Faisons simple : l'abaya sans voile ne permet pas aux femmes de prier dans la quasi-totalité des mosquées, en France comme dans le reste du monde. Ainsi, la robe longue et ample avec des manches plus ou moins évasées représente un habit qui ne satisfait pas à la norme rituelle islamique. L'abaya seule n'est donc pas un habit religieux et les responsables religieux musulmans de France l’ont précisé dans les médias. Pourtant, elle continue à être considérée comme le fruit de la propagande islamiste, sans jamais qu’on sache à quoi renvoie le terme « islamiste », à tel point que, par ce glissement sémantique, on peut penser que musulman pratiquant vaut pour « islamiste ».
L'abaya est un habit oriental, c'est vrai... et donc ? Dans un monde globalisé où on porte des vêtements de toutes provenances, de toutes cultures, les habits sont pris, adoptés, parfois acculturés, d'où d’ailleurs certains débats sur les mécanismes de l'appropriation culturelle. Dans ce domaine, l'abaya ne déroge pas à la règle. Certes, les usagères de l’abaya sont souvent des filles qui portent le voile en dehors du lycée. Mais l'abaya est aussi souvent portée quand il fait chaud par de jeunes filles non voilées, sans que cela ne les empêche de se coiffer les cheveux en chignon pour dégager leurs cous et bénéficier de plus de fraicheur. Et cela ne les empêche naturellement pas de se maquiller et de se manucurer pour être coquettes.
L'abaya est un habit oriental, c'est vrai... et donc ? Dans un monde globalisé où on porte des vêtements de toutes provenances, de toutes cultures, les habits sont pris, adoptés, parfois acculturés, d'où d’ailleurs certains débats sur les mécanismes de l'appropriation culturelle. Dans ce domaine, l'abaya ne déroge pas à la règle. Certes, les usagères de l’abaya sont souvent des filles qui portent le voile en dehors du lycée. Mais l'abaya est aussi souvent portée quand il fait chaud par de jeunes filles non voilées, sans que cela ne les empêche de se coiffer les cheveux en chignon pour dégager leurs cous et bénéficier de plus de fraicheur. Et cela ne les empêche naturellement pas de se maquiller et de se manucurer pour être coquettes.
La République ne reconnaît aucun culte
L'abaya ne peut être considérée comme un vêtement religieux que si l’individu décide que c'est le cas pour lui. Est-ce à l'État de décider de ce qui est religieux ou non ? L’article 1 de la loi de 1905 rappelle que la République « assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions (…) de l’ordre public ». En son article 2, elle mentionne : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. »
Or, dans le cas présent, n’est-ce pas l’État qui attribue un caractère religieux à une tenue vestimentaire là même où les religieux ne le font pas ? Ne viole-t-il pas la laïcité sous prétexte de la faire respecter ? N'oublions pas que la laïcité s'applique à l'État et à ses agents. Elle a été pensée comme un moyen, une méthode pour permettre la liberté de conscience à toutes et à tous. Ce n’est donc pas une fin mais bien un moyen. Et pour la garantir, la neutralité doit s’imposer à l’État et à ses agents, pas aux usagers. Du moins, c’était le cas jusqu’à 2004, puisque depuis cette date, c’est aux usagers, les élèves, qu’on impose la neutralité, contre l’esprit même de la loi rapportée par Aristide Briand. Ce dernier savait qu’à vouloir neutraliser l’espace public en y interdisant les signes religieux, il suffirait qu’un accord tacite soit fait, qu’une mode soit lancée, et le moindre habit le plus banal peut devenir un emblème de ralliement religieux ou politique.
