Tous ceux qui suivent avec attention la progression de la politique américaine ne peuvent qu’être inquiets pour l’avenir de l’humanité dans son ensemble. Il y a d’abord eu le film remarquable de William Karel diffusé par certaines chaînes de télévision, Le monde selon Bush[1], qui explique ni plus ni moins que la première puissance mondiale est entre les mains d’une poignée d’hommes – les néo-conservateurs – qui tous ont des intérêts financiers dans les affaires du pétrole. Les armes de destructions massives introuvables révèlent sans ambiguïté que le mensonge peut être savamment entretenu pour tromper le peuple.
Cette guerre n’est qu’une question d’affaire juteuse
Rien n’est plus fragile qu’une démocratie. C’est une vérité que nous devons conserver à l’esprit si nous voulons éviter les pires dérives. Sans comparer l’impérialisme et le nazisme, n’oublions jamais que des élections en Allemagne ont engendré un Hitler, et que les fascismes sont très souvent le fruit d’un enthousiasme populaire qui déborde les limites de la saine raison.
Or, avec le 11 septembre, l’administration Bush n’a cessé de brouiller les cartes afin de légitimer une entreprise – la domination du Proche-Orient – qui avait été décidée bien avant la date fatidique. Depuis, les Etats-Unis livrent une guerre continuelle non pas pour en finir avec le terrorisme, mais c’est bien plutôt le terrorisme qui sert de prétexte à une guerre sans fin. Le journaliste italien Giulietto Chiesa, dans un opuscule remarquable, a dénoncé avec véhémence ces manipulations médiatiques : « Moins d’information signifie moins de démocratie. Une communication indécente (c’est-à-dire dépourvue de valeur intellectuelle, de décence, de culture) et manipulée (c’est-à-dire trompeuse, sous les multiples formes par lesquelles on peut induire en erreur ceux qui la subissent) prive la population des moyens intellectuels de défense. » (Guerre et mensonge. Terrorisme d’Etat américain, Editions Timéli, Genève, 2004)
Seuls les patrons des industries d’armements pouvaient se réjouir par ailleurs des annonces faites à tour de rôle par Messieurs Dick Cheney, Donald Rumsfeld, et Bush lui-même : cette guerre se poursuivrait pendant « toute une génération ». Guerre qui, initialement, avait été dénommée « justice infinie », là où il n’était somme toute question que d’affaires juteuses iniques !
Le système américain est en état de guerre perpétuelle
Mais il y a plus inquiétant encore. Chiesa avance que « le niveau de formation démocratique du citoyen américain est très bas. » S’agit-il d’une affirmation gratuite ? Les faits et les sondages semblent hélas lui donner raison lorsqu’il nous livre cette appréciation : « Il me semble improbable d’espérer de la part du peuple américain une réponse massive hostile à la guerre. » Encore faut-il éviter le piège des généralisations faciles, car de plus en plus d’Américains, rappelant au monde combien leur peuple a su faire preuve d’une intelligence remarquable au cours de son histoire, protestent contre le régime de Bush.
Il reste que manipulation il y a, et que l’exécutif au pouvoir ne lésine pas sur les moyens mis en œuvre pour orienter à sa guise une opinion publique qui tantôt est effrayée par le spectre du terrorisme international, tantôt est entraînée dans une vision manichéenne et infantile du monde séparant le bien et le mal, les bons et les méchants, et tantôt est fascinée par la représentation de guerres héroïques sur fond de scènes cinématographiques.
Une interview récente du chercheur Jean-Michel Valantin, interrogé par David Hornus, journaliste à « infoguerre.com », montre que certaines productions hollywoodiennes auraient été en partie conçues dans le but de développer dans les esprits cette idée d’une expansion nécessaire de l’armée américaine. Le chercheur et sociologue affirme : « Il faut sauver le Soldat Ryan en est l’illustration parfaite et est très importante à plus d’un titre : Tout d’abord, il faut s’intéresser dans ce film à la façon de filmer l’espace. Tout au long du film, on nous montre des Américains affrontant des Allemands dans un espace vide (….) Cela veut dire que le système américain est en état de guerre perpétuelle contre n’importe qui, n’importe quand, de n’importe quelle manière. La fonction du cinéma de sécurité nationale est une fonction de légitimation. »
Un peuple donc, dont les dirigeants disposent de tant de force destructrice, doit refuser d’être mené par le bout du nez.
Il faut mettre un terme au terrorisme d’Etat. Il faut écarter le soldat Bush.
Hani Ramadan
Directeur du Centre islamique de Genève
[1] Disponible en DVD, Editions Montparnasse, juillet 2004.