Vous travaillez sur la question de la prévention de la radicalisation. Ce terme est très attaché à l'extrémisme religieux. Comment le définissez-vous ?
Jacqueline Costa-Lascoux : La radicalisation est un processus de rupture. On ne naît pas radicalisé, on le devient. La rupture intervient par la transformation de soi. On change d'apparence, d'habitudes vestimentaires, alimentaires. On décroche de l'école, on rompt avec les copains, avec la famille et même avec sa propre identité, en choisissant un nom qui a une signification religieuse, par exemple. Mais c'est aussi la volonté de transformer le monde, une transformation globale et radicale d'un monde qui est jugé impie, impur, dépravé. Et pour cela, tous les moyens sont bons, y compris la violence, jusqu'au terrorisme et jusqu'au martyre réservé à quelques-uns des élus qui iront au Paradis.
Autrement dit, la radicalisation religieuse est à la fois initiatique et il ne faut pas oublier cela, c'est ce qui attire beaucoup les jeunes, on se purifie soi-même et la volonté d'un changement à la racine de nos sociétés. Ce sont ces deux transformations qui attirent notamment les jeunes qui sont dans une situation de mal-être parce qu'ils se sentent discriminés, non reconnus, humiliés. Ce sont leurs termes. Et les réformes de la société, ça ne leur suffit pas. Ils veulent quelque chose qui transforme l'ensemble.
Autrement dit, la radicalisation religieuse est à la fois initiatique et il ne faut pas oublier cela, c'est ce qui attire beaucoup les jeunes, on se purifie soi-même et la volonté d'un changement à la racine de nos sociétés. Ce sont ces deux transformations qui attirent notamment les jeunes qui sont dans une situation de mal-être parce qu'ils se sentent discriminés, non reconnus, humiliés. Ce sont leurs termes. Et les réformes de la société, ça ne leur suffit pas. Ils veulent quelque chose qui transforme l'ensemble.
Mais le terme de radicalisation ne se limite pas qu'à la sphère religieuse. On voit par exemple apparaître la radicalisation dans les mouvements d'ultra droite, d'ultra gauche, avec une remise en cause de l'État de droit. Y a-t-il des points communs entre ces formes de radicalisation dans le mode de recrutement ou d'expression ?
Jacqueline Costa-Lascoux : Vous avez parfaitement raison. Il y a des similitudes et des formes de radicalité politique qui se développent avec des expressions violentes, voire des attentats. L'idée d'une transformation globale de la société en éradiquant la cause des injustices ou en chassant les envahisseurs, comme le pense l'extrême droite, conduit à légitimer la violence contre les pouvoirs en place, les élites ou contre les étrangers qui porteraient atteinte à notre identité nationale. Dans tous les cas, on est de toute façon dans une vision simpliste de ce qui est bien et de ce qui est insupportable et condamnable. Les radicalités politiques comme les radicalisations religieuses s'appuient très souvent sur le complotisme.
On trouve aussi des similitudes dans les étapes du processus de radicalisation : la séduction, qui se fait le plus souvent par Internet, qui vise celui qui ne va pas bien, qui a envie que les choses changent ; l'implication, en lui demandant d'apporter des preuves de sa transformation, lui demandant un serment d'allégeance et d'être un peu prosélyte pour faire de nouveaux adeptes ; et puis, la troisième phase, qu'on retrouve aussi bien dans les radicalités politiques d'extrême gauche comme d'extrême droite, la dissimulation avant le passage à l'acte. On a le devoir de tromper l'ennemi pour être plus efficace.
Mais la comparaison s'arrête là, parce que la légitimité n'est pas la même. Les uns se réclament d’une analyse des inégalités telles qu'elles sont, à hauteur d'homme, mais la radicalisation religieuse se légitime par un devoir envers Dieu et donc elle se réfère à une transcendance qui est inaccessible aux croyants, aux incroyants, aux impies et aux apostats. Et stratégiquement, c'est d'une efficacité remarquable. Vous ne pouvez pas y répondre par la rationalité d'une argumentation.
On trouve aussi des similitudes dans les étapes du processus de radicalisation : la séduction, qui se fait le plus souvent par Internet, qui vise celui qui ne va pas bien, qui a envie que les choses changent ; l'implication, en lui demandant d'apporter des preuves de sa transformation, lui demandant un serment d'allégeance et d'être un peu prosélyte pour faire de nouveaux adeptes ; et puis, la troisième phase, qu'on retrouve aussi bien dans les radicalités politiques d'extrême gauche comme d'extrême droite, la dissimulation avant le passage à l'acte. On a le devoir de tromper l'ennemi pour être plus efficace.
Mais la comparaison s'arrête là, parce que la légitimité n'est pas la même. Les uns se réclament d’une analyse des inégalités telles qu'elles sont, à hauteur d'homme, mais la radicalisation religieuse se légitime par un devoir envers Dieu et donc elle se réfère à une transcendance qui est inaccessible aux croyants, aux incroyants, aux impies et aux apostats. Et stratégiquement, c'est d'une efficacité remarquable. Vous ne pouvez pas y répondre par la rationalité d'une argumentation.
Au-delà des aspects sécuritaires, que doit-on faire, selon vous, en matière de prévention de la radicalisation, puisque, vous venez le dire, c'est un discours global qui exclut toute critique ?
Jacqueline Costa-Lascoux : D'abord, poser les bonnes questions et accepter la complexité de ces phénomènes. En comprendre aussi les enjeux. On ne va pas s'arrêter simplement à la peur que cela engendre dans la population. Les extrémismes jouent justement sur les peurs. On ne va pas non plus se dire que la critique du système démocratique est inutile. Il y a nécessairement des critiques. Simplement, montrer que la démocratie est la plus respectueuse de l'égale dignité des personnes.
Mais surtout, il faut aussi être conscient des dégâts que cela engendre dans la vie même des radicalisés, dans leurs familles, leur entourage, l'école. Il faut donc analyser tout ça, en développant toutes les formes de débat démocratique, en écoutant plus les citoyens, notamment les jeunes, en répondant à leurs attentes.
Mais surtout, il faut aussi être conscient des dégâts que cela engendre dans la vie même des radicalisés, dans leurs familles, leur entourage, l'école. Il faut donc analyser tout ça, en développant toutes les formes de débat démocratique, en écoutant plus les citoyens, notamment les jeunes, en répondant à leurs attentes.
Cela passe donc par l'éducation ?
Jacqueline Costa-Lascoux : Essentiellement, vous avez raison. C'est la mission de l'école d'éduquer… Si on éduque aux valeurs républicaines et de laïcité d'un point de vue purement juridique, c'est raté. Il faut montrer concrètement que la démocratie et une démocratie républicaine favorisent les libertés et les progrès de l'égalité. Dire aussi que c'est pour cela que des personnes tentent, dans les pires conditions, de fuir des persécutions pour demander l'asile dans nos pays. Mais je dois vous avouer que le chantier de l'école reste immense.
Mais quand vous parlez de l'école, c'est évidemment à la communauté éducative à laquelle vous pensez, ce n'est pas essentiellement les enseignants ?
Jacqueline Costa-Lascoux : Non, non, non. On ne va d'ailleurs pas tout leur mettre sur le dos, comme on dit. Non, c'est vraiment, vous avez raison, la communauté éducative. C'est pour ça qu'il faut travailler avec les parents. C'est pour ça qu'il faut travailler avec les jeunes, avec l'éducation populaire, le sport aussi. Il y a énormément de choses à faire. A une vision globale de violence pour la transformation de la société, il faut répondre avec une vision globale d'une évolution de la société vers plus de liberté et d'égalité.
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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