Dans les pages du Monde du 12 août 2004, Patrick Declerck nous livre sa haine de l’Islam. Mais il va plus loin : il revendique le droit l’exprimer publiquement. En parlant des musulmans, on a eu droit à quelques inepties paranoïaques du genre : « en face, on s’organise. On s’organise, on planifie, on égorge et on décapite… » L’on croirait entendre Georges Walker Bush dans sa justification de sa haine contre l’Islam.
M. Declerck tente cependant de diluer son propos haineux dans son rejet du religieux. L’ajout « en autres » vient par exemple atténuer avec soin la portée discriminante qu’engage la déclaration : « je hais l’islam ». Des précautions inutiles au regard de la liberté d’expression qui prévaut en France. Ce principe de « liberté d’expression », un des fondements de la démocratie est, selon M. Declerck, une simple « maladie mentale ».
Son texte crée une étrange atmosphère à plusieurs égards. Il s’en dégage avant tout une odeur nauséabonde. Pas celle que les vicissitudes de la vie infligent aux clochards et qu’il a suivi près de 15 ans, mais une odeur de putréfaction d’un naufrage issu de l’Histoire des années d’entre deux guerres. Car c’est bien au cours de cette période que le discours moisi qui consiste à accréditer la démocratie de tous les maux vient empester toute l’Europe. N’est ce pas au cours de cette période que le fascisme s’exprime au travers des ligues et n’hésite plus à montrer explicitement une communauté du doigt ? Mais avant cette odeur de putréfaction, il y avait des odeurs fétides annonçant que les choses moisissaient. Des discours ambigus, des gens que l’on ne désigne point mais que l’on devine. Ce genre de puanteur qu’exhale ce « je hais l’islam » de M. Declerck trahit une incapacité à adresser son mépris directement aux Musulmanes et aux Musulmans.
Cela n’est pas nouveau. Que l’on se souvienne donc de l’entre deux guerres ! Les choses se sont faites progressivement, imperceptiblement, à l’image d’un train morbide, sur les rails d’un certain discours mais dont la station finale se révèle être la cheminée du four crématoire. Mais, c’est chose connue qu’après la guerre, certains sont sortis de leur silence pour dire « on ne savait pas ».
S’il était isolé, le texte de M. Declerck n’exprimerait que l’opinion insipide d’un islamophobe ordinaire. Les choses n’iraient pas plus loin. Malheureusement les choses se présentent autrement. Chacun se souvient des déclarations de M. Claude Imbert, éditorialiste du journal Le Point et membre du Haut Conseil à l’Intégration. Sur la chaîne LCI, M. Imbert avait déclaré: « Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire ». Ce ne fut pas assez pour soulever l’indignation générale. Inutile donc de demander des excuses à M. Imbert. Clamer son islamophobie ne revient-il pas à déclarer son racisme ? Légalement, non ! Donc c’est chose permise, au nom de la liberté d’expression.
Il en est de même des écrits explicitement islamophobes comme Plateforme de Michel Houellebec ou le pamphlet ridiculement islamophobe comme la rage et l’orgueil d’Oriana Falacci. Là aussi, sous le couvert du droit à la création, ces auteurs s’offrent un canal d’évacuation de tensions racistes qui les traversent. M. Salman Rushdie, l’auteur des Versets Sataniques, peut dormir tranquille. Sa succession est assurée. Sauf que les candidats n’ont pas sa connaissance de l’Islam. Ils ont encore moins ses talents littéraires.
Les choses prennent cependant une autre ampleur lorsque le politique, relayé par les médias, sort de son silence et se perd dans des déclarations ambiguës. Le changement qui aboutit à cette ambiance nouvelle est imperceptible. C’est un fait divers qui nous le dévoile. Une femme accompagnée de son bébé est agressée dans le RER D. Ses agresseurs, dit-elle, sont de jeunes Arabes et de jeunes Noirs qui s’en sont pris à elle parce qu’ils l’ont prise pour une Juive. Cette information publiée par les médias, se révèle être une pitoyable mascarade. Pourtant, trois jours durant, dans le décor ainsi planté (une gare, une jeune fille et son bébé pris pour juif, des témoins lâches, des nazillons sortis tout droit de la banlieue et les sous-entendu ordinairement très équivoques), des politiques se sont précisés davantage. Le socialiste Jean Paul Huchon, président élu de la Région Ile-de-France, en présence des préfets de région et du préfet de police de Paris, déclare que : « ces jeunes, sont passés par notre système scolaire, ont grandi dans nos villes. Ceux-là sont notre terrible héritage et notre faute. » M. Roger Cuckierman, président du CRIF accuse les imams. Tous ont désigné et maudit les loups, là où il n’y avait aucun loup. Il semble que Patrick Declerck n’a pas retenu la leçon.
Dans les sous-entendus des politiques, dans les innombrables dérapages collectionnés par les médias, on retrouve l’idée que la source de tout ce désordre se trouve au sein de la jeunesse musulmane française. Même quand l’affaire s’est révélée être inventée de toute pièce, les principaux leaders d’opinion n’ont pas daigné présenter leurs excuses auprès d’un public affreusement stigmatisé. Prétextant, pour certains, que l’affaire aurait pu être authentique dans le monde évidemment virtuel de leurs fantasmes.
Ainsi se dessine avec précision la figure du bouc émissaire de notre temps. Lui est attribuée toute la responsabilité du désordre social dans les territoires laissés à l’abandon. Territoires des tournantes et de vrais et faux crimes antisémites soigneusement relevés par le Crif. Derrière la « menace de la cohésion nationale » annoncée, ne faut-il pas voir un exutoire ?
En attendant de répondre à cette interrogation, il est un fait qui, depuis plusieurs mois n’aura échappé à personne : ces nombreuses affaires foireuses mettent en pâture les musulmans de France. Pendant ce temps on relève, depuis la polémique sur le hijab, de nombreuses agressions touchant des filles portant le foulard qui n’osent porter plainte. A quoi bon ? Puisque personne ne les prendrait au sérieux. Car aujourd’hui en France, malgré les preuves évidentes, nombreux sont ceux qui pensent que l’islamophobie est une invention islamiste. Au motif de dénoncer l’antisémitisme, ils sèment les graines d’une haine nouvelle, et produisent de l’engrais à l’islamophobie. Dans leur paranoïa, ils ne font que combattre un racisme par un autre racisme. Patrick Declerck et les autres gagneraient à en tenir compte avant d’écrire dans les colonnes du Monde : « je hais l’Islam ».