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Points de vue

Annonciation et Nuit du Destin : chrétiens et musulmans ensemble sous l’égide du Verbe divin

Rédigé par Abd-al-Wadoud Gouraud | Mercredi 26 Mars 2025 à 18:30

           


Cette année 2025 après la naissance de Jésus-Christ (sur lui la paix), correspondant à l’année 1446 de l’hégire du Prophète Muhammad (sur lui la grâce et la paix) et de ses compagnons de La Mecque à Médine, a vu la coïncidence providentielle entre le mois de Ramadan pour les musulmans et le temps du Carême pour les chrétiens.

Un signe de convergence spirituelle qui souligne comment les croyants de ces communautés peuvent se rejoindre, grâce au rite sacré du jeûne pratiqué selon des formes et des règles propres à chacune, dans une même quête de la Proximité et de la Miséricorde divines, quête qui exige une abstention de soi-même, un combat intérieur servant la purification, la discipline et l’élévation de l’âme, mais aussi une plus grande sensibilité pour la nourriture de l’Esprit qui nous ouvre au mystère de la révélation de la Parole de Dieu.

« L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Matthieu, 4 : 4) Telle est la réponse donnée par Jésus au diable qui voulait le tenter durant son jeûne dans le désert, en lui suggérant de changer les pierres en pains. Dans le même esprit, le Prophète Muhammad invite les musulmans à prendre part au « festin de Dieu » à travers la récitation et la méditation du Coran.

Autre signe d’unité dans la diversité, autre coïncidence significative, autre occasion de convergence spirituelle et de fraternité entre musulmans et chrétiens : la fête de l’Annonciation, c’est-à dire la visite de l’archange Gabriel à Marie (sur eux la paix) lui annonçant la naissance miraculeuse de son fils Jésus, a eu lieu ce 25 mars pendant les dix derniers jours et nuits de Ramadan qui renferment la nuit si spéciale de Laylat al-qadr, « meilleure que mille mois ». « Nuit du destin », « nuit de la mesure », « nuit de la puissance », « nuit de la valeur », « nuit de la capacité », c’est au cours de cette nuit bénie que, d’après la tradition, les premiers versets du Coran furent révélés au Prophète Muhammad par l’intermédiaire de l’ange Jibril-Gabriel, voire que la totalité du Coran fut descendu et gravé synthétiquement en lui.

Au-delà de cette concomitance des calendriers grégorien et hégirien, il nous semble intéressant et utile de nous arrêter et de réfléchir sur certaines analogies symboliques qu’il est possible d’établir entre les figures de Marie-Maryam et Muhammad, qui mettent en lumière le Verbe de Dieu à travers le Saint Coran et la figure de Jésus.

Le Prophète Muhammad et la Vierge Marie ont en commun d’avoir été élevés à une station d’élection spirituelle particulière

Rappelons tout d’abord que le récit de l’Annonciation est évoqué par le Coran à deux reprises : une première fois dans la sourate « La famille de ‘Imrân », du nom même du père de Marie-Maryam (Coran, 3 : 45-47) ; une seconde fois dans la sourate qui porte le nom Maryam elle-même (Coran, 19 : 16-21).

Selon le récit coranique, Maryam reçoit la visite de l’ange désigné comme « Notre Esprit », envoyé à elle sous la forme d’un être humain parfait, alors qu’elle s’est « isolée de sa famille en un lieu situé à l’Orient » et qu’elle « s’est dissimulée d’eux en se couvrant d’un voile », pour se consacrer pleinement au service de Dieu. De même, lorsque Gabriel-Jibril se manifeste à Muhammad, celui-ci se trouve dans un moment de retraite dans la grotte de Hira, au cœur du Jabal al-Nur, le Mont de la Lumière, non loin de La Mecque.

Certains commentateurs interprètent l’éloignement de Marie dans le désert et la retraite de Muhammad dans la grotte comme exemples de ce moment nécessaire de préparation, de consécration, d’exile, voulu par Dieu pour ceux qu’Il a choisis pour être totalement à Son service. Il s’agit de renoncer à ce monde, c’est-à-dire à soi-même en définitive, et le voile de la Vierge Marie, tout comme le voile de la nuit ou le secret de la grotte, semblent symboliser non seulement le détachement par rapport au monde et à la nature humaine, dont les limites sont « recouvertes » avec l’obéissance, mais également l’intériorité, la centralité, le secret du cœur, l’intimité de la Présence divine.

Concentrés et orientés vers la lumière, Maryam comme Muhammad expriment d’abord stupeur et crainte face à cette visite impromptue, avant de manifester, chacun à sa façon, une forme de résistance de l’âme devant cette apparition des plus bouleversantes. Tous deux invoquent leur propre incapacité à porter et supporter la révélation du Verbe divin : Maryam est vierge, comment pourrait-elle avoir un enfant et porter en son sein « une Parole venue de Lui dont le nom est le Messie Jésus fils de Marie » (3 : 45) ? Muhammad est ummî, illettré, comment pourrait-il réussir à obéir à l’ordre « Lis ! » (96 : 1) que lui intime l’ange ?

