelles dans l’école. Étudiants, nous sûmes que ces attitudes xénophobes étaient le fait de mouvements d’extrême-droite, pour qui l’identité française devait être réservée aux blancs, catholiques apostoliques et romains. Nous nous organisions pour les combattre. Et notre engagement, au-delà de toutes les singularités politiques, avait en commun l’adhésion à une citoyenneté républicaine universaliste, porteuse de liberté de conscience et d’égalité des droits, en un mot de fraternité. Cela nous semblait définitivement acquis et notre génération se devait d’élargir la citoyenneté aux droits sociaux et aux peuples qui en étaient privés.

Un demi-siècle plus tard, le ciel nous est tombé sur la tête. L’école mais aussi des crèches, des hôpitaux, les services publics, des universités, des entreprises, les espaces collectifs subissent de plein fouet les revendications différencialistes des communautarismes. Ce sont les principes mêmes de la République qu’à l’école on nous apprenait à aimer qui se trouvent aujourd’hui menacés. Cela s’est fait par étapes.

Il y eut le grand échec de la bataille de l’unification du système scolaire en 1983 qui démobilisera pour longtemps la famille laïque. Il y eut ensuite, en septembre 1989, l’affaire du collège de Creil [1], deux jeunes filles voulant entrer voilées dans la classe. On se souvient que le principal, un Antillais qui fut traité de raciste, refusa, que l’affaire monta jusqu’au Premier ministre qui transmis le dossier brûlant au Conseil d’État plutôt que de prendre une circulaire qui aurait fait gagner trente ans à la République. Cette date marque le début de la dérive communautariste et des tergiversations politiques.

Ce fut ensuite le rapport Obin en 2004 [2], réalisé par des inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, qui nous mettait en garde sur la montée des différencialismes menaçant la paix sociale dans les "territoires perdus de la République". Des cantines scolaires aux tables séparées par communauté d’origine, des cours comme les sciences naturelles, la littérature ou la gymnastique boycottés par certaines petites filles, des instituteurs menacés, des piscines aux horaires réservés... Les jeunes ne se pensaient plus en futurs citoyens de la République mais comme membres de tribus : "blacks", "blancs", "reubs", "feujs", "homos". S’ouvrait le temps des dérogations à la loi commune, des accommodements dits “raisonnables”, des renoncements coupables.

Dix ans plus tard, le rapport Tuot, publié sur le site du Premier ministre, propose d’intégrer le droit à la différence dans la Constitution en ouvrant la voie à une “citoyenneté à géométrie variable”. Une idée banalisée par la Fondation Terra Nova [3].

Régis Debray, voilà plus de trente ans, nous avait prévenu en écrivant que le droit à la différence déboucherait sur la différence des droits. Nous y sommes ! Le communautarisme s’est installé au cœur de la Cité et menace l’universalisme de la citoyenneté républicaine.

Un jour, ce sont des femmes assises à une terrasse de café qui sont prises à partie et traitées de “traînées” parce que le fait de fumer ou d’être en jupe contreviendrait aux préceptes de l’islam ; un jour ce sont des prières de rue ; un été c’est un camp de formation dit « décolonial » qui est interdit aux blancs ; ce sont des forums interdits à la parole blanche ; c’est une organisation syndicale qui propose une formation interdite aux blancs ; c’est un rappeur, Medine Zaouiche, qui chante “Crucifions les laïcards comme à Golgotha” ; ce sont des universités qui entrouvrent leurs portes aux défenseurs de l’“indigénisme”, lesquels prêchent leurs théories racialistes, séparatistes, ethnicistes ; ce sont ces manifestations où l’on entend des slogans “Mort aux juifs”. C’est, il y a quelques jours, une militante indigéniste qui veut créer une association de mères d’élèves pour combattre l’école où, dit-elle, des “enseignants stigmatisent et humilient les enfants traumatisés” (Fatima Ouassak, "Front des mères") ! Ce sont des plaintes en justice de plus en plus nombreuses contre celles et ceux qui, sur le terrain, résistent à l’infiltration des réseaux sociaux.

La race, la couleur de la peau, la religion, l’essentialisation sont de retour qui assignent les individus à leurs origines, à leurs croyances, à leur supposée communauté d’origine.
C’est la revanche des anti-Lumières, la victoire des obscurantistes sur les principes universalistes qui ont fait la Révolution française.

