Les temps sont à la confrontation entre les différentes composantes de la nation. Comment allons-nous vivre ensemble ? Tant qu’une partie de la société française subira les discriminations au quotidien, le chômage, la ghettoïsation, le délit de nom et de faciès, les hostilités entre les populations issues de l’immigration et la minorité juive risquent hélas de perdurer. L’antisémitisme n’est pourtant pas un remède au mal-être de ces populations. Et si les Juifs semblent parfois avoir mieux « réussi », c’est aussi en raison d’une longue histoire de vie en diaspora qui leur a donné les outils pour mieux s’intégrer.
On oublie souvent que l’intégration des Juifs en France s’est étalée sur un siècle à partir de leur accès à la citoyenneté en 1790-1791. Et que la judéité française s’est constituée de diverses vagues d’immigration, que ce soit dans l’entre-deux-guerres avec l’arrivée des juifs d’Europe de l’Est, dont une grande partie pratiquante, ou dès la fin des années 1950 avec la venue des Juifs nord-africains, pour une bonne part des « rapatriés », de nationalité française depuis 1870.
N’oublions pas que les Juifs à la fin du XVIIIe siècle furent eux aussi traités d’obscurantistes. On leur reprochait l’orthodoxie de leurs rabbins, d’avoir une natalité élevée, de maltraiter leurs femmes. On disait qu’ils ne pourraient jamais s’intégrer en partie pour ces raisons-là. Quant aux campagnes antisémites des dernières décennies du XIXe siècle et de l’entre-deux-guerres, elles ne sont pas sans évoquer les campagnes d’islamophobie auxquelles nous assistons ces dernières années. L’extermination des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale est l’aboutissement de ce rejet dont les nazis se sont faits les chantres funestes.
On oublie souvent que l’intégration des Juifs en France s’est étalée sur un siècle à partir de leur accès à la citoyenneté en 1790-1791. Et que la judéité française s’est constituée de diverses vagues d’immigration, que ce soit dans l’entre-deux-guerres avec l’arrivée des juifs d’Europe de l’Est, dont une grande partie pratiquante, ou dès la fin des années 1950 avec la venue des Juifs nord-africains, pour une bonne part des « rapatriés », de nationalité française depuis 1870.
N’oublions pas que les Juifs à la fin du XVIIIe siècle furent eux aussi traités d’obscurantistes. On leur reprochait l’orthodoxie de leurs rabbins, d’avoir une natalité élevée, de maltraiter leurs femmes. On disait qu’ils ne pourraient jamais s’intégrer en partie pour ces raisons-là. Quant aux campagnes antisémites des dernières décennies du XIXe siècle et de l’entre-deux-guerres, elles ne sont pas sans évoquer les campagnes d’islamophobie auxquelles nous assistons ces dernières années. L’extermination des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale est l’aboutissement de ce rejet dont les nazis se sont faits les chantres funestes.
Du côté de l'exemple juif
J’invite les minorités dites « visibles » à regarder du côté de l’exemple juif pour découvrir que ce qui leur arrive n’est pas tout à fait nouveau. Que la France a des réflexes politiques qui la font résister à l’arrivée de l’Autre au centre. Aujourd’hui, ce réflexe se répète avec les populations installées dans le pays de relativement fraîche date. Les murs finiront par tomber, mais la résistance ne disparaîtra pas du jour au lendemain.
La situation économique désastreuse n’aide pas à endiguer les discriminations au travail, quand l’accès au travail est au fondement de la dignité de chaque être. Les Juifs d’Afrique du Nord étaient arrivés à l’époque des Trente Glorieuses lorsque l’intégration par le travail était encore possible. Leur réussite plus harmonieuse n’est pas étrangère non plus à ce contexte économique favorable. Les conditions actuelles sont presque contraires à ce patriotisme du travail qui réunirait toute la nation.
C’est dans l’opposition à ceux qui ont « réussi » que s’exprime le mal-être de ceux qui sont les laissés-pour-compte de la nation. Mais l’antisémitisme n’est pas la voie qui aidera à endiguer le chômage, à améliorer la vie dans les ghettos, à restaurer le rôle d’écoles où aujourd’hui la sélection frappe davantage ceux dont les parents n’ont pu accéder ni à l’éducation, ni au travail. Une injustice qui se perpétue de génération en génération.
L’acceptation de l’Autre commence à l’école par le partage de la culture. Rien n’est fait non plus dans ce sens puisque toutes les cultures des composantes de la nation ne sont pas également enseignées. Les programmes scolaires sont orphelins de l’esclavage, de la colonisation, de la décolonisation. Mémoires lourdes d’histoire qui n’accèdent pas à la mémoire collective. Le savoir enseigné ne devrait-il pas être pluriel afin de familiariser les jeunes entre eux, quand pour eux la diversité relève du vécu quotidien ?
Les médias, les politiques ne sont pas étrangers à cette division de la société en fractions hostiles. Nous en sommes nous-mêmes responsables par nos préjugés ethnico-religieux. Si nos politiques manquent de projets socio-économiques forts et porteurs pour mettre fin aux discriminations et pour lutter contre tous les racismes, alors prenons-nous en main, nous, la société civile.
Nous pouvons faire des efforts, hommes, femmes, décideurs, patrons, intellectuels, journalistes et simples citoyens, pour mener un travail de bonne volonté au quotidien. Et pour faire entendre à ceux qui nous dirigent qu’il y a de la place pour toutes les mémoires, que notre couleur, notre race, notre religion, notre sexe ne sont pas des obstacles à ce que nous puissions partager équitablement le savoir, le travail, la dignité, l’égalité, la liberté et la fraternité, avec nos talents et nos handicaps, nos ressources et nos manques.
Le repli est la fin du vivre-ensemble. Nos communautés respectives ne sont pas plus égalitaires ni plus solidaires que le reste de la société. Nous le croyons parce que celle-ci refuse à certains groupes l’accès au partage. Pour ne donner qu’un exemple, rappelons-nous, Juifs et musulmans, que nous avons longtemps vécu ensemble en terre d’islam, certes avec des hauts et des bas. Mais nous l’avons fait et nous avons partagé une histoire. Il n’est pas trop tard pour tenter de retrouver un modus vivendi qui nous a déjà, par le passé, permis de nous enrichir mutuellement d’une culture partagée. Ce ne fut pas un rêve, mais une réalité, parfois grise, pas toujours noire.
Et si un mariage d’amour semble impossible, alors contentons-nous pour commencer d’un mariage de raison. Nous pouvons cohabiter tous avec nos conflits. Ne cédons pas aux sirènes de l’émotion et du désespoir.
C’est dans cet esprit que nous avons préparé « Le Pari (s) du Vivre ensemble ». Toute une semaine, du 19 au 26 mars, avec des débats, des activités ludiques, de la musique métissée, des ateliers pour enfants, un match de foot mixte, des interventions en milieu scolaire, des concours, pour lutter contre les discriminations et favoriser la rencontre des différences.
Une semaine pour que la société civile soit entendue, avec ses voix multiples et colorées de la France de demain.
bProgramme et inscription gratuite mais obligatoire :
[www.parisduvivreensemble.org
ou 01 44 64 89 93
Esther Benbassa est directrice d’études à l’EPHE. Elle a dirigé, avec Jean-Christophe Attias, l’ouvrage Juifs et musulmans : une histoire partagée, un dialogue à construire, qui vient de paraître aux éditions La Découverte.]b