HOLLYWOOD. – Il est 4 heures du matin quand je me réveille dans cet hôtel hollywoodien qui m’accueille quelques jours le temps d’une conférence et de rencontres en Californie. Arrivée la veille tôt, je me suis écroulée. N’en pouvant plus de tourner dans tous les sens, je finis par me convaincre que quelques heures de sport ne pouvait me faire du mal après 11 heures passées dans un avion à m’empiffrer de chocolat…
Il est 7 h 30 quand je me rends compte que mon chargeur de téléphone est aux abonnés absents. Une fois de plus, devrais-je dire…
Me voici donc sur Hollywood Boulevard et son très fameux Walk of Fame, où badauds et touristes peuvent marcher sur les étoiles de leurs acteurs et chanteurs préférés. J’ai conscience qu’il est encore tôt mais aime pouvoir profiter du calme des villes avant la cohue. Les rues sont vides. Enfin presque. J’assiste à un spectacle auquel je dois avouer ne pas m’attendre.
À chacun de mes pas, littéralement, je vois des hommes et des femmes qui, tour après tour, se lèvent, ramassent leurs affaires et poussent un chariot ou leurs sacs vers une destination inconnue. Une chorégraphie qui semble maitrisée de tous. Le phénomène n’est pas nouveau mais ce que je vois ce matin-là finit par me faire un drôle d’effet.
Quelle ironie cinglante que, dans cet axe qui célèbre le glamour, le clinquant (glitter, « briller » est un mot qu’on apprend vite à Los Angeles) et les célébrités, se transforme une fois la ville assoupie en refuge des inconnus, des invisibles, des laissés-pour-compte.
Il est 7 h 30 quand je me rends compte que mon chargeur de téléphone est aux abonnés absents. Une fois de plus, devrais-je dire…
Me voici donc sur Hollywood Boulevard et son très fameux Walk of Fame, où badauds et touristes peuvent marcher sur les étoiles de leurs acteurs et chanteurs préférés. J’ai conscience qu’il est encore tôt mais aime pouvoir profiter du calme des villes avant la cohue. Les rues sont vides. Enfin presque. J’assiste à un spectacle auquel je dois avouer ne pas m’attendre.
À chacun de mes pas, littéralement, je vois des hommes et des femmes qui, tour après tour, se lèvent, ramassent leurs affaires et poussent un chariot ou leurs sacs vers une destination inconnue. Une chorégraphie qui semble maitrisée de tous. Le phénomène n’est pas nouveau mais ce que je vois ce matin-là finit par me faire un drôle d’effet.
Quelle ironie cinglante que, dans cet axe qui célèbre le glamour, le clinquant (glitter, « briller » est un mot qu’on apprend vite à Los Angeles) et les célébrités, se transforme une fois la ville assoupie en refuge des inconnus, des invisibles, des laissés-pour-compte.
Il y a toujours quelque chose de troublant dans nos sociétés modernes, post-industrielles, pays de Cocagne où tout est en abondance et quelque peu démesuré dans cette capacité d’accepter l’extrême disparité. Il y a toujours quelque chose de profondément troublant dans nos villes uniformisées, éclairées, tolérantes aussi dans cette capacité à tolérer l’extrême violence sociale que peuvent représenter ces hommes et ces femmes réduits à plus grand-chose.
Une semaine plus tôt dans le cadre d’un projet de solidarité nommé « Sadaqa Tsedaka » que j’avais mis en place avec des jeunes en France, nous avions préparé des paniers-repas que j’avais distribués entre la gare du Nord (Paris 10e) et la place de Stalingrad (Paris 19e) et les mêmes réflexions brouillaient mon esprit.
Je sais que je ne suis pas la seule à partager ces pensées. Je vois autour de moi des centaines d’initiatives fleurir pour venir en aide à ceux qui, dans nos sociétés, sont mis à l’écart et n’intéressent aucunement les pouvoirs politiques. Les invisibles ne font pas l’objet de punchlines lors des débats présidentiels. Le logement n’a ni ministère, ni secrétariat d’État. Rien.
Je m’étonne et me questionne sur notre incapacité individuelle et collective de ne pas ou plus réclamer des changements radicaux. Je me dis souvent que nos bonnes volontés sont souvent juste des pansements sur une plaie qui reste béante. Est-ce que donner une pièce à une personne sans-abri ne sert pas d’abord à soulager notre conscience torturée et nos peurs profondes d’être un jour en proie à une telle relégation sociale ?
