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Arts & Scènes

Au Musée d’art et de culture soufis, le jardin pour paradis dédié à la quête intérieure

Rédigé par | Vendredi 4 Avril 2025

           

Un des points forts du récent Musée d’art et de culture soufis de Chatou (Yvelines) est la conception et l’aménagement de l’espace horticole qui entoure l’établissement. Conçu dans l’esprit de la dimension mystique de l’islam, à l’instar du jardin persan (tchaharbagh), il est appelé jardin Simorgh, en référence à la célèbre Conférence des oiseaux du poète Farid al-Din al-Attar (m.1230). Très accessible depuis Paris, c’est un havre de sérénité, apaisant et inspirant pour les visiteurs et les bénévoles qui participent à l’entretien. De plantes rares en fleurs intérieures, allons à la découverte du lieu et de sa richesse avec son créateur, le paysagiste Léonard Nguyen Van Thé.



Au jardin du Musée d’art et de culture soufis, à Chatou, dans les Yvelines, un lieu de quiétude où la nature et la spiritualité se rencontrent. © MACS MTOTM
Au jardin du Musée d’art et de culture soufis, à Chatou, dans les Yvelines, un lieu de quiétude où la nature et la spiritualité se rencontrent. © MACS MTOTM
L’air est encore frais, mais le soleil et les oiseaux sont au rendez-vous en ce dimanche d’hiver qui touche à sa fin. C’est en bordure de Seine, dans un quartier résidentiel paisible de Chatou, que se trouve le Musée d’art et de culture soufis, ouvert au public depuis septembre 2024.

Passé le pavillon de l’accueil, on pénètre un premier jardin appelé bustan, affecté aux cultures vivrières, aromatiques, médicinales et d’agrément. Parmi les premiers crocus printaniers, le citronnier doux (limoo shirin en persan) venu d’Asie, aux vertus médicinales, côtoie les fraisiers rampants, réputés soigner nos fautes et favoriser nos bonnes actions.

Formé à l’Ecole d’horticulture du Breuil et de Montreuil, Léonard Nguyen Van Thé, concepteur de ce jardin en phase avec la Voie soufie, s’est efforcé de marier les plantes autochtones avec les variétés venues de l’ère culturelle perse, et plus largement orientale. Outre cet aspect « exotique » apporté par ces végétaux venus d’ailleurs, ce qui importe dans ce jardin de type perse et islamique, c’est la résonance entre l’aspect extérieur de ce lieu avec le jardin de l’âme, centre de notre vie intérieure.

© MACS MTOTM
© MACS MTOTM

Le royaume des roses

On pénètre ensuite dans la deuxième partie du jardin appelée golestân (jardin de roses). C’est un vaste espace bordé d’allées pavées couvertes de rosiers, entourant une monumentale fontaine octogonale dédiée aux maîtres de la tariqa Oveyssi Shahmaghsoudi, qui rappelle le but de la Voie soufie : la réalisation spirituelle sous la guidance d’un maître, relié par la silsila, la chaîne initiatique, au Prophète Muhammad.

A l’entrée du golestân, la sculpture du marocain Younès Rahmoun (Markib habba) figure la quête spirituelle par une barque stylisée contenant la graine du futur Homme Accompli (al-Insan al-Kamil), ce qui n’est pas sans rappeler le « vaisseau chargé » (al-fulk al-machhun) de la sourate 36, verset 41 du Coran.

Assise sur un siège métallique fait des garde-corps récupérés de la demeure patricienne, au sein de la roseraie, parmi les espèces communes ou spécifiques de la flore persane, nous recueillons les précieuses informations du paysagiste imprégné de culture soufie : Léonard Nguyen Van Thé a participé à l’atelier de création de la « fleur intérieure » sous la direction de Seffa Klein, petite-fille du peintre Yves Klein, une des artistes de l’exposition inaugurale d’œuvres contemporaines qui vient de s’achever.

« Tu dois être comme nous. Tu dois être la Rose dans ta communauté. » Cheikh Abd al Qadir Jilani

Sur les roses chantées, entre autres, par Rumi (m. 1273), Saadi (m. 1291) et Omar Khayyam (m. 1131), notre guide est intarissable. La rose de Damas (rosa damascena), la Reine des roses, apparentée à la rose de Provins, est associée au Prophète et à Abd al-Qadir Jilani (m. 1165). Dans le christianisme, on retrouve des variétés de roses proches associées à Sainte Claire et Sainte Thérèse de Lisieux. Ce qui fait dire au maire de Chatou que l’avenue Aristide Briand est la rue la plus œcuménique de la ville, avec le Séminaire à un bout et le Musée soufi à l’autre extrémité.

