Après les attentats islamophobes de Christchurch qui ont endeuillé la Nouvelle-Zélande le 15 mars dernier, l’une des réactions les plus remarquables fut celle de Caroline Fourest. La polémiste féministe tweetait en effet une nouvelle salve contre le concept d’islamophobie, notion qu’elle combat avec d’autres intellectuels depuis de nombreuses années.
Si elle s’associe à la douleur générale exprimée par tous face à ce crime odieux, elle rappelle d’emblée que « mal nommer, c’est minimiser ». Elle préfère l’utilisation des termes de « racisme antimusulman », qu’elle prétend combattre. L’islamophobie définit avant tout pour elle « la peur de l’islam » et non le rejet d’êtres humains – les musulmans – en raison de leur appartenance religieuse. Amalgamer ces deux qualifications laisserait la porte ouverte à l’impossibilité de la critique de l’islam en tant que religion ou système idéologique.
Cette dépense d’énergie autour de l’appellation d’un racisme spécifique implique de se poser la question suivante à laquelle, dans le but de franchir le Rubicon de l’incompréhension mutuelle afin d’annihiler le phénomène, il faut impérativement répondre : dans quelle mesure l’éternelle querelle sur le terme d’islamophobie, autour duquel les intellectuels français s’écharpent si souvent, masquent des a priori d’ordre subjectif interrompant les processus d’appropriation dans le débat public des actes racistes visant les musulmans (ou prétendus comme tels) ?
Cette dépense d’énergie autour de l’appellation d’un racisme spécifique implique de se poser la question suivante à laquelle, dans le but de franchir le Rubicon de l’incompréhension mutuelle afin d’annihiler le phénomène, il faut impérativement répondre : dans quelle mesure l’éternelle querelle sur le terme d’islamophobie, autour duquel les intellectuels français s’écharpent si souvent, masquent des a priori d’ordre subjectif interrompant les processus d’appropriation dans le débat public des actes racistes visant les musulmans (ou prétendus comme tels) ?
Qu’est-ce que l’islamophobie ?
Rappelons pour commencer la démonstration que l’islamophobie se rapporte à ce que tout le monde identifierait aujourd’hui comme relevant du racisme anti-musulman. Ainsi, pour Koffi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, la définition qu’il en fit dès 2004 est claire : « Quand le monde est contraint d’inventer un nouveau terme pour constater une intolérance de plus en plus répandue, c’est une évolution triste et perturbante. C’est le cas avec l’islamophobie. »
Les mots parlent d’eux-mêmes. L’islamophobie, bien que le terme puisse souffrir de défauts en ce qui regarde son étymologie (« la peur de l’islam »), désigne un phénomène grandissant pointé par l’ancien secrétaire général, à savoir le racisme spécifique à l’égard des musulmans ou perçus comme tels, et ses funestes applications en termes de rejet, de discrimination et d’actes violents. Cette spécificité est également le cas pour l’antisémitisme, qui ne renferme pas dans son usage, comme son étymologie le présupposerait, l’hostilité envers les sémites, mais bien, acception reconnue de tous, le racisme particulier, et les effets néfastes de celui-ci, envers les Juifs ou prétendus comme tels.
Le fait de chercher à savoir si le terme a été créé au début du XXe siècle ou en 1979 par la République islamique d’Iran constitue, au regard des événements actuels pouvant se cristalliser par la commission d’une tuerie de masse comme cela s’est récemment produit, un combat d’arrière-garde.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire l’Histoire de ce mot et des glissements de sens qu’il a pu comporter. Affirmer qu’il a défini, selon certains points de vue et à certaines époques, la peur ou le rejet de l’islam en tant que religion, détermine sa richesse historico-sémantique, comme cela est le cas pour beaucoup d’autres mots de la langue française. Ceci demeure toutefois l’affaire des spécialistes tels que les historiens, les linguistes et les lexicologues qui, s’ils enrichissent le débat d’occurrences scientifiques, ne sont pas les accoucheurs des notions collectives à partir desquelles la teinte de la scène intellectuelle du pays est dessinée.
