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Société

Affaire Houellebecq : la Grande Mosquée de Paris suspend sa plainte, pas l'Union des mosquées de France

Rédigé par Lionel Lemonier | Vendredi 6 Janvier 2023 à 10:25

           

Après avoir manifesté sa colère envers les propos injurieux de Michel Houellebecq, le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, opère un revirement en acceptant de suspendre sa plainte après sa rencontre avec l'écrivain. Que s'est-il bien passé ? Explications et réactions.



Chems-Eddine Hafiz et Michel Houellebecq. © FISOM7691 / Silvina Frydlewsky / Ministerio de Cultura de la Nación
Chems-Eddine Hafiz et Michel Houellebecq. © FISOM7691 / Silvina Frydlewsky / Ministerio de Cultura de la Nación
« Il est pénible de se livrer à des commentaires de texte au sujet d’évidences. » Droit dans ses bottes ! Michel Houellebecq ne semble pas regretter ses propos plus qu’embarrassants, publiés dans la revue souverainiste Front populaire et pour lesquels la Grande Mosquée de Paris avait annoncé fin décembre le trainer devant la justice. Dans une tribune publiée au Point mercredi 5 janvier, l’auteur à succès admet que « l’islam est une religion qui ne m’inspire guère de considération, dans une certaine mesure, je plaide donc coupable, à condition d'ajouter que je suis un islamophobe à temps partiel ». Avant, par la suite, de minimiser son influence personnelle sur la société : « Il serait curieux d’imaginer que mes prises de positions puissent avoir une influence concrète. »

Suivent quelques considérations générales sur les conditions d’une guerre civile à venir : « Il faudrait que la police soit effectivement dans l’incapacité de pénétrer dans certaines zones (elle doit parfois employer les grands moyens mais elle y parvient encore) (…). Il faudrait que l’armée elle-même soit dans l’incapacité de le faire. » L’écrivain semble croire que ces conditions minimisent la portée de ses commentaires. Mais il persiste en affirmant : « Lorsqu’une enclave islamique se sera créée, encore peuplée par quelques "gaulois", et même par quelques juifs très courageux ou très pauvres, alors je pense en effet que des actes de résistance auront lieu – c’est-à-dire des actes terroristes, parce que la résistance c’est ça. »

Michel Houellebecq enfonce même le clou en déclarant : « Manifestement, j’ai tendance à penser que le problème de l’immigration se réduit à un problème de délinquance. » Puis, il généralise ses aprioris personnels à une majorité de Français en indiquant que « la population française "de souche" (…) se livre à un amalgame ». « Un amalgame, c’est-à-dire un passage du particulier au général, est clairement une faute logique. Mais chez le souchien moyen, traumatisé par différents assassinats atroces, conscient des statistiques de la délinquance et des viols, il ne s’agit pas de raisonnements logiques, mais de réflexes de protection. Lorsqu’il débouche dans un quartier à forte densité musulmane perceptible (vêtements, commerces…), il se sent envahi par la peur ».

Une surprenante médiation

Rien, jusque là, ne semblait montrer une inflexion du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, qui n'a eu de cesse, ces derniers jours de faire valoir sa colère et celle des musulmans face aux propos de Michel Houellebecq. « Je combats Houellebecq et tous ceux qui s’en prennent aux musulmans de France », déclarait-il encore jeudi 5 janvier au Point. « Lorsque cet entretien entre Michel Onfray et Michel Houellebecq est paru, beaucoup de musulmans se sont émus et ont réclamé une réaction adaptée face à cette discrimination sans complexe et d'une rare violence. Les avocats de la Grande Mosquée de Paris ont constaté que les éléments de droit constituant l'infraction de provocation et d'incitation à la haine étaient réunis et m'ont donc poussé à saisir le juge », expliquait-il.

