Un film pour tous les âges, de l’aube au crépuscule de sa vie, Kedi, le premier film de la jeune réalisatrice américano-turque Ceyda Torun, est tout simplement une splendeur, un véritable bijou cinématographique, que l’on aime ou pas les chats ou les animaux en général et que l'on s'intéresse ou pas à la Turquie.
Tout d'abord, Ceyda Torun a su éviter tous les problèmes du genre documentaire animalier : voix off intrusive et lourdement explicative, slow-motion appuyés, anthropomorphisme excessif, musique hyperbolique, mièvre et sentimentaliste, etc. Ici, rien de tout cela, et on l’en remercie.
Présenté comme un film sur les célèbres « chats d’Istanbul » qui contribuent à faire de cette ville un lieu unique au monde, un gigantesque bar à chats permanent et à ciel ouvert, Kedi est tout autant, voire plus, un film sur les Stambouliotes d’aujourd'hui, sur leurs vies, et sur cette ville remarquable et unique.
Il s’agit donc non pas simplement d’un film sur les chats, mais sur le « complexe de vie » incroyablement riche qui lie inextricablement humains et animaux, dans un rapport de solidarité, ici à la fois nécessaire et choisi, désiré, dans une vie commune qui se déroule entre une nature en déperdition et une urbanité qui, tout en étant envahissante et menaçante tant pour les hommes que pour les animaux, leur offre cependant à tous des ressources démultipliées. Il ne fait aucun doute qu’il fait bon vivre et être chat à Istanbul !
Point de manichéisme ou de simpliste « critique de la modernité » même si celle-ci apparait dans certaines scènes.
Kedi est donc aussi un film sur les Stambouliotes, et la caméra nous invite dans leurs foyers, leurs myriades de petits commerces familiaux, leurs boutiques artisanales, leurs ateliers artistiques, avec la même hospitalité, ouverture et générosité qui caractérisent l’amour de cette population pour ces créatures mi-humaines, mi-animales et, pour beaucoup, divines.
Rien de didactique, de lourd, de démonstratif dans ce film. La cinématographie de Ceyda Torun participe de la grâce des habitants et des animaux qu’elle filme. On assiste là de toute évidence à l’émergence d’une cinéaste déjà accomplie, avec un premier film extrêmement éduqué d’un point de vue cinématographique et photographique. Le montage, souvent « dialectique » tout en restant élégant et léger, mêle vues aériennes magnifiques, plans d'ensemble, gros plans splendides sur les visages époustouflants de ces animaux, et travellings virtuoses « à hauteur de chats », assurant la richesse et la diversité visuelle de ce film qui réussit à épouser à la fois le point de vue des humains et celui des animaux – autre challenge réussi et nécessaire –, car il s’agissait aussi de montrer la communauté de destin qui, du moins à Istanbul, lie inextricablement chats et humains, les uns ne pouvant concevoir leur vie sans les autres.
Chaque plan est magnifiquement composé, recherché tout en restant spontané, et des dizaines d’images de ce film pourraient figurer dans une exposition d’art photographique contemporain. Torun a à la fois un art consommé du montage, une vraie science de la narration et du rythme, et l’œil d’une superbe photographe.
De A à Z, du premier plan au dernier (qui en constitue le pendant parfait), Kedi est drôle, léger, touchant, émouvant, souvent bouleversant, profond, important, éminemment approprié à notre époque et hypersignifiant, comme le révèlent les interviews des habitants lorsqu’ils expliquent ce que ces chats signifient pour eux, ce qu’ils leur apportent et ce que eux leur apportent aussi.
Et comme toutes les véritables œuvres d’art, Kedi est un film à la fois hautement contextualisé (spécifique) et universel.
Contextualisé, car ce film n’aurait jamais pu être réalisé dans une autre ville et à une autre époque. A ce titre, Kedi est bien également un film sur Istanbul aujourd’hui et sur la Turquie d’Erdogan. Comme le laissent penser assez clairement certaines scènes et certains commentaires, Torun est probablement proche de la « génération Gezi », celle des démonstrations de masse de l’été 2013 contre le Président Erdogan et le modèle de société que, selon eux, il propose : un mélange de conservatisme religieux et de capitalisme ultramoderne et effréné. Film donc également politique, mais jamais dogmatique, partisan, « anti-Erdogan », ni bêtement idéologique.
Mais surtout, un film universel, avec lequel chacun pourra s’identifier quels que soient son background et ses circonstances personnelles, classe, genre, orientations politiques, origine géographique ou autre. Film-monde et œuvre fondamentalement humaniste, Kedi transcende toutes les particularités pour nous offrir une œuvre certes ancrée, mais qui mêle sa représentation critique de la modernité turque d’aujourd'hui avec une méditation philosophique, métaphysique, psychologique, spirituelle (tour à tour athée et religieuse) sur la condition humaine, la vie, la mort, la liberté, la dépendance à l’autre et, surtout, l’amour donné et reçu.
