Des chiffres pas si catastrophiques.
D'après une étude quantitative de Jean François Giret, chercheur au Cereq (Centre d'Etudes et de Recherches sur les Qualifications), portant sur plus de 54 000 jeunes 3 ans après leur départ du système éducatif, les chiffres du chômage et de l'intégration professionnelle ne sont pas si catastrophiques qu'on aurait pu le penser. Malgré un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale, atteignant pour ces jeunes, 16% en 2004, ce chiffre baisse largement avec le niveau du diplôme pour atteindre seulement 2% des jeunes qui sortent d'une école d'ingénieurs. Cependant, le chiffre du chômage explose (18%), lorsque l'étudiant est en échec dans l'enseignement supérieur, c'est-à-dire qu'il ressort sans avoir obtenu le diplôme pour lequel il concourrait.
Par ailleurs, plus de 53% des jeunes diplômés sortant du système éducatif trouvent un emploi sans passer par le chômage. Et, pour 36% de ces jeunes, il s'agit de contrat à durée indéterminée (CDI). Ce chiffre atteint les 67 % au cours des trois années qui suivent l'arrivée sur le marché du travail. La seule exception concerne les doctorats, en raison de la précarité et du manque de moyens dans le domaine de la recherche aujourd'hui en France, ces étudiants sont souvent plus à même de rencontrer des problèmes de chômages.
En gros, il est toujours très utile de faire des études. Malgré les problèmes de chômage, les diplômes garantissent une plus grande accessibilité à l'emploi. Un des sujets que le chercheur Jean-François Giret n'a pas manqué de préciser, appuyé par son collègue Vincent Geisser, chercheur au CNRS, reste l'importance du stage. Celui-ci a une grande force d'insertion et reste une passerelle sûre vers la stabilisation professionnelle. 24% des jeunes accèdent au premier emploi dans une entreprise qu'ils ont déjà connue au cours de leur parcours éducatif et dans lequel ils ont effectué un stage.
Jean François Giret, chercheur au Cereq.
Discriminations
Une autre question soulevée lors de ce colloque est celui de la discrimination. Celle-ci est décrite par Mouloud Aounit, secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP), comme la « mise en acte du racisme », le racisme étant, la volonté que l'autre n'existe pas.
M. Aounit dénonce de ce fait, un vocabulaire banalisé notamment le terme « issu de l'immigration » qui, selon lui, n'a plus lieu d'être après la 3 voire 4ème génération d'enfants nés sur le territoire français. Ceci participe au « génocide social » dont les insurrections en banlieues témoignent. Cette discrimination est présente partout et notamment dans l'accès à l'emploi. Selon J.F. Giret, 71% des Français dits de « souches » trouvent un emploi rapidement alors que seulement 57% des Français dits « issus de l'immigration » y arriveraient. Cette vérité s'estompe peu à peu avec le niveau d'étude. Autrement dit, plus vous êtes diplômés, moins votre « origine » devient un obstacle à votre insertion dans le milieu professionnel. « Il faut être « égal plus » lorsqu'on est d'une famille dite « issue de l'immigration » » regrette un étudiant dans la salle. « Mon père m'a appris qu'il fallait toujours être égal plus qu'un français de « souche », et je l'ai accepté, mais je peux comprendre que d'autres ne l'admettent pas ».
Cette discrimination existerait même au niveau de l'ANPE, cependant, précise Vincent Geisser, « l'ANPE, ne met pas en place une politique de discrimination, mais opère la doctrine de l'emploi diffusée par les employeurs. « moi je ne suis pas raciste, mais mes clients ou mes collaborateurs le sont ! » disent-ils. C'est une forme larvée de la discrimination, une doctrine qui renvoie la balle à d'autres acteurs. » Pour lutter contre cette discrimination, le CV anonyme a été évoqué mais n'a pas rencontré un vif succès. Mouloud Aounit s'exclamant même avec ironie « toi qui es discriminé, cache toi ! ».
Quant à M. Giret, il propose d'autres solutions ou du moins des pistes à approfondir. Il appuie sur l'importance du travail en réseau. Il faut non seulement sensibiliser les acteurs de l'emploi à ce problème, mais activer les réseaux locaux, qui vont des élus, en passant par les associations, les responsables syndicaux ainsi que les grandes écoles. Il met aussi l'accent sur les cursus professionnalisants et sur l'alternance. Il suggère de même d'agir sur les codes culturels de certaines populations. Par exemple, un jeune issu de la « culture ouvrière » aura tendance à développer une sorte « d'anticipation de l'échec » qui le fera renoncer même à s'inscrire aux concours d'entrée de certaines écoles. Il est utile de développer, selon J.F. Giret, des actions symboliques, à l'exemple de Sciences Po.
La discrimination ne concerne pas seulement les populations dites « issues de l'immigration », mais aussi les handicapés. Ces derniers souffrent d'un taux de chômage de 28%. Hamou Bouakkaz, Conseiller Technique au cabinet de la Mairie de Paris, spécialisé dans l'insertion des handicapés, mets l'accent sur l'image que les acteurs économiques ont des handicaps. Il accuse partiellement la « dictature féroce de la norme », et précise que cette image se divise en trois familles. La première est liée à la sois disant improductivité des personnes handicapées, la seconde à l'image que l'handicap reste une maladie et que, par cet état de fait, les personnes atteintes devront bénéficier d'une part de soins médicaux constants et être plus souvent absentes, mais aussi d'un aménagement de leur lieu de travail, chose qui s'avère fausse puisque seule 2% des personnes handicapées ont besoin de cet aménagement. Tout cela sembler coûter très cher à l'entreprise. Cette dernière est tout de même tenue, selon la loi, d'embaucher 6% de son effectif parmi les personnes handicapés. Cette règle n'est d'ailleurs pas respectée car nombreuses sont les entreprises qui préfèrent payer une amende.