Ainsi, le groupe Bobo Ashanti, considéré comme extrémiste par d’autres mouvements rastas, ont adopté le balai de ménage comme symbole de leur propreté d’âme et de leur intégrité. Qu’est-ce qui empêcherait, demain par exemple, des jeunes musulmans ou d’autres de lancer une mode selon laquelle, un T-shirt orange de telle marque de sport serait un signe de ralliement ou d’appartenance religieuse ? Que fera l’école publique qui n’est pas censée reconnaître de culte ? À vouloir à tout prix imposer aux usagers une neutralité, on en arrive à des considérations sans fin. Après les jupes trop longues, les manches amples, les cols roulés… quoi pour demain ? Exclure des élèves n'est pas la bonne solution. Surtout quand il s’agit de le faire à partir d’une distorsion de la loi. Jupe longue ou abaya ? Comment distinguer ? Peut-être en fonction du prénom ou de la pigmentation de la peau. Si vous vous appelez Chloé, jupe longue ? Khadija, abaya ?
Or, dans le cas présent, n’est-ce pas l’État qui attribue un caractère religieux à une tenue vestimentaire là même où les religieux ne le font pas ? Ne viole-t-il pas la laïcité sous prétexte de la faire respecter ? N'oublions pas que la laïcité s'applique à l'État et à ses agents. Elle a été pensée comme un moyen, une méthode pour permettre la liberté de conscience à toutes et à tous. Ce n’est donc pas une fin mais bien un moyen. Et pour la garantir, la neutralité doit s’imposer à l’État et à ses agents, pas aux usagers. Du moins, c’était le cas jusqu’à 2004, puisque depuis cette date, c’est aux usagers, les élèves, qu’on impose la neutralité, contre l’esprit même de la loi rapportée par Aristide Briand. Ce dernier savait qu’à vouloir neutraliser l’espace public en y interdisant les signes religieux, il suffirait qu’un accord tacite soit fait, qu’une mode soit lancée, et le moindre habit le plus banal peut devenir un emblème de ralliement religieux ou politique.
Ainsi, le groupe Bobo Ashanti, considéré comme extrémiste par d’autres mouvements rastas, ont adopté le balai de ménage comme symbole de leur propreté d’âme et de leur intégrité. Qu’est-ce qui empêcherait, demain par exemple, des jeunes musulmans ou d’autres de lancer une mode selon laquelle, un T-shirt orange de telle marque de sport serait un signe de ralliement ou d’appartenance religieuse ? Que fera l’école publique qui n’est pas censée reconnaître de culte ? À vouloir à tout prix imposer aux usagers une neutralité, on en arrive à des considérations sans fin. Après les jupes trop longues, les manches amples, les cols roulés… quoi pour demain ? Exclure des élèves n'est pas la bonne solution. Surtout quand il s’agit de le faire à partir d’une distorsion de la loi. Jupe longue ou abaya ? Comment distinguer ? Peut-être en fonction du prénom ou de la pigmentation de la peau. Si vous vous appelez Chloé, jupe longue ? Khadija, abaya ?
Le grand impensé de l’affaire
Pourquoi ne pas tout simplement reconnaître que le visage de la France change ? Les musulmans en sont une réalité. En s'enracinant dans le pays, les mosquées se multiplient, des boucheries halal apparaissent, des carrés musulmans dans les cimetières fleurissent, des habits font la mode et la défont.
Aussi, si à l'origine certaines tenues revêtent des significations particulières dans le milieu où elles émergent, elles sont récupérées quand elles arrivent dans des réalités différentes. L'islam, dans tous les aspects de la vie, s'ajoute à la réalité française, il ne remplace rien. Il faut le dire, l'admettre et l'accepter parce qu'il n'y a pas de retour possible. C'est cela que les gens doivent comprendre, musulmans et non musulmans. C'est le grand « impensé » de tous ces débats. Il faut accepter cette nouvelle réalité.
Mais pourquoi ne l'accepte-t-on pas ? Parce que ce n'est facile pour personne. Les nostalgiques d'une France du début du XXe siècle ou de l’immédiate après-guerre doivent faire le deuil d'une France passée qui ne reviendra jamais. Quant aux nouveaux Français fantasmant encore une certaine représentation d’eux-mêmes teintée des saveurs des pays d'origine, ils vivent dans une réalité qui les éloignent de plus en plus, et de façon inéluctable et définitive, de ces pays pour les inscrire jusqu'aux tréfonds dans cette nouvelle France dont ils sont, bon gré, mal gré, des éléments constituants. Ces réalités sont difficiles à admettre pour tout le monde. Certains politiques surfent sur ces peurs, ces changements de la modernité, voire de la postmodernité, pour gagner en audience. Expliquer qu’il faut grandir, que la vie ne fait qu’avancer et qu’il n’y a pas de retour en arrière possible, ça ne fait pas plaisir, ça n’est pas très vendeur, même si c’est la réalité.
