Attendu depuis une semaine, le président de la République est intervenu ce mercredi 17 décembre pour trancher le débat sur la laïcité. Comme prévu, J.Chirac a suivi les conclusions de la commission Stasi et s’est prononcé en faveur d’une loi interdisant tout signe religieux 'ostensible' à l’école, dans les collèges et les lycées publics français. Cette loi devrait aussi s’appliquer à l’hôpital et dans le monde du travail après concertation avec les chefs d’entreprise. Il a par contre rejeté l'introduction dans le calendrier scolaire de deux jours fériés supplémentaires. Après cette déclaration, les réactions se sont faites vives.
Une loi contre les signes ostensibles à l’école
Devant une assistance de 400 personnes, rassemblant membres importants du gouvernement, dignitaires religieux et journalistes, le président Jacques Chirac s’est donc prononcé solennellement en faveur d’une loi visant à proscrire les signes religieux ostensibles du champ de l’école public. 'J’estime que le port de tenues ou de signes qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse doit être proscrit dans les écoles, les collèges et les lycées publics', a t-il déclaré.
Suivant les conclusions du rapport Stasi, Jacques Chirac a affirmé que 'les signes discrets, par exemple une croix, une étoile de David ou une main de Fatima, resteront naturellement possibles'. 'En revanche, a-t-il précisé, les signes ostensibles, c'est-à-dire ceux dont le port conduit à se faire remarquer et reconnaître immédiatement à travers son appartenance religieuse, ne sauraient être admis. Le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive n'ont pas leur place dans les enceintes des écoles publiques.'
Dans cette perspective, le président s’est donc déclaré pour une loi que le parlement devra voter et mettre en œuvre dès la rentrée 2004.
Il est à noter qu’à aucun moment le président n’a fait allusion aux signes politiques ou syndicaux.
Cependant, J.Chirac a rejeté la proposition de l'introduction dans le calendrier scolaire de deux jours fériés supplémentaires pour les fêtes religieuses juive de Kippour et musulmane de l'Aïd el-Kébir.
Service public, hôpitaux et monde du travail
Le chef de l’Etat a également insisté sur le principe de neutralité du service public et des ses agents. Il a ainsi affirmé 'l'interdiction pour chaque agent d'afficher ses propres croyances ou opinions'.
Le principe de laïcité doit aussi être élargit au champ de l’hôpital afin d’interdire à tout patient de refuser d’être soigné par un médecin de l’autre sexe. 'Il faudra que la loi vienne consacrer cette règle pour tous les malades qui s'adressent au service public', a-t-il ajouté.
Enfin, le monde du travail n’est pas épargné puisque le président a souhaité que le Ministre du travail engage les concertations nécessaires et, si besoin, soumette au' Parlement une disposition permettant au chef d'entreprise de réglementer le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité ou aux contacts avec la clientèle.'
Afin de garantir le respect des lois et de la laïcité, le président aussi annoncé la création, auprès du Premier ministre, d''un Observatoire de la laïcité, chargé d'alerter les Français et les pouvoirs publics sur les risques de dérive ou d'atteinte à ce principe essentiel'.
M. Chirac s'est également prononcé pour un 'code de la laïcité', réunissant 'tous les principes et les règles relatifs à la laïcité', et 'remis notamment à tous les fonctionnaires et agents publics le jour de leur entrée en fonction'.
Des réactions très partagées
Après la déclaration du chef de l’Etat, les réactions ont été aussi nombreuses que variées et montrent à quels points les Français reste toujours divisé sur le sujet.
Ainsi le président du CFCM et recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, c’était déjà prononcé contre l’idée d’une loi puisqu’elle risquerait de stigmatiser les Français de confession musulmane.
'Il nous appartient, en tant que responsables musulmans, d'expliquer la position du président', a-t-il ajouté.