M. Bouakkaz affirme que les personnes handicapées peuvent être particulièrement utiles au sein des entreprises, car grâce à leur handicap, elles développent un processus d'adaptation très efficace et les « sens » non atteints sont décuplés. Par exemple, lors du passage à l'euros, un collectif de personnes handicapées a aidé des personnes âgées à reconnaître plus facilement les pièces, afin de leur permettre de mieux s'habituer au changement.
Enfin, le troisième obstacle définit un préjugé culturel et psychologique qui concerne une peur généralisée de l'inconnu. En parallèle avec la discrimination liée à l'origine des personnes, les préjugés sur le handicap nécessitent, selon M. Bouakkaz, un changement d'abord étatique mais aussi sociétal. Les mentalités doivent évoluer et passer au dessus des préjugés.
De gauche à droite : Mourad Ghazli, Akli Mellouli, Samir Dangui (vice président national de l'EMF) et Mouloud Aounit.
Débats
Ce colloque a réuni en fin de journée, différents acteurs de la vie politique. Etaient notamment présents, Mourad Ghazli membre exécutif du parti radical, représentant l'UMP, ainsi que Akli Mellouli, membre du Conseil Nationale du Parti Socialiste. M.Ghazli a mis en avant l'importance de la création d'entreprise pour les jeunes, diplômés ou non. Il précise d'ailleurs que 55% des chefs d'entreprises en France n'ont pas le Baccalauréat. Remettant aussi en cause la lutte contre le CPE, il insiste sur le fait que les Français ont toujours une vision négative, « ils ne développent pas un pari de la réussite ». Selon M. Ghazli, la France est un faux « capitaliste » qui tendrait même vers le « bolchevisme ». Les jeunes « ont peur d'être virés » mais ne prennent pas en l'avantage du système concurrentiel, qui favorise l' « excellence ».
Akli Mellouli a, quant à lui, développé l'idée que notre problème en France, est que nous ne savons pas réformer le système lui-même. Nous savons réparer les erreurs à la marge et combler certaines brèches, mais revoir de fond en comble le système qui nous gère nous est impossible. La discrimination positive n'est pas une bonne chose selon lui car c'est encore une forme de discrimination, il faudrait trouver un juste milieu entre le paternalisme de l'Etat, qui ne fait que déculpabiliser les politiques, sans régler le problème et l'extrême libéralisme qui ouvre les portes à toutes sortes d'abus.
M. Ghazli, revenant sur les problèmes de formation a tout de même évoqué l'écart considérable qu'il y a entre les formations théoriques et les besoins pratiques des entreprises. 500 000 emplois ne sont pas pourvus et ne trouvent pas preneurs, dit-il. L'adéquation entre cursus scolaire et marché du travail doit être révisée et mieux adaptée.
Moutie, 26 ans, étudiant en finance à Limoge.
Micro-trottoir :
« Les intervenants, dans la première partie de cette journée, se sont trop orientés vers les sujets des étudiants immigrés et non pas sur le vrai débat d'actualité qui est l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. Les étudiants français ou non musulmans ne se sont pas sentis concernés par ce débat et ont quitté la salle. L'animateur n'a peut être pas bien encadré la discussion ».
« Dans l'ensemble c'était bien, notamment sur l'intervention de M. Geisser et de M. Ghazli. Cependant, je n'ai pas trop apprécié les interventions sur le CPE, car en tant qu'étudiante étrangère, je ne me sens pas du tout concernée. » Fatou, 19 ans, étudiante sénégalaise en Physique ingénierie à Bordeaux.
Louisa, technicienne biologiste, 28 ans, région parisienne.
« Sur la forme, les micros ne marchaient pas bien, l'acoustique était d'une qualité décevante et ce n'était pas très agréable ; mais le thème était pertinent car d'actualité. Il y aurait peut être dû avoir des invités plus diversifiés et plus proches des étudiants et des jeunes. »
« Sur les débats de l'après-midi, on a vu les discours de droite et de gauche s'opposer, comme d'habitude. Il faudrait en fait, prendre le meilleur de chacun. M. Ghazli a insisté sur une émancipation des économies individuelles sans trop attendre de l'outil politique. Son discours est intéressant car il est positif, mais je pense que l'outil républicain est aujourd'hui dans le coma et qu'il faudrait le réanimer, et le réformer. » Saber, 26 ans, ingénieur en informatique à Paris.
Abbass, 28 ans, étudiant en doctorat de droit à Limoges et président de l’EMF Limoges.
« Je suis à l'EMF depuis 3 ans, et en général les rencontres se situent dans un cadre universitaire. Je me rends compte qu'aujourd'hui on est capable d'élargir le débat sur le problème de l'emploi. Les intervenants ont tous été à même d'apporter une réponse à la problématique. Les discours droite / gauche sont traditionnels en France, mais dans la gestion des choses, ce n'est pas toujours une grille de lecture réelle. Quand on écoute M. Borloo, on croirait entendre un homme de gauche ! »