Oui, mais… le grand rabbin de France s’en est mêlé. Dans une interview au Figaro paru mardi 3 janvier, Haïm Korsia a invité le responsable musulman et l’écrivain à entrer en dialogue pour sortir de la polémique, sans passer par les tribunaux. « Certaines phrases sorties de leur contexte peuvent donner le sentiment que c’est un appel à la violence alors que pour l’écrivain, c’est l’exposition d’un risque majeur d’une fracture violente dans la société française », expliquait-il. « Je pense que qu’il y a quelque chose à dire et à faire avec Michel Houellebecq pour discuter avec lui et j’espère l’entendre dire que ce qu’il décrit est un risque et non son espérance. Je choisis l’appel à la fraternité. »

Le rabbin n’est pas convaincu qu’aller en justice soit le meilleur moyen de combattre les propos de l’écrivain « parce que Michel Houellebecq a déjà été assigné en justice pour des propos similaires et qu’il a gagné. Ce qui sera mis en cause ne sera pas la question de la liberté, mais celle de la responsabilité des propos. Pourquoi donc entrer dans des arguties juridiques quand on peut retrouver la facilité de se parler les uns les autres ? » Le responsable juif estime que les propos de l’écrivain ne seront pas qualifiés comme un « délit », mais comme l’expression d’une idée. « Et juridiquement, affirme-t-il, le problème se posera non sur l’idée mais sur la perception que certains ont de celle-ci ».

Dialoguer ou traîner devant la justice ?

Chems-Eddine Hafiz a accepté l’offre « publique et fraternelle » du grand rabbin de France. Les deux responsables de culte ont donc rencontré l’écrivain dans la matinée du jeudi 5 janvier. Les protagonistes de la rencontre sont revenus sur les « propos qui ont gravement heurté les musulmans de France », comme l’explique le recteur au Figaro. « Pris en flagrant délit de dérapage, Michel Houellebecq pouvait difficilement mettre ses récents propos sur le compte d'une fulgurance littéraire. Qu'il le sache, il a insulté les musulmans », explique-t-il. « Saisir les juridictions compétentes était notre seul moyen de répondre aux diffamations contre l’honneur des musulmans. »

« La voix de la raison voulait que Michel Houellebecq écoute ce que nous avions à lui dire. Non, le recours aux tribunaux n’est pas une fin en soi », poursuit Chems-Eddine Hafiz. Celui-ci a donc expliqué à l’écrivain « qu’il n’aurait jamais dû essentialiser les musulmans en les opposant aux "Français de souche" ». « Je lui ai expliqué la grande émotion provoquée par ses propos. Il a compris cette émotion et pris l’engagement de modifier les passages incriminés dans l’édition à venir pour qu’il n’y ait plus aucune ambiguïté sur le fait qu’il ne peut ainsi mettre en cause les musulmans dans leur ensemble », déclare-t-il, avant d'annoncer la suspension du dépôt de la plainte préparée par la Grande Mosquée de Paris, jusqu’à la sortie d’une nouvelle édition d'un livre à paraître regroupant l'intégralité de sa conversation avec Michel Onfray.*

Mise à jour : La Grande Mosquée de Paris renonce à sa plainte contre Michel Houellebecq, le recteur s'explique

L'UMF réagit

Du côté de l'Union des mosquées de France (UMF), la volonté de poursuivre l'écrivain pour ses propos est maintenue. La fédération présidée par Mohammed Moussaoui a fait savoir, vendredi 6 janvier, avoir mandaté l'avocate Najwa El Haité pour déposer plainte « contre la direction de la publication de la revue Front Populaire et contre Michel Houellebecq et Michel Onfray pour injure publique et provocation à la discrimination raciale et religieuse »., l'UMF « estimant que la frontière entre la pensée et l’expression libres sur l’islam d’une part et la volonté délibérée de discrimination et d’incitation à la haine à l’encontre des musulmans d’autre part a été franchie ».

« Les musulmans de France ne comprennent pas que M. Houellebecq puisse, d’une part, reconnaître que les paragraphes concernés sont ambigus et, d’autre part, ne prendre aucune mesure pour suspendre leur diffusion. Sa proposition de les remplacer dans l’édition d’un livre à venir ne met pas un terme à leur diffusion et ne protège pas les musulmans de leurs conséquences », estime Mohammed Moussaoui. « Dans ces conditions », l’UMF, tout en réaffirmant « avec force son attachement profond à la liberté d’expression », « n’a d’autre moyen que de poursuivre son action en justice en vue d’obtenir l’arrêt immédiat de la diffusion de ces paragraphes qui portent atteinte à la dignité des citoyens français de confession musulmane ».

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