Je hais souvent ma bonne conscience et mes bonnes volontés que je juge malsaines. Au point de me faire perdre les pédales comme cette fois où, dans une soirée associative, je rencontre cette trentenaire, branchée, visiblement de bonne famille, qui s’enorgueillissait d’avoir obtenu un prix (et donc de l’argent) de l’État pour avoir mis en place une application destinée à mettre en relation les riverains d’un quartier parisien et les sans-domicile fixe du même quartier. Il a fallu s’y reprendre à plusieurs reprises pour que je comprenne l’objet même de son projet et qui plus est son intérêt…
Je ne sais pas contre qui je devais tourner ma colère intérieure. Contre moi, incapable de voir les bienfaits d’une telle action ? Contre l’État qui, par ce prix, se lave une fois de plus de la question du logement et des sans-abris en refilant la problématique aux associations ? Ou encore à cette femme qui ne comprenait pas que la somme allouée à son application pouvait tout simplement aller directement aux sans-abri plutôt qu’à une énième « entreprise sociale et solidaire », nouvelle désignation convoitée par des étudiants de commerce en manque de cause humanitaire.
Dans notre esprit persiste l’idée que les personnes sans domicile sont soit des « loosers » qui ne se battent pas assez, soit des dommages collatéraux de notre société d’abondance, qui, en fin de compte, sont inévitables... Et que donc on n’y peut rien...
Pourtant, il semblerait qu’il existe des solutions. À Londres, en 2009, 13 sans-abris ont été les cobayes d’une expérience. Ils se sont vus offrir la somme de 3 000 pounds (3 442 €). Sans conditions. Non, ils n’ont pas dépensé leur argent en alcool. Au bout d’un an et demi d’expérience, 9 d’entre eux avaient un toit sur la tête, certains avaient pris des formations de jardinage, ou avaient repris contact avec leurs familles. Une expérience qui nous rappelle que le changement n’est pas affaire d’utopie.
****
Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
Une semaine plus tôt dans le cadre d’un projet de solidarité nommé « Sadaqa Tsedaka » que j’avais mis en place avec des jeunes en France, nous avions préparé des paniers-repas que j’avais distribués entre la gare du Nord (Paris 10e) et la place de Stalingrad (Paris 19e) et les mêmes réflexions brouillaient mon esprit.
Je sais que je ne suis pas la seule à partager ces pensées. Je vois autour de moi des centaines d’initiatives fleurir pour venir en aide à ceux qui, dans nos sociétés, sont mis à l’écart et n’intéressent aucunement les pouvoirs politiques. Les invisibles ne font pas l’objet de punchlines lors des débats présidentiels. Le logement n’a ni ministère, ni secrétariat d’État. Rien.
Je m’étonne et me questionne sur notre incapacité individuelle et collective de ne pas ou plus réclamer des changements radicaux. Je me dis souvent que nos bonnes volontés sont souvent juste des pansements sur une plaie qui reste béante. Est-ce que donner une pièce à une personne sans-abri ne sert pas d’abord à soulager notre conscience torturée et nos peurs profondes d’être un jour en proie à une telle relégation sociale ?
Je hais souvent ma bonne conscience et mes bonnes volontés que je juge malsaines. Au point de me faire perdre les pédales comme cette fois où, dans une soirée associative, je rencontre cette trentenaire, branchée, visiblement de bonne famille, qui s’enorgueillissait d’avoir obtenu un prix (et donc de l’argent) de l’État pour avoir mis en place une application destinée à mettre en relation les riverains d’un quartier parisien et les sans-domicile fixe du même quartier. Il a fallu s’y reprendre à plusieurs reprises pour que je comprenne l’objet même de son projet et qui plus est son intérêt…
Je ne sais pas contre qui je devais tourner ma colère intérieure. Contre moi, incapable de voir les bienfaits d’une telle action ? Contre l’État qui, par ce prix, se lave une fois de plus de la question du logement et des sans-abris en refilant la problématique aux associations ? Ou encore à cette femme qui ne comprenait pas que la somme allouée à son application pouvait tout simplement aller directement aux sans-abri plutôt qu’à une énième « entreprise sociale et solidaire », nouvelle désignation convoitée par des étudiants de commerce en manque de cause humanitaire.
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