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Points de vue

Facebook, tribune de campagne des jeunes Iraniens

Par Ahmad Sadri*

Rédigé par Ahmad Sadri | Samedi 13 Juin 2009 à 09:01

           

N’en déplaise à Ray Bradbury, qui met en scène, dans son roman Fahrenheit 451, la dystopie (contre-utopie) absolue, il est certain que le progrès des technologies de la communication est plus susceptible de donner le pouvoir aux masses que de les en priver. De fait, l’histoire de l’Iran au cours du siècle dernier, avec son cortège de révolutions et de poussées de fièvre démocratiques, s’est déroulée au rythme de l’évolution des moyens de grande diffusion. La campagne pour l’élection présidentielle du 12 juin ne fait pas exception à cette règle.



Facebook, tribune de campagne des jeunes Iraniens
Au cours de la Révolution constitutionnelle qui, de 1905 à 1911, conduisit à la création du Parlement, la nation a connu une période exceptionnelle de débat public, incarnée par une presse florissante. Ainsi, le poète révolutionnaire agitateur Nasim-e Shomal a-t-il écrit et imprimé sous son propre nom, seul et avec les moyens du bord, une chronique intitulée « La brise du Nord ».

On raconte que ce personnage à la barbe fleurie, vêtu de ses longues robes noires cléricales, se tenait debout, près de la porte du Grand Bazar, pour y distribuer son agitprop constitutionnaliste. Plus tard, pendant la Révolution Islamique de 1979, c’est la cassette, cette vieille dame de la communication, qui échappa aux griffes des médias d’Etat téléguidés pour diffuser les prêches de l’Ayatollah Khomeini's auprès des masses.

Plus de 25 ans plus tard, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2005, les réformistes utilisaient le sms et le blog pour inciter les électeurs à voter contre le bloc des partisans de Mahmud Ahmadinejad qui ont cependant réussi à le catapulter à la présidence. Malgré leur peu d’influence, ces blogueurs réformistes de la campagne électorale sont entrés dans les rangs des faiseurs d’opinion et des intellectuels du pays.

Aujourd’hui, l’absence de primaires dans le scrutin présidentiel réduit la durée de la campagne active à moins d’un mois. Mais pendant ce court mois d’activité fébrile, les possibilités d’information et de mobilisation qu’offrent les technologies en ligne ne font que rehausser la qualité de la campagne.

Ceux qui ont lu ces premiers blogs iraniens sont devenus eux-mêmes des blogueurs chevronnés. Facebook est là pour les aider à faire la promotion de leur candidat.

Behzad Mortazavi, qui dirige le comité de campagne du principal candidat d’opposition Mir Houssein Mousavi, assurait il y a peu, dans une interview au Financial Times, que les nouvelles technologies sont utilisées dans la campagne de M. Mousavi en raison de l’effet multiplicateur que leur donnent tous ceux qui travaillent sur Bluetooth, par courriel et par sms et tous ceux qui invitent des amis à se joindre à eux sur Facebook.

Naguère, on utilisait Facebook en Iran avant tout pour envoyer des cadeaux virtuels et des test de personnalité débiles à des amis. Plus récemment, c’est pour établir le contact avec des expatriés que les profils iraniens de Facebook et de Twitter se branchent sur les campagnes politiques. Le soutien dont bénéficient les candidats dans ces forums en ligne est révélateur : M. Ahmadinejad a quelque 10.000 partisans sur Facebook, répartis sur plusieurs pages du site, avec des partisans non seulement en Iran, mais aussi dans tout le monde musulman. De son côté, M. Mousavi, le Premier ministre, ne compte pas moins de 40.000 amis sur le site.

De son côté, Mehdi Karroubi, ce vétéran des cléricaux,, le chevalier noir qui a enfourché le slogan du « changement », a également plusieurs pages d’amis sur Facebook, dont certaines font même appel au soutien d’humoristes de la télé américaine comme Stephen Colbert pour booster sa popularité.

Les réformateurs, qui militent en faveur d’un élargissement des libertés politiques et de la démocratie, estiment que quatre années supplémentaires de politique étrangère et de yoyo économique d’Ahmadinejad seraient intolérables. Sur Facebook, l’opposition se regroupe comme un seul homme sous la bannière : « pas une seule voix pour Ahmadinejad ».

Selon toute vraisemblance, et dans la perspective d’un éventuel boycott du scrutin, les utilisateurs de Facebook font campagne pour que les gens aillent voter. On se rappelle que la victoire de M. Ahmadinejad en 2005 avait été mise sur le compte de l’abstention.

Ce forum de campagne connaît aussi ses problèmes. Le 23 mai, le gouvernement a bloqué, sans explications, tout accès à Facebook. Quelques jours plus tard, il était rétabli, mais le fait que le gouvernement ait éprouvé le besoin de le bloquer montre bien quel est son rôle dans la formation de l’opinion populaire. Dans les préliminaires au scrutin de cette semaine, Facebook fonctionne plus comme un point de ralliement pour familles et amis de même sensibilité que comme un forum qui chercherait à braconner des voix dans les partis d’opposition.

Une chose est certaine : la passion et l’implication active de ces millions de jeunes Iraniens qui profitent des nouvelles technologies pour faire avancer le changement seraient allées droit au cœur de leur illustre modèle, Nasim-e Shomal.



* Né en Iran, Ahmad Sadri est le président de la chaire James P. Gorter d’études islamiques internationales du Lake Forest College et chroniqueur au quotidien iranien Etemade Melli.


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