Maryam comme Muhammad ont été purifiés, élus, préservés, en vue d’accomplir ce destin et réaliser cette mission extraordinaire. « Ô Marie, Dieu t’a choisie (içtafâ) et purifiée (tahhara) ; Il t’a élue (içtafâ) au-dessus des femmes de l’univers. » (3 : 42) De même le Prophète Muhammad est-il appelé « l’Elu » (al-muçtafâ) et « le Purifié » (al-mutahhar), parce que son cœur a été lavé et débarrassé de toute noirceur, ce qui n’est pas sans rappeler le dogme de l’Immaculée Conception de Marie, attestée d’ailleurs par l’islam.

« En bon occidental moderne, presque contemporain, que je me trouve être, j’avais toujours été étonné du rapprochement qui est fait en Orient entre la figure virginale de Marie et celle du Prophète Muhammad (sur eux la Paix de Dieu), marchand, guerrier, mais surtout “illettré”. J’oubliais, en effet, qu’en arabe, langue sacrée pour nous musulmans, comme l’est l’hébreu pour nos frères juifs, “illettré” se dit ummî, terme qui a la même racine que umm, signifiant “mère”, et que umma, c’est-à-dire l’ensemble de la communauté musulmane.

Il nous faut alors encore rappeler ici la signification originelle du terme islâm, à savoir, le désir de se soumettre à la volonté d’Allah, terme qui en arabe signifie “Le Dieu”, avec l’article, l’Unique pour nous tous, tant et si bien que le muslim est justement celui qui Lui est soumis.

Et qui est plus soumis à la volonté de Dieu, si ce n’est Marie qui accepte de devenir la mère d’un fils dans le miracle de cette “Immaculée Conception” que l’islam, lui, a reconnu comme vérité depuis les origines de la Révélation, sans attendre pour cela la bulle papale de Pie IX en 1854 ? À cette “conception immaculée” de Marie correspond le caractère immaculé du Prophète Muhammad lui-même qui, dépourvu de tout “préjugé”, put transmettre fidèlement sous la forme du Saint Coran les paroles que Dieu lui dicta. (…). Cette “virginité intellectuelle” qui caractérise le Prophète, cet “analphabétisme” qui va au-delà de la “lettre”, celle-là même qui nous opprime avec toute notre “littérature” et notre “littéralisme”, pour pouvoir enfin retrouver l’Esprit et le “Son” du Nom de Dieu. »
(Shaykh Abd al-Wahid Pallavicini, L’islam intérieur, message d’un maître soufi, Bartillat, 2013)

Ainsi, le Prophète Muhammad et Marie ont en commun d’avoir été élevés à une station d’élection spirituelle particulière qui exigea qu’ils s’abandonnent totalement à Sa volonté, qu’ils renoncent à leur propre capacité et incapacité, pour dépasser leur condition humaine. Marie devra ainsi connaître les douleurs de l’enfantement pour donner naissance à Jésus. De façon analogue, Muhammad sera contraint par l’ange Jibril jusqu’à épuisement se vidant de lui-même pour recevoir la révélation coranique au cours de la Laylat al-qadr et réciter la Parole divine : « Lis au Nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. Lis et ton Seigneur est le plus Généreux, qui a enseigné par le Calame, qui a enseigné à l’Homme ce qu’il ignorait. » (96 : 1-5)

Tous deux offrent ainsi le modèle par excellence de la transparence devant la Volonté de Dieu

Selon la tradition, le Prophète, en possession des premiers versets, rentre le cœur tout palpitant chez lui auprès de son épouse bien-aimée Khadîja en s’écriant : « Enveloppez-moi ! Enveloppez-moi ! » On s’empressa de le tenir enveloppé jusqu’à ce que son effroi fût dissipé. Alors, s’adressant à Khadîja, il la mit au courant de ce qui s’était passé, puis il ajouta : « Ah ! J’ai cru que j’en mourrais ! »

Si le voilement de Marie peut symboliser la restauration de l’état primordial, qui prédisposera en elle la naissance du Verbe, « l’Esprit de Dieu », l’enveloppement du Prophète Muhammad, quant à lui, semble correspondre à l’effacement et au silence des caractéristiques individuelles, ainsi recouvertes par les Qualités divines. Tous deux offrent ainsi le modèle par excellence de la transparence devant la Volonté de Dieu, tout en mettant en évidence le caractère providentiel des voiles protecteurs et miséricordieux qui accompagnent nécessairement la révélation de la Parole de Dieu, « dévoilement » de l’Essence divine qui se manifeste et communique sous le « voile » d’un langage surnaturel et sacré, que ce soient le témoignage de Jésus nouveau-né dans son berceau, « parole de Vérité », ou les signes miraculeux du Coran « descendu en langue arabe claire ».