Les mots parlent d’eux-mêmes. L’islamophobie, bien que le terme puisse souffrir de défauts en ce qui regarde son étymologie (« la peur de l’islam »), désigne un phénomène grandissant pointé par l’ancien secrétaire général, à savoir le racisme spécifique à l’égard des musulmans ou perçus comme tels, et ses funestes applications en termes de rejet, de discrimination et d’actes violents. Cette spécificité est également le cas pour l’antisémitisme, qui ne renferme pas dans son usage, comme son étymologie le présupposerait, l’hostilité envers les sémites, mais bien, acception reconnue de tous, le racisme particulier, et les effets néfastes de celui-ci, envers les Juifs ou prétendus comme tels.
Le fait de chercher à savoir si le terme a été créé au début du XXe siècle ou en 1979 par la République islamique d’Iran constitue, au regard des événements actuels pouvant se cristalliser par la commission d’une tuerie de masse comme cela s’est récemment produit, un combat d’arrière-garde.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire l’Histoire de ce mot et des glissements de sens qu’il a pu comporter. Affirmer qu’il a défini, selon certains points de vue et à certaines époques, la peur ou le rejet de l’islam en tant que religion, détermine sa richesse historico-sémantique, comme cela est le cas pour beaucoup d’autres mots de la langue française. Ceci demeure toutefois l’affaire des spécialistes tels que les historiens, les linguistes et les lexicologues qui, s’ils enrichissent le débat d’occurrences scientifiques, ne sont pas les accoucheurs des notions collectives à partir desquelles la teinte de la scène intellectuelle du pays est dessinée.
La subjectivité à l’œuvre dans le rejet du terme ?
Mais alors, qu’est-ce qui fait qu’un grand nombre d’acteurs de cette même scène intellectuelle refusent l’emploi de ce terme ? Chez les Finkielkraut, Zemmour, Bruckner, Fourest, Valls, Levy (de Causeur), critiquer son usage est un leitmotiv qu’ils assènent à longueur d’interventions médiatiques. La similitude de leur rejet pourrait faire penser qu’ils ne cessent de se concerter mutuellement sur la question. Il n’en est rien en réalité.
La reprise de la critique de ce terme est en fait un mème, « un élément culturel reconnaissable, reproduit et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres individus ». Rappelons que les mèmes sont, pour beaucoup de chercheurs, l’un des ressorts fondamentaux de l’Histoire de l’humanité.
Un autre de ces mèmes, dont nous sommes continuellement les témoins, marque la spécificité de l’arène politique française. Il nous montre comment des femmes et des hommes politiques, de gauche comme de droite, rejettent fréquemment le voile islamique, lequel menacerait la laïcité, alors même que cette dernière ne concerne que l’Etat et les agents auxquels elle impose par la loi une stricte neutralité religieuse. Bien qu’elle puisse scientifiquement être décrite, une imitation culturelle n’est pas forcément objective.
Ainsi, tout s’éclaire. Ce positionnement identique chez ces intervenants cache mal les problèmes qu’ils ressentent avoir avec ce qui se rapproche plus ou moins dans leur esprit de l’islam. Le fondamentalisme religieux contre lequel Caroline Fourest s’élève, l’identité française, censément malheureuse, que veut soigner Alain Finkielkraut, le grand remplacement qu’Eric Zemmour condamne, et l’assimilation interrompue qu’Elisabeth Lévy souhaite réactiver, sont pour eux des faits sociaux avérés qui fissurent, chacun à leur manière, le vivre-ensemble.
La cause de ce trouble national d’après leurs écrits ? Le renoncement des élites et les migrations massives des dernières décennies qui ont vu l’installation durable en France de populations musulmanes ou d’origine musulmane. Comme ils exigent que le débat public leur permette de critiquer l’islam pour conforter leurs a priori, ils désirent éviter le piège que leur tendrait le concept d’islamophobie.