Et paradoxalement, la liberté de conscience et l’égalité des droits sont moquées, vilipendées, dénoncées, comme la laïcité désormais traitée de “colonialiste”, de “raciste”.

On ne peut plus dire qu’il n’y a pas de problèmes de laïcité en France comme osait l’affirmer le Président de l’Observatoire de la laïcité. [4]

Le rapport du Collectif laïque national [5] publié ce jour démontre une nouvelle fois le contraire. Il est urgent de réagir si nous ne voulons pas ouvrir des boulevards aux idéologies de la haine et du racisme, toujours en embuscade politique, partout en Europe et malheureusement au-delà.

Mais le plus terrible tient au fait que les nouveaux ennemis des Lumièresviennent de l’autre rive de la politique. Ce ne sont plus seulement l’extrême-droite et l’intégrisme catholique qui menacent les Lumières et les principes républicains. Ce sont des femmes et des hommes issus des rangs progressistes qui apportent leur concours au travail de sape de la République.

Nous l’avions perçu au lendemain des attentats barbares contre nos amis deCharlie, au Bataclan, à Nice, des assassinats antisémites, lorsque des voix s’étaient élevées, timidement d’abord puis de plus en plus fermes, pour dire qu’elles n’étaient pas Charlie. Qu’ils “l’avaient un peu cherché”, les caricaturistes. Et les voilà qui se prennent pour Manouchian et ont l’impudeur de comparer la une de Charlie avec L’Affiche rouge !

Au fil des semaines, des voix d’intellectuels, de sociologues, de journalistes, et même de quelques élus aux origines plutôt progressistes, ont cultivé le déni des réalités, ont nié les problèmes posés par les revendications communautaristes dans les institutions, les entreprises, ont détourné le combat antiraciste, ont falsifié le combat féministe, ont témoigné de l’indulgence, parfois de la complaisance avec ceux qui menacent et pour certains tuent les défenseurs de la laïcité.

Ces voix ne nous feront pas croire que les islamistes politiques porteraient l’étendard des “nouveaux damnés de la Terre” et seraient les nouveaux combattants d’un prolétariat perdu !
La question sociale ainsi caricaturée ne sert qu’à affaiblir la laïcité, à justifier des régressions dont les femmes sont les premières victimes, à légitimer des alliances contre nature avec les forces obscurantistes. La République est laïque et sociale. Pas l’un sans l’autre [6] !

La confusion s’est installée. On aurait aimé qu’à l’occasion de la présidentielle [7]s’ouvre un véritable débat qui mette en lumière le fait que le multiculturalisme ne conduit pas au métissage, ni même à la rencontre des cultures mais à l’ethnicisation.

Au lieu de cela, nous avons vu une partie de la droite instrumentaliser la laïcité contre tous les musulmans et une partie de la gauche la mettre entre parenthèses pour essayer de conquérir leurs voix. D’un côté on défend une laïcité qui accepte les crèches dans les mairies, une catho-laïcité [8], de l’autre une laïcité avachie qui ferme les yeux sur les réalités du communautarisme.

Hier, nous avons perdu la bataille des mots en laissant les adversaires de la République détourner les mots de racisme et de colonialisme, de Liberté et d’Égalité. Ils ont essayé de vider la laïcité de sa substance en lui accolant les qualificatifs, “nouvelle”, “tolérante”, “moderne, “apaisée” qui, au final, lui enlèvent du sens. Ils reviennent à la charge ces temps-ci en voulant la transformer en “dialogue interreligieux”, certes souhaitable mais qui est d’une toute autre nature et qui pourrait bien engendrer un concordat qui ne dirait pas son nom.

Désormais, il convient de mener la bataille des idées si nous ne voulons pas que la montée des communautarismes fracture un peu plus la société française et que les séparatismes culturels et religieux n’aient raison de l’universalisme des Lumières.

Il convient d’expliquer que l’identité française n’est pas définie par une couleur ou une religion mais qu’en revanche, la citoyenneté républicaine, c’est l’universalisme, la liberté de conscience, l’égalité en droit entre tous et en premier lieu entre hommes et femmes.
Ainsi s’exprimait Anacharsis Cloots qui, de la tribune de la Convention, se présentait avec fierté, “moi, baron en Allemagne, citoyen en France”. Eh bien, ces principes issus de la grande Révolution ne se négocient pas sauf à renier la République elle-même.

