Alors certains observateurs disent que l'intégration est aujourd'hui plus compliquée qu'auparavant car beaucoup d'immigrés actuels viennent de sociétés aux systèmes de valeurs fort différents du nôtre et avec un niveau d'éducation très faible. Selon vous, est-ce la réalité ?
François Héran : Le niveau d'éducation des migrants a plutôt augmenté dans le temps, cela a été nettement attesté par l'INSEE, en particulier parce que nous avons une part non négligeable de migrants qui ont fait des études et que leur niveau d'étude a augmenté. Un nombre assez important d’entre eux, 90 000 à peu près par an, viennent en tant qu'étudiants. La migration estudiantine contribue donc à relever le niveau d'éducation. Les pays d'origine ont aussi des niveaux d'éducation qui ont pas mal progressé. Donc non, je pense que la tendance est plutôt inverse de celle qu'on décrit.
Oui mais en même temps, on nous dit que certaines diasporas qui commencent à se former sur le territoire sont quand même très éloignées en termes de système de valeurs du notre. On évoque les communautés afghane, sri lankaise, bangladaise… comme des populations qui présenteraient plus de difficultés d'intégration que les anciennes vagues de migrants, qu’en dites-vous ?
François Héran : Il y a toujours une sous-estimation des difficultés qu'avaient rencontré les précédentes vagues de migrants (en France). Tous les historiens qui ont étudié les migrations belge, essentiellement flamande, italienne, espagnole, au 19e siècle font état en réalité de réactions souvent très vives de la part des populations locales.
Les Espagnols, par exemple, dans les années 1930, étaient perçus comme des communistes, des Rouges qui avaient le couteau entre les dents. L'idée qu'ils étaient catholiques ne dominait pas du tout. Des témoignages qui ont été rapportés sur les Belges et les Flamands, qui ont beaucoup travaillé dans les mines et les usines textiles du nord de la France, ont montré qu'ils étaient perçus comme des barbares, des étrangers... Il y a eu donc une forte surestimation de la distance culturelle qui était perçue autrefois vis-à-vis des migrants. Les Italiens eux-mêmes n'étaient pas très bien perçus. Les Polonais avaient beau être catholiques, on leur reprochait d'avoir un catholicisme à part, d’amener en France leurs propres prêtres, d'avoir des rituels qui étaient différents des nôtres... que leur catholicisme mettait en péril le nôtre. Donc, en réalité, on arrive toujours à trouver des distances avec les migrants.
Pour autant, il ne faut pas nier que l'islam peut effectivement créer des distances, une distance culturelle sur le plan de la religion. Mais enfin, tous les indicateurs qu'on a sur l'intégration des populations qui viennent du monde arabe sont plutôt en progression.
Les Espagnols, par exemple, dans les années 1930, étaient perçus comme des communistes, des Rouges qui avaient le couteau entre les dents. L'idée qu'ils étaient catholiques ne dominait pas du tout. Des témoignages qui ont été rapportés sur les Belges et les Flamands, qui ont beaucoup travaillé dans les mines et les usines textiles du nord de la France, ont montré qu'ils étaient perçus comme des barbares, des étrangers... Il y a eu donc une forte surestimation de la distance culturelle qui était perçue autrefois vis-à-vis des migrants. Les Italiens eux-mêmes n'étaient pas très bien perçus. Les Polonais avaient beau être catholiques, on leur reprochait d'avoir un catholicisme à part, d’amener en France leurs propres prêtres, d'avoir des rituels qui étaient différents des nôtres... que leur catholicisme mettait en péril le nôtre. Donc, en réalité, on arrive toujours à trouver des distances avec les migrants.
Pour autant, il ne faut pas nier que l'islam peut effectivement créer des distances, une distance culturelle sur le plan de la religion. Mais enfin, tous les indicateurs qu'on a sur l'intégration des populations qui viennent du monde arabe sont plutôt en progression.
Le respect des valeurs de la République est un élément fondamental du processus d'intégration. Mais qu'est-ce qu'il faut faire d'autre pour qu'une intégration soit réussie ?
François Héran : Je pense qu’un des problèmes de notre politique d'intégration, c'est qu'elle mise sur une relation très verticale. Il y a l'idée développée par certains auteurs que l'intégration serait essentiellement un lien civique, un lien vertical qui arrive directement de l'individu à l’État. Je pense qu'on oublie dans cette perspective l'importance considérable de tous les liens horizontaux, des relations de travail, des relations de voisinage, des relations avec les commerces locaux.
En Allemagne, par exemple, les cours d'intégration consistent beaucoup à enseigner, au fond, des modes d'emploi. On amène le groupe dans un grand magasin, on lui montre comment ça fonctionne et voilà… Je pense qu'il y a une surestimation du lien vertical chez nous et une importance insuffisante accordée aux liens horizontaux.
Évidemment, un des grands vecteurs de l'intégration, c'est l'apprentissage de la langue. On l'a assez longtemps sous-estimé en France parce qu'on avait le sentiment que la plupart de nos immigrés venaient de nos anciennes colonies et qu’ils étaient donc étaient nécessairement francophones. On s'est aperçu par la suite assez tardivement qu'il était tout à fait essentiel de développer les cours de langues parce qu'effectivement, l'adaptation à la vie sociale d'un nouveau pays passe aussi, bien sûr, par la connaissance de la langue. Des efforts ont été faits en la matière.
En Allemagne, par exemple, les cours d'intégration consistent beaucoup à enseigner, au fond, des modes d'emploi. On amène le groupe dans un grand magasin, on lui montre comment ça fonctionne et voilà… Je pense qu'il y a une surestimation du lien vertical chez nous et une importance insuffisante accordée aux liens horizontaux.
Évidemment, un des grands vecteurs de l'intégration, c'est l'apprentissage de la langue. On l'a assez longtemps sous-estimé en France parce qu'on avait le sentiment que la plupart de nos immigrés venaient de nos anciennes colonies et qu’ils étaient donc étaient nécessairement francophones. On s'est aperçu par la suite assez tardivement qu'il était tout à fait essentiel de développer les cours de langues parce qu'effectivement, l'adaptation à la vie sociale d'un nouveau pays passe aussi, bien sûr, par la connaissance de la langue. Des efforts ont été faits en la matière.
Rapidement, en un mot, selon vous, que reprochent véritablement à l'intégration les partisans d'une assimilation radicale et qui se situent en général à la droite extrême, voire à l'extrême droite du spectre politique ?
François Héran : Vous savez, je crois qu'il faut toujours en revenir aux fortes paroles de René Cassin quand il a justifié le fait qu'on ne devait pas faire de hiérarchie ethnique dans les ordonnances de 1945 qui avaient été signées par le général De Gaulle. Il expliquait qu'on pouvait tout à fait avoir une double loyauté, qu'on était tout à fait capable d'appartenir à des pays de l'Europe du Sud, de l'Europe de l'Est, qui paraissaient encore très lointaines à cette époque-là et que certains jugeaient indésirables, et que, tout en gardant une loyauté à son pays d'origine, on pouvait être loyal envers la France. Je pense que c'est cela qu'il faut rappeler : que l'intégration, ce n'est pas l'oubli des origines ni l'exclusion des origines. On est capable de s'intégrer dans deux cultures à la fois.
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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