Marie et Muhammad ont réalisé la servitude spirituelle parfaite, tous deux ont reçu l’appel de Dieu par l’entremise de l’Esprit fidèle (al-rûh al-amîn), l’ange Gabriel, et tous deux sont des réceptacles pures et privés d’interférence, par le silence absolu de leur âme, de cet unique et même Esprit qui, en Marie, s’est fait homme, et à travers le Prophète s’est fait livre. Jésus et le Coran représentent ainsi des signes du Dieu unique qui Se manifeste et communique Son message, à travers la succession providentielle des révélations, sous de nouveaux voiles et des formes diverses.

L’Annonciation et la Nuit de la révélation, des moments d’irruption du Sacré qui viennent rompre le cours du temps

Chrétiens et musulmans sont appelés à participer en personne, et à plusieurs niveaux, au récit toujours vivant et actuel de l’Annonciation à Marie et de la Nuit de la révélation à Muhammad, jusqu’à réaliser une « adhésion » parfaite et sans réserve, à l’image de celle du Prophète dont la transparence était telle que son caractère ne faisait plus qu’un avec le Coran, ou de celle de Marie qui répond finalement à l’ange : « Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole » (Luc, 1 : 38). Des mots expriment la fidélité parfaite de l’âme à Dieu, la confiance totale en Son appel.

Pour les musulmans, le premier niveau d’adhésion se réalise à travers la récitation du Coran, qui fait de nous les instruments de la volonté de Dieu, Ses porte-parole, les témoins du miracle de la Révélation qui ne cesse de se renouveler ; chacun de nous, simplement en ayant foi en ce miracle et en étant « fidèles dans le peu », dans la pratique rituelle, peut devenir le support d’une communication surnaturelle entre le Ciel et la Terre.

Les propos prononcés par Marie devant l’ange porteur de la parole divine, « Je me réfugie auprès du Tout-Miséricordieux contre toi, si tu crains Dieu » (Coran, 19 : 18), manifestation de pureté et de crainte de Dieu, rappellent la formule que le musulman est tenu de réciter avant de lire le Coran, pour se prémunir contre les suggestions diaboliques et les dangers immenses auxquels l’âme s’expose si elle tente de s’approcher du Sacré sans crainte et sans intention droite.

Le niveau d’adhésion supérieur consiste à tendre de tout son être à participer encore plus profondément et plus activement à cette Narration sacrée, en s’efforçant d’en pénétrer avec le cœur les sens cachés, pour trouver et vivre la dynamique de l’Esprit dans la lettre même. Ce cheminement d’intériorisation correspond à un processus de dévoilement progressif qui exige un détachement de l’égo, un jeûne de nos facultés, à l’image même de Marie qui, à la suite de la naissance de son fils, offre au Tout-Miséricordieux un jeûne lui imposant de faire silence et de ne dire mot à personne. Et lorsque, revenue parmi les siens, elle doit subir les offenses d’un peuple ignorant et incrédule, elle se contente de « désigner l’enfant », ou même plus littéralement encore « d’orienter vers Lui » (fa-ashârat ilayhi), en laissant parler le Verbe de Dieu,

Le Prophète Muhammad dut lui aussi endurer avec une sainte patience les offenses et les persécutions d’une partie de son peuple, sans jamais faillir à sa mission de transmetteur fidèle du Message et à sa vocation de serviteur du Seigneur des mondes. i[ « Ô toi qui te couvres (de tes habits), dresse-toi et mets [les hommes] en garde ! Magnifie ton Seigneur ! Purifie tes habits ! Evite la souillure ! Ne donne pas dans l’espoir de recevoir davantage ! Fais montre de patience pour l’amour de ton Seigneur ! »]i (Coran, 74 : 1-7)

L’Annonciation et la Nuit de la révélation sont des événements miraculeux, des moments d’irruption du Sacré qui viennent rompre le cours du temps, une rencontre avec l’Eternité de l’Esprit dans le présent. La Vierge Marie et le Prophète Muhammad sont, en ce sens, des modèles universels de pureté, de service et de sainteté qui transcendent les différences entre christianisme et islam mais aussi les distinctions entre masculin-féminin. En servant la manifestation et la transmission du Verbe divin en ce monde, ils ont ouvert des voies pour cheminer et vivre selon la règle de l’Esprit, sortir des ténèbres vers la lumière, et trouver la Paix divine éternelle.

« Certes Nous l’avons révélé au cours de la Nuit de la Détermination. Et qui te fera connaître la nature de la Nuit de la Détermination ? La Nuit de la Détermination est préférable à mille mois. Les anges et l’Esprit descendent avec la permission de leur Seigneur afin de tout régir. Elle est Paix jusqu’au lever de l’aube. » (Coran, 97 : 1-5)

Puissent les modèles de Marie et de Muhammad continuer à soutenir et à inspirer la vocation spirituelle des croyants de chacune de ces communautés, et même au-delà ! Bonne fin de Ramadan et de Carême !

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Abd-al-Wadoud Gouraud, traducteur et spécialiste d'Al-Ghazali, est enseignant à l'Institut des hautes études islamiques (IHEI).

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