Et nous ne devons avoir aucune culpabilité. Il nous faut défendre l’intégration, l’apprentissage de la langue, de la loi commune comme accession à la citoyenneté. Il nous faut promouvoir la laïcité comme accession à l’émancipation.

C’est pourquoi réinstituer l’école de la République [9] constitue la priorité des priorités. C’est pourquoi nous ne sommes pas insensibles aux messages donnés en ce sens par le ministre de l’Éducation Nationale lorsqu’il affirme la nécessité de l’apprentissage des fondamentaux.

Et au cœur de cette bataille des idées, nous disons haut et fort que « Nous sommes toujours Charlie ». D’ailleurs nous pourrons le dire ensemble si vous souhaitez nous rejoindre le 6 janvier prochain aux Folies Bergères pour une journée intitulée “Toujours Charlie, de la mémoire au combat”, organisée par le Printemps Républicain, la Licra et le CLR et avec le soutien de Charlie [10].

Se réapproprier les mots. Promouvoir les idées. Encore faut-il que ces mots et ces idées soient portés politiquement. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont peu nombreux à oser. “Nos responsables ne sont pas conscients des ressources d’une laïcité dont ils se réclament et dont ils ont la charge”, écrivait il y a quelques jours Paul Thibaud. Il a raison.

En ce jour, 112 ans après l’adoption de la loi de séparation des églises et de l’État, le Comité Laïcité République alerte les élus de la Nation de la gravité de la fracture culturelle et sociale.

Le Comité Laïcité République lance un appel au Président de la Républiquepour, au-delà de vaines querelles, promouvoir cette laïcité sans qualificatif, et permettre le rassemblement fraternel des citoyens libres et égaux.

Nous avions perdu la bataille des mots. Nous gagnerons la bataille des idées et déjà quelques signes témoignent d’un soutien de plus en plus fort de l’opinion. Il nous faut, encore et encore, lever les confusions, expliquer, débattre. D’où l’enjeu de ce colloque dont je remercie les participants qui ont bien voulu répondre à notre invitation."









3- Solutions pour un islam laïque dans la République:

"Lettre ouverte au monde musulman"
Abdennour Bidar
Philosophe spécialiste des évolutions contemporaines de l'islam et des théories de la sécularisation et post-sécularisation
Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde du dehors et de loin - de ce pays de France où tant de tes enfants vivent aujourd'hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d'isthme entre les deux mers de l'Orient et de l'Occident!

Et qu'est-ce que je vois ? Qu'est-ce que je vois mieux que d'autres sans doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement de philosophe ! Car je te vois en train d'enfanter un monstre qui prétend se nommer État islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre - perdre ton temps et ton honneur - dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement interminable entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.

Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Quel est ton unique discours ? Tu cries « Ce n'est pas moi ! », « Ce n'est pas l'islam ! ». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom (hashtag #NotInMyName). Tu t'indignes devant une telle monstruosité, tu t'insurges aussi que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu'à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l'islam dénonce la barbarie. Mais c'est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l'autodéfense sans assumer aussi, et surtout, la responsabilité de l'autocritique. Tu te contentes de t'indigner, alors que ce moment historique aurait été une si formidable occasion de te remettre en question ! Et comme d'habitude, tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez, vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l'islam de nous associer à ce monstre ! Le terrorisme, ce n'est pas l'islam, le vrai islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre, mais la paix! »

J'entends ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes inspirations sacrées du monde l'islam a créé tout au long de son histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a puissamment éclairé l'être humain sur le chemin du mystère de l'existence... Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres, pour que cette sagesse de l'islam et de toutes les religions ne soit pas oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine, je vois aussi autre chose - que tu ne sais pas voir ou que tu ne veux pas voir... Et cela m'inspire une question, LA grande question : pourquoi ce monstre t'a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? Pourquoi a-t-il pris le masque de l'islam et pas un autre masque ? C'est qu'en réalité derrière cette image du monstre se cache un immense problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il le faut bien pourtant, il faut que tu en aies le courage.

Ce problème est celui des racines du mal. D'où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c'est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd'hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps. Et de ton ventre malade, il sortira dans le futur autant de nouveaux monstres - pires encore que celui-ci - aussi longtemps que tu refuseras de regarder cette vérité en face, aussi longtemps que tu tarderas à l'admettre et à attaquer enfin cette racine du mal !