Car c’est bien l’amour qui constitue à la fois le fonds, le tissu, la texture, le moteur et le projet de ce film. Et Kedi représente l’amour dans ses multiples formes : amour des chats bien sûr, celui que les Stambouliotes ne cessent chaque jour de leur prodiguer comme si ces créatures étaient leurs propres enfants, et l’amour qu’ils reçoivent d’eux en retour. Mais aussi l’amour de soi et des autres que l’amour de et pour ces chats a permis à certains, meurtris par la vie, de retrouver. L’amour de Dieu et pour Dieu...
Rares, en fait, sont les films qui ont si bien su représenter, avec une telle grâce et apparente facilité, l’essence et la réalité de l’amour dans ses multiples dimensions.
Tout d'abord, Ceyda Torun a su éviter tous les problèmes du genre documentaire animalier : voix off intrusive et lourdement explicative, slow-motion appuyés, anthropomorphisme excessif, musique hyperbolique, mièvre et sentimentaliste, etc. Ici, rien de tout cela, et on l’en remercie.
Présenté comme un film sur les célèbres « chats d’Istanbul » qui contribuent à faire de cette ville un lieu unique au monde, un gigantesque bar à chats permanent et à ciel ouvert, Kedi est tout autant, voire plus, un film sur les Stambouliotes d’aujourd'hui, sur leurs vies, et sur cette ville remarquable et unique.
Il s’agit donc non pas simplement d’un film sur les chats, mais sur le « complexe de vie » incroyablement riche qui lie inextricablement humains et animaux, dans un rapport de solidarité, ici à la fois nécessaire et choisi, désiré, dans une vie commune qui se déroule entre une nature en déperdition et une urbanité qui, tout en étant envahissante et menaçante tant pour les hommes que pour les animaux, leur offre cependant à tous des ressources démultipliées. Il ne fait aucun doute qu’il fait bon vivre et être chat à Istanbul !
Point de manichéisme ou de simpliste « critique de la modernité » même si celle-ci apparait dans certaines scènes.
Kedi est donc aussi un film sur les Stambouliotes, et la caméra nous invite dans leurs foyers, leurs myriades de petits commerces familiaux, leurs boutiques artisanales, leurs ateliers artistiques, avec la même hospitalité, ouverture et générosité qui caractérisent l’amour de cette population pour ces créatures mi-humaines, mi-animales et, pour beaucoup, divines.
Rien de didactique, de lourd, de démonstratif dans ce film. La cinématographie de Ceyda Torun participe de la grâce des habitants et des animaux qu’elle filme. On assiste là de toute évidence à l’émergence d’une cinéaste déjà accomplie, avec un premier film extrêmement éduqué d’un point de vue cinématographique et photographique. Le montage, souvent « dialectique » tout en restant élégant et léger, mêle vues aériennes magnifiques, plans d'ensemble, gros plans splendides sur les visages époustouflants de ces animaux, et travellings virtuoses « à hauteur de chats », assurant la richesse et la diversité visuelle de ce film qui réussit à épouser à la fois le point de vue des humains et celui des animaux – autre challenge réussi et nécessaire –, car il s’agissait aussi de montrer la communauté de destin qui, du moins à Istanbul, lie inextricablement chats et humains, les uns ne pouvant concevoir leur vie sans les autres.
Chaque plan est magnifiquement composé, recherché tout en restant spontané, et des dizaines d’images de ce film pourraient figurer dans une exposition d’art photographique contemporain. Torun a à la fois un art consommé du montage, une vraie science de la narration et du rythme, et l’œil d’une superbe photographe.
De A à Z, du premier plan au dernier (qui en constitue le pendant parfait), Kedi est drôle, léger, touchant, émouvant, souvent bouleversant, profond, important, éminemment approprié à notre époque et hypersignifiant, comme le révèlent les interviews des habitants lorsqu’ils expliquent ce que ces chats signifient pour eux, ce qu’ils leur apportent et ce que eux leur apportent aussi.
Et comme toutes les véritables œuvres d’art, Kedi est un film à la fois hautement contextualisé (spécifique) et universel.
Contextualisé, car ce film n’aurait jamais pu être réalisé dans une autre ville et à une autre époque. A ce titre, Kedi est bien également un film sur Istanbul aujourd’hui et sur la Turquie d’Erdogan. Comme le laissent penser assez clairement certaines scènes et certains commentaires, Torun est probablement proche de la « génération Gezi », celle des démonstrations de masse de l’été 2013 contre le Président Erdogan et le modèle de société que, selon eux, il propose : un mélange de conservatisme religieux et de capitalisme ultramoderne et effréné. Film donc également politique, mais jamais dogmatique, partisan, « anti-Erdogan », ni bêtement idéologique.
Mais surtout, un film universel, avec lequel chacun pourra s’identifier quels que soient son background et ses circonstances personnelles, classe, genre, orientations politiques, origine géographique ou autre. Film-monde et œuvre fondamentalement humaniste, Kedi transcende toutes les particularités pour nous offrir une œuvre certes ancrée, mais qui mêle sa représentation critique de la modernité turque d’aujourd'hui avec une méditation philosophique, métaphysique, psychologique, spirituelle (tour à tour athée et religieuse) sur la condition humaine, la vie, la mort, la liberté, la dépendance à l’autre et, surtout, l’amour donné et reçu.