'La loi de l'Etat est notre loi', a-t-il ajouté. 'Les musulmans de France aujourd'hui doivent recevoir ce message qui a été dit avec sagesse dans l'attitude d'un bon père de famille qui n'a négligé aucune des souffrances, en particulier des jeunes', a encore dit le recteur de la mosquée de Paris.
Le grand rabbin de France, Joseph Sitruk, a affirmé mercredi, à l'issue du discours du président Chirac sur la laïcité, qu'il était 'satisfait' et qu'il 'souscrivait à ce qu'avait dit le président de la République'. 'Ce discours a resitué la République à son plus haut niveau', a-t-il dit, 'ce n'était pas un discours grandiloquent mais des vérités premières... L'espace républicain est un espace de respect mutuel. Je souscris à ce qu'a dit le président', a-t-il ajouté.
Le secrétaire général de la conférence des évêques de France, Mgr Stanislas Lalanne, a estimé mercredi que les propositions de Jacques Chirac sur la laïcité étaient 'mesurées' et que l'épiscopat ferait 'avec' une loi, même s'il y est réticent.'Il me semble que les propositions du président sont mesurées', a dit M. Lalanne à la presse. 'Je crois qu'il a formulé (les termes) d'une véritable laïcité, une laïcité de dialogue et non de combat'.
'Nous étions un peu réticents par rapport à une loi mais nous ferons avec', a-t-il poursuivi. 'Nous pensions qu'il y avait des risques de discrimination, qu'un travail de pédagogie et de médiation était une meilleur solution, et que l'on ne règle pas tout avec une loi', a-t-il expliqué.
'Nous comprenons que les signes (religieux) provoquants soient bannis, c'était déjà l'avis du Conseil d'Etat en 1989', a-t-il poursuivi.
Le secrétaire général de la FSU, première fédération enseignante, Gérard Aschieri 'craint' que la loi annoncée par Jacques Chirac soit 'contre-productive et pas adaptée à son objectif'.'Je crains que cette loi soit contre-productive et pas adaptée à son objectif. Il n'y a pas beaucoup de nouveautés. Elle se réduit à une proposition de loi sur les signes ostensibles', a déclaré M. Aschieri à l'AFP après le discours du président de la République. 'Par ailleurs, on a oublié l'Alsace et la Moselle', a-t-il affirmé en faisant allusion au statut de dérogation. Il a ensuite ajouté que 'cette loi va poser un problème par rapport à un objectif d'éducation et de pédagogie'.
Une loi injuste
Jusqu'à la fin des années 80, tant que les mères se contentaient de faire le ménage et les pères de travailler dans les usines tout en évitant toute revendication (du fait de leur faible statut social ), le fait musulman ne posait pas de problème en France. Or, depuis l’eau a coulé sous les ponts et les enfants de ces parents ont grandi, ont été éduqués dans les écoles de la République, ont accédé à l’enseignement supérieur et, malgré quelques difficultés, a des postes de responsabilités.
Conscients qu’ils disposent des mêmes droits que tout autre citoyen, ces enfants ont aussi légitimement revendiqué le droit de pratiquer leur religion dans la dignité et le respect car elle fait partie de leur affirmation individuelle.
Cependant, cela pose problème car en dehors des caves, le fait musulman devient visible et le débat autour de la laïcité en découle naturellement.
Loin d’apaiser et de réconcilier les consciences, ce débat n’aura fait qu’accroître les tensions en stigmatisant une population particulière : les Français de confession musulmane. Nourrissant les préjugés déjà nombreux, ce débat risque d’accroître les discriminations à l’égard de ces citoyens à qui on reproche désormais leur confession après leur avoir reproché leurs origines culturelles.
Au-delà de cette perspective, une autre question se dessine. Comment assurer 'l’intégration' des jeunes filles voilées en les excluant de l’enseignement public qui par ailleurs est obligatoire et est un droit ?
Dans un espace où cohabitent plusieurs confessions, la laïcité affirme justement la primauté des lois de la République sur les positions religieuses protégées par les Droits de l'Homme. La République doit-elle se placer au-dessus des principes des Droits de l’Homme ?