En cela, ils possèdent une vertu cassante. Dans ce débat stérile qu’ils imposent, ils pompent l’énergie de chacun puisqu’ils interdisent de ce fait la réunion de toutes les bonnes volontés autour d’un mot reconnaissable pour lutter contre le racisme spécifique qui visent les musulmans.
La reprise de la critique de ce terme est en fait un mème, « un élément culturel reconnaissable, reproduit et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres individus ». Rappelons que les mèmes sont, pour beaucoup de chercheurs, l’un des ressorts fondamentaux de l’Histoire de l’humanité.
Un autre de ces mèmes, dont nous sommes continuellement les témoins, marque la spécificité de l’arène politique française. Il nous montre comment des femmes et des hommes politiques, de gauche comme de droite, rejettent fréquemment le voile islamique, lequel menacerait la laïcité, alors même que cette dernière ne concerne que l’Etat et les agents auxquels elle impose par la loi une stricte neutralité religieuse. Bien qu’elle puisse scientifiquement être décrite, une imitation culturelle n’est pas forcément objective.
Ainsi, tout s’éclaire. Ce positionnement identique chez ces intervenants cache mal les problèmes qu’ils ressentent avoir avec ce qui se rapproche plus ou moins dans leur esprit de l’islam. Le fondamentalisme religieux contre lequel Caroline Fourest s’élève, l’identité française, censément malheureuse, que veut soigner Alain Finkielkraut, le grand remplacement qu’Eric Zemmour condamne, et l’assimilation interrompue qu’Elisabeth Lévy souhaite réactiver, sont pour eux des faits sociaux avérés qui fissurent, chacun à leur manière, le vivre-ensemble.
La cause de ce trouble national d’après leurs écrits ? Le renoncement des élites et les migrations massives des dernières décennies qui ont vu l’installation durable en France de populations musulmanes ou d’origine musulmane. Comme ils exigent que le débat public leur permette de critiquer l’islam pour conforter leurs a priori, ils désirent éviter le piège que leur tendrait le concept d’islamophobie.
En cela, ils possèdent une vertu cassante. Dans ce débat stérile qu’ils imposent, ils pompent l’énergie de chacun puisqu’ils interdisent de ce fait la réunion de toutes les bonnes volontés autour d’un mot reconnaissable pour lutter contre le racisme spécifique qui visent les musulmans.
Cesser une bataille sémantique subjective et improductive
Caroline Fourest, avec d’autres, s’inscrit dans un combat idéologique qu’elle a le droit de mener. Pour mettre cependant fin à la querelle de l’islamophobie et nous retrouver autour de la lutte contre le racisme, entendons-nous tous une fois pour toute. L’islamophobie, devenu un concept populaire qu’on ne peut effacer d’un simple trait de plume, ne désigne pas l’interdiction de critiquer l’islam.
Si des intellectuels estiment que leurs postures doivent s’accompagner d’une dénonciation de cette religion ou de certaines de ses croyances et pratiques, grand bien leur fasse. Cela ne pose aucun problème tant que celle-ci ne s’assimile pas à un racisme visant des musulmans parce que musulmans. En retour, nous aimerions qu’ils reconnaissent l’usage objectivement moderne du mot « islamophobie » et qu’ils cessent de polluer le débat public dans une bataille sémantique subjective et improductive.
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Première parution de cette contribution sur le site de Libération.
Si des intellectuels estiment que leurs postures doivent s’accompagner d’une dénonciation de cette religion ou de certaines de ses croyances et pratiques, grand bien leur fasse. Cela ne pose aucun problème tant que celle-ci ne s’assimile pas à un racisme visant des musulmans parce que musulmans. En retour, nous aimerions qu’ils reconnaissent l’usage objectivement moderne du mot « islamophobie » et qu’ils cessent de polluer le débat public dans une bataille sémantique subjective et improductive.
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Première parution de cette contribution sur le site de Libération.