Car c’est bien l’amour qui constitue à la fois le fonds, le tissu, la texture, le moteur et le projet de ce film. Et Kedi représente l’amour dans ses multiples formes : amour des chats bien sûr, celui que les Stambouliotes ne cessent chaque jour de leur prodiguer comme si ces créatures étaient leurs propres enfants, et l’amour qu’ils reçoivent d’eux en retour. Mais aussi l’amour de soi et des autres que l’amour de et pour ces chats a permis à certains, meurtris par la vie, de retrouver. L’amour de Dieu et pour Dieu...
Rares, en fait, sont les films qui ont si bien su représenter, avec une telle grâce et apparente facilité, l’essence et la réalité de l’amour dans ses multiples dimensions.
Finalement, Kedi réussit aussi à nous offrir un film sur l’islam éclairé tel qu’il est vécu et pensé par les hommes, les femmes et les enfants d’Istanbul. Plusieurs des personnes interviewées s’expriment en effet sur les fonctions à la fois humanisantes (et dans certains cas, réhumanisantes) de ces magnifiques créatures mais aussi sur leurs fonctions spiritualisantes et religieuses.
Leçon qui devrait intéresser la partie pieuse de notre lectorat, Kedi rend évident que l’on ne peut être un bon et vrai musulman sans être aussi écologiste, environnementaliste et pour les droits des animaux. Si ce n'est pas encore le cas, nos amis « réformistes » doivent donc désormais prendre acte que l’islam, dans ses valeurs essentielles et ses objectifs profonds, est une religion profondément écologiste et que les droits des animaux en font intégralement partie.
Comme le dit un habitant : « Si on n’aime pas ces animaux, on ne peut pas aimer les humains non plus. » Ce à quoi, dans la logique du film, il faut ajouter : « ... Et on ne peut pas s’aimer soi, on ne peut pas aimer Dieu ni être aimé de Dieu non plus. »
Cette leçon est prodiguée, en actes et en paroles, par chacun des Stambouliotes interviewés, avec une simplicité, une vérité, une évidence, une authenticité et une profondeur que l’on aimerait retrouver chez certains de nos donneurs de leçons et érudits en sciences islamiques.
Il s'agit donc d’un film à voir absolument et qui de plus tombe à pic pour contrecarrer le déclinisme ambiant ou l’actualité chargée, sans cependant faire preuve de naïveté et sans oublier le réel. Comme le dit une habitante à propos de ces chats, Kedi « absorbe nos énergies négatives » et, si besoin est, nous rend espoir, liberté et capacité à aimer.
Le film de Ceydan Torun est un film qui libère au sens le plus profond du terme. A ce titre, il rend parfaitement justice à ses créatures, qui nous apprennent et nous montrent aussi ce que c’est que de vivre heureux et libres tout en restant fondamentalement attachés (dans les deux sens du terme) aux autres.
Leçon qui devrait intéresser la partie pieuse de notre lectorat, Kedi rend évident que l’on ne peut être un bon et vrai musulman sans être aussi écologiste, environnementaliste et pour les droits des animaux. Si ce n'est pas encore le cas, nos amis « réformistes » doivent donc désormais prendre acte que l’islam, dans ses valeurs essentielles et ses objectifs profonds, est une religion profondément écologiste et que les droits des animaux en font intégralement partie.
Comme le dit un habitant : « Si on n’aime pas ces animaux, on ne peut pas aimer les humains non plus. » Ce à quoi, dans la logique du film, il faut ajouter : « ... Et on ne peut pas s’aimer soi, on ne peut pas aimer Dieu ni être aimé de Dieu non plus. »
Cette leçon est prodiguée, en actes et en paroles, par chacun des Stambouliotes interviewés, avec une simplicité, une vérité, une évidence, une authenticité et une profondeur que l’on aimerait retrouver chez certains de nos donneurs de leçons et érudits en sciences islamiques.
Il s'agit donc d’un film à voir absolument et qui de plus tombe à pic pour contrecarrer le déclinisme ambiant ou l’actualité chargée, sans cependant faire preuve de naïveté et sans oublier le réel. Comme le dit une habitante à propos de ces chats, Kedi « absorbe nos énergies négatives » et, si besoin est, nous rend espoir, liberté et capacité à aimer.
Le film de Ceydan Torun est un film qui libère au sens le plus profond du terme. A ce titre, il rend parfaitement justice à ses créatures, qui nous apprennent et nous montrent aussi ce que c’est que de vivre heureux et libres tout en restant fondamentalement attachés (dans les deux sens du terme) aux autres.
Kedi, des chats et des hommes
Film de Ceyda Torun (Turquie, Etats-Unis, 1h 20)
Prix du meilleur premier documentaire au Critics Choice Documentary Awards 2017
Sortie en salles le 27 décembre 2016.
Film de Ceyda Torun (Turquie, Etats-Unis, 1h 20)
Prix du meilleur premier documentaire au Critics Choice Documentary Awards 2017
Sortie en salles le 27 décembre 2016.