Certains, au lieu d'expliquer ces états de fait et de s'attaquer aux vrais problèmes, comme dans l'enseignement par exemple, se font prestidigitateurs, agitent les torchons de la crainte générée par ces changements réels, au risque de fractionner encore plus la société française. Au lieu de travailler à réparer les fractures et à rapprocher les archipels, on enfonce le clou et on divise encore plus, pourquoi ? Parce qu'on a choisi la facilité et peu importe les conséquences, on les relègue à plus tard et à ceux qui les supporteront.
*****
Faker Korchane est philosophe et théologien. Il a co-écrit « Qu’est-ce qu’un islam libéral ? » (Atlande, mai 2023).
Lire aussi :
Interdiction des abayas : un lycée en grève contre une « politique islamophobe » qui voile les véritables problèmes de l'école
Interdiction des abayas : le gouvernement fait bloc derrière Gabriel Attal
Interdiction des abayas et qamis : ce que dit la note de service de l'Education nationale
Abayas à l'école : les limites juridiques d'une interdiction générale qui dérange
Interdiction de l'abaya à l'école : le CFCM craint « un précédent grave, dangereux et discriminatoire »
Abayas à l'école : une tenue qui n'est « pas un signe religieux musulman »
Abayas et qamis à l’école : « Une nouvelle réglementation serait un aveu d’impuissance des pouvoirs publics »
Et aussi :
Le voile ou le choc des représentations (1/3)
Le voile ou le choc des représentations - Le corps comme vecteur de domination et d’exploitation (2/3)
Le voile ou le choc des représentations – Comment le hijab a pris des qualités spirituelles qu’il n’a pas (3/3)
Aussi, si à l'origine certaines tenues revêtent des significations particulières dans le milieu où elles émergent, elles sont récupérées quand elles arrivent dans des réalités différentes. L'islam, dans tous les aspects de la vie, s'ajoute à la réalité française, il ne remplace rien. Il faut le dire, l'admettre et l'accepter parce qu'il n'y a pas de retour possible. C'est cela que les gens doivent comprendre, musulmans et non musulmans. C'est le grand « impensé » de tous ces débats. Il faut accepter cette nouvelle réalité.
Mais pourquoi ne l'accepte-t-on pas ? Parce que ce n'est facile pour personne. Les nostalgiques d'une France du début du XXe siècle ou de l’immédiate après-guerre doivent faire le deuil d'une France passée qui ne reviendra jamais. Quant aux nouveaux Français fantasmant encore une certaine représentation d’eux-mêmes teintée des saveurs des pays d'origine, ils vivent dans une réalité qui les éloignent de plus en plus, et de façon inéluctable et définitive, de ces pays pour les inscrire jusqu'aux tréfonds dans cette nouvelle France dont ils sont, bon gré, mal gré, des éléments constituants. Ces réalités sont difficiles à admettre pour tout le monde. Certains politiques surfent sur ces peurs, ces changements de la modernité, voire de la postmodernité, pour gagner en audience. Expliquer qu’il faut grandir, que la vie ne fait qu’avancer et qu’il n’y a pas de retour en arrière possible, ça ne fait pas plaisir, ça n’est pas très vendeur, même si c’est la réalité.
Certains, au lieu d'expliquer ces états de fait et de s'attaquer aux vrais problèmes, comme dans l'enseignement par exemple, se font prestidigitateurs, agitent les torchons de la crainte générée par ces changements réels, au risque de fractionner encore plus la société française. Au lieu de travailler à réparer les fractures et à rapprocher les archipels, on enfonce le clou et on divise encore plus, pourquoi ? Parce qu'on a choisi la facilité et peu importe les conséquences, on les relègue à plus tard et à ceux qui les supporteront.
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