Le Conseil français du culte musulman a adressé lundi 15 décembre une lettre ouverte au président Jacques Chirac, pour exprimer sa 'vive inquiétude' devant les 'dispositions discriminatoires à l'égard des musulmans' contenues dans le rapport rendu public par Bernard Stasi
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Lettre ouverte à Monsieur Jacques Chirac, président de la République
Monsieur le Président,
La Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, présidée par Monsieur Bernard STASI et mise en place sur votre décision, vous a présenté son rapport le 11 décembre 2003. Ce document a été aussitôt rendu public.
Le Bureau du Conseil Français du Culte Musulman s’est réuni en séance extraordinaire le lundi 15 décembre 2003 à la Grande Mosquée de Paris en vue d’examiner les conclusions et les propositions exprimées dans ce rapport.
Il paraît indispensable de porter à votre connaissance que les propositions et conclusion, du rapport suscitent une vive inquiétude au sein des musulmans de France. En effet, l’esprit et le ton général du rapport stigmatisent cette composante nationale et ne prennent pas en compte la réalité de l’islam de France.
La priorité donnée aux témoignages vécus à l’étranger et à des chercheurs spécialisés sur le Maghreb et/ ou dans le terrorisme, contribue à réduire l’islam à partir des sociétés étrangères, oubliant que les jeunes de France ont été socialisés à l’école de la République, faisant fi des interactions avec la culture française et des années d’installation des familles sur le sol français.
Je me permets d’appeler votre haute attention sur le fait que les travaux menés par la Consultation depuis 1999, sous votre présidence, et par le CFCM depuis le mois de mai 2003, ont été ignorés. Il semble également que les conclusions contenues dans le rapport du Haut conseil a l’intégration de l’année 2000 ont été également passées sous silence.
Les propositions du rapport sont ainsi formulées pour combattre, certes des comportements répréhensibles, mais elles conduisent à interdire à l’immense majorité des musulmans, de pratiquer sa religion dans le respect de la laïcité, telle qu’elle a été rappelée par la jurisprudence du Conseil d’Etat.
La définition qui ressort du rapport est en recul sur la situation actuelle vécue dans le respect de la jurisprudence et de l’esprit des lois, Doit on rappeler que «la République garantit le libre exercice des cultes», tout autant que la liberté de conscience, car cette dernière seule est mentionnée dans le rapport.
Ce dernier ne fait aucune proposition pour garantir la liberté d’exercice des cultes, notamment pour résorber le retard des musulmans dans l’acquisition d’édifices du culte et l’ouverture d’aumôneries dans les établissements scolaires et hospitaliers.
En ce qui concerne le contenu et la portée de la loi proposée par le rapport, ceux ci modifient considérablement le principe de laïcité car il ne s’agit plus de garantir le libre exercice du culte mais seulement d’assurer la diversité spirituelle. La portée de ce projet de loi apparaît comme une stigmatisation de l’ensemble des musulmans de France alors même que les agissements dénoncés relèvent plus de l’ignorance et de problématiques sociales. Un amalgame est fait entre l’islam, religion de paix, de savoir,, de progrès, et de fraternité, et des comportements nuisibles à la composante musulmane française.
C’est sur fond de contestation des libertés religieuses et individuelles que le rapport entend opérer le glissement de reléguer La question du foulard dans le champ unique des affaires d’ordre public, Faut il s’engager dans cette orientation qui laisser percevoir le spectre d’une gestion sécuritaire de l’islam ?
En ce qui concerne l’école, les termes proposés: « les tenues et signes religieux interdits sont des signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa. Ne sont pas regardés comme signes manifestant une appartenance religieuse les signes discrets que sont par exemple médailles, petites croix, étoiles de David, mains de fatima, ou petits Coran » apparaissent comme prioritairement discriminatoires à J’égard de l’islam, et les signes présentés comme discrets attribués à notre religion, relèvent plus de la tradition que de la pratique religieuse.
Monsieur le Président,
En conclusion, le CFCM vous exprime sa vive inquiétude:
Le rapport de la Commission présente une vision nouvelle de la laïcité : la garantie apportée par la République au libre exercice des cultes, édictée par la loi de 1905 a disparu et est remplacée par le simple respect de la diversité spirituelle.
Le rapport de la commission propose de remettre en cause la loi et la jurisprudence actuelle par des dispositions discriminatoires à l’égard des musulmans.
Le rapport de la Commission fait état de l’échec de la politique d’intégration. Le racisme est devenu, avec la violence, une réalité quotidienne à laquelle font face les musulmans, aux côtés des représentants des autres religions et des pouvoirs publics. Cependant, le rapport de la Commission établit un lien entre cette situation sociale et l’islam. Celui ci conduit à retenir que l’un est la conséquence de l’autre, réduisant des individus à leur présupposée appartenance à l’islam, ce qui n’est pas conforme à la réalité.
Les musulmans, qui souffrent de la montée du sectarisme à leur égard, sont confiants dans la République.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.