Même les intellectuels occidentaux, quand je leur dis cela, ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont tellement oublié ce qu'est la puissance de la religion - en bien et en mal, sur la vie et sur la mort - qu'ils me disent « Non le problème du monde musulman n'est pas l'islam, pas la religion, mais la politique, l'histoire, l'économie, etc. ». Ils vivent dans des sociétés si sécularisées qu'ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur du réacteur d'une civilisation humaine ! Et que l'avenir de l'humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière et économique, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité toute entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l'échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l'homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent - et qui comme l'islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.

Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIe siècle ! Il y a en toi en effet, malgré la gravité de ta maladie, malgré l'étendue des ombres d'obscurantisme qui veulent te recouvrir tout entier, une multitude extraordinaire de femmes et d'hommes qui sont prêts à réformer l'islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l'humanité entretenait jusque-là avec ses dieux ! C'est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes livres ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu'entrevoit leur espérance!

Il y a dans la Oumma (communauté des musulmans) de ces femmes et ces hommes de progrès qui portent en eux la vision du futur spirituel de l'être humain. Mais ils ne sont pas encore assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux-là, dont je salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c'est l'état général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms d'Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou de l'«État islamique». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les symptômes les plus graves et les plus visibles sur un immense corps malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes:
impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion;
prison morale et sociale d'une religion dogmatique, figée, et parfois totalitaire ;
difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l'égalité, de la responsabilité et de la liberté;
impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l'autorité de la religion;
incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses.

Tout cela serait-il donc la faute de l'Occident ? Combien de temps précieux, d'années cruciales, vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te caches pour continuer à te mentir à toi-même ? Si je te critique aussi durement, ce n'est pas parce que je suis un philosophe « occidental », mais parce que je suis un de tes fils conscients de tout ce que tu as perdu de ta grandeur passée depuis si longtemps qu'elle est devenue un mythe !

Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te l'avouer enfin, tu as été incapable de répondre au défi de l'Occident. Soit tu t'es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression intolérante et obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l'intérieur de tes frontières - un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l'Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité - je veux parler de cette frénésie de consommation, ou bien encore de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie désormais mondiale qu'est le culte du dieu argent.

Qu'as-tu d'admirable aujourd'hui, mon ami ? Qu'est-ce qui en toi reste digne de susciter le respect et l'admiration des autres peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes, qui sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi ? Où sont tes grands penseurs, tes intellectuels dont les livres devraient être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l'Inde à l'Espagne ? En réalité tu es devenu si faible, si impuissant derrière la certitude que tu affiches toujours au sujet de toi-même... Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller et cela te rend aussi malheureux qu'agressif... Tu t'obstines à ne pas écouter ceux qui t'appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière. Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l'islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l'État que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu'à l'intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d'imposer que l'islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu'«Il n'y a pas de contrainte en religion» (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l'empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ? Je dis qu'il est l'heure, dans la civilisation de l'islam, d'instituer cette liberté spirituelle - la plus sublime et difficile de toutes - à la place de toutes les lois inventées par des générations de théologiens !

De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s'élèvent aujourd'hui dans la Oumma pour s'insurger contre ce scandale, pour dénoncer ce tabou d'une religion autoritaire et indiscutable dont se servent ses chefs pour perpétuer indéfiniment leur domination... Au point que trop de croyants ont tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux « maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu'ils ne comprennent même pas qu'on leur parle de liberté spirituelle, et n'admettent pas qu'on ose leur parler de choix personnel vis-à-vis des « piliers » de l'islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge », quelque chose de trop sacré pour qu'ils osent donner à leur propre conscience le droit de le remettre en question ! Et il y a tant de ces familles, tant de ces sociétés musulmanes où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès leur plus jeune âge, et où l'éducation spirituelle est d'une telle pauvreté que tout ce qui concerne de près ou de loin la religion reste ainsi quelque chose qui ne se discute pas!

Or cela, de toute évidence, n'est pas imposé par le terrorisme de quelques fous, par quelques troupes de fanatiques embarqués par l'État islamique. Non, ce problème-là est infiniment plus profond et infiniment plus vaste ! Mais qui le verra et le dira ? Qui veut l'entendre ? Silence là-dessus dans le monde musulman, et dans les médias occidentaux on n'entend plus que tous ces spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie générale ! Il ne faut donc pas que tu t'illusionnes, ô mon ami, en croyant et en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l'islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d'évoquer - une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive - est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l'islam ordinaire, l'islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l'islam de la tradition et du passé, l'islam déformé par tous ceux qui l'utilisent politiquement, l'islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? Cette révolution qui dans les sociétés et les consciences fera rimerdéfinitivement religion et liberté, cette révolution sans retour qui prendra acte que la religion est devenue un fait social parmi d'autres partout dans le monde, et que ses droits exorbitants n'ont plus aucune légitimité !

Bien sûr, dans ton immense territoire, il y a des îlots de liberté spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de choix personnel, d'approfondissement spirituel ; des milieux sociaux où la cage de la prison religieuse s'est ouverte ou entrouverte ; des lieux où l'islam donne encore le meilleur de lui-même, c'est-à-dire une culture du partage, de l'honneur, de la recherche du savoir, et une spiritualité en quête de ce lieu sacré où l'être humain et la réalité ultime qu'on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre d'islam et partout dans les communautés musulmanes du monde des consciences fortes et libres, mais elles restent condamnées à vivre leur liberté sans assurance, sans reconnaissance d'un véritable droit, à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou bien même parfois face à la police religieuse. Jamais pour l'instant le droit de dire « Je choisis mon islam », « J'ai mon propre rapport à l'islam » n'a été reconnu par « l'islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s'acharnent à imposer que « La doctrine de l'islam est unique » et que « L'obéissance aux piliers de l'islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).

Ce refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l'une de ces racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l'un de ces ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d'un Bien et d'un Mal, d'un licite (halâl) et d'un illicite (harâm) que personne ne choisit, mais que tout le monde subit. Elle emprisonne les volontés, elle conditionne les esprits, elle empêche ou entrave tout choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées, tu associes encore la religion et la violence - contre les femmes, contre les « mauvais croyants », contre les minorités chrétiennes ou autres, contre les penseurs et les esprits libres, contre les rebelles - de telle sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad !

Alors, ne t'étonne donc pas, ne fais plus semblant de t'étonner, je t'en prie, que des démons tels que le soi-disant État islamique t'aient pris ton visage ! Car les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C'est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants, que tu réformes chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n'es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! Tu ne peux plus faire moins que ta révolution spirituelle la plus complète ! C'est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction. Quand tu auras mené à bien cette tâche colossale - au lieu de te réfugier encore et toujours dans la mauvaise foi et l'aveuglement volontaire, alors plus aucun monstre abject ne pourra plus venir te voler ton visage.

Cher monde musulman... Je ne suis qu'un philosophe, et comme d'habitude certains diront que le philosophe est un hérétique. Je ne cherche pourtant qu'à faire resplendir à nouveau la lumière - c'est le nom que tu m'as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ».

Je n'aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français: «Qui aime bien châtie bien». Et au contraire tous ceux qui aujourd'hui ne sont pas assez sévères avec toi - qui te trouvent toujours des excuses, qui veulent faire de toi une victime, ou qui ne voient pas ta responsabilité dans ce qui t'arrive - tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service ! Je crois en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un univers à la fois plus humain et plus spirituel ! Salâm, que la paix soit sur toi.
 François Carmignola
Lundi 23 Avril 2018

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[Ignorer]
Il est pourtant patent, évident et connu et visible qu'un antisémitisme populaire est aujourd'hui porté par les tenants récemment arrivés en Europe d'une culture historiquement marquée par la haine culturelle et religieuse du juif.
Après avoir chassé d'Afrique du nord un peuplement antérieur à l'arrivé de l'islam, elle essaye de provoquer l'équivalent en Europe: il n'est plus possible de vivre juif dans les quartier "métissés", et cela se voit et se sait.
BDS, "anti sionisme", "les juifs ont de l'argent" tout concourt à dramatiser une coexistence qui devient impossible.
Chaque bagarre, chaque attentat, chaque meurtre de vieille dame accentue la défiance et pourtant de doctes docteurs en sciences islamiques se considèrent comme des "boucs émissaires". Etonnant non? Comment se fait ils que victimes à ce point de l'injustice publique, ils ne songent pas, eux aussi, à partir ?