Fleurissant au printemps, la rose est cultivée en Bulgarie pour son parfum (rose kazanlik originaire de Damas), à Isparta en Turquie et à Al-Taif, en Arabie. C’est la variété rosa damascena tringintipetala qui donne lieu à une cérémonie, une fois par an, à La Mecque, durant laquelle on purifie les murs de la Kaaba en les nettoyant avec de l’eau de zamzam et du parfum de rose.

Au Musée d’art et de culture soufis, le jardin pour paradis dédié à la quête intérieure

« La rose est envoyée sur terre par les jardiniers du Paradis pour renforcer l’esprit et l’œil de l’esprit. » Rumi

A Ghamsar, capitale de l’eau de rose, située dans la province d’Ispahan, c’est au pied de montagnes qui encerclent la vallée des roses qu’on y cultive, depuis la nuit des temps, la rose Mohammadi pour ses propriétés médicinales et pour son parfum. Et la meilleure saison pour profiter des roses, nous dit l’écrivain voyageur Pierre Loti, dans Vers Ispahan (1904), c’est « dans la pleine magnificence de ce printemps de la Perse, qui est si éphémère avant l’été torride : c’est la folle exaltation de la saison des roses... »

A la mode au XIXe siècle, la rose noire remontante, ou rose éternelle, quant à elle, symbolise le mystère initiatique ; discrète, elle se protège à l’ombre de la fontaine, ses pétales exposés au soleil direct virant au rouge sombre. Le secret, la discrétion, est le leitmotiv de ce jardin, pas comme les autres où les choses se devinent : aucun étiquetage intensif ne vient troubler la méditation du visiteur, invité à entrer en communion directe avec l’esprit qui souffle à l’intérieur.

Résonance intérieure du jardin soufi

D’autres plantes telles l’hellébore (helleborus) et l’alchémille (alchemilla vulgaris) ne sont pas sans rapport avec l‘alchimie, en Orient comme en Occident. Par sa graine fermée comme un verrou, l’hellébore, aussi appelée la rose de Noël, comme la Belle de nuit, symbolise le secret initiatique, jalousement gardé. L’alchémille, comme la mauve commune de nos jardins, s’apparente aussi à cette tradition : elle doit son nom aux alchimistes qui recueillaient, dans ses feuilles incurvées, véritables « coupes à rosée », « l’eau céleste » servant à produire la pierre philosophale. D’où son nom, d’origine arabe, al-kîmiya’ qui signifie alchimie, et pour l’élite, la purification du cœur des préoccupations du bas monde. C’est ce à quoi nous invite l’atmosphère apaisante et méditative de ce petit paradis serein, propre à inspirer la quête intérieure.

Il faudrait parler encore de bien des découvertes d’espèces végétales plus ou moins connues telles le jujubier sans épines, la salade cousteline au goût de concombre, le sénevé des Evangiles, la molène de Turquie, l’origan za’tar ou marjolaine, le peganum harmala ou rue sauvage (adrasman en persan, « plante qui contient des esprits »), spécifique du climat désertique tempéré d’Iran, la tulipe impériale (fritilaria), la « fleur de larmes » et d’autres encore... Il faudrait pouvoir exprimer les multiples sensations que procure cet espace conçu par Léonard Nguyen Van Thé comme un monde à part, protégeant ce musée sanctuaire, comme les magnolias autour des temples bouddhistes.

L’esprit du jardin : On peut y découvrir les plantes de l’ancienne Perse, de l’Iran actuel, et d’ailleurs ; également les espèces citées par les grandes figures du soufisme et dans les traditions culinaires. Léonard Nguyen Van Thé accompagne les bénévoles pour que du fraisier planté à la branche coupée, chacun trouve sa place au jardin, même si la fraise vient du bout du monde. Pour que ce soit la porte d’entrée vers la découverte des plantes persanes et de leur usage ethnobotanique mais aussi un aperçu de l’amour et de l’attention des soufis pour le vivant, rendez-vous au jardin MACS MTO.

L’eau : Les fontaines et les cours d’eau sont des éléments essentiels dans un jardin soufi, symbolisant la pureté, la vie et la purification spirituelle. L’eau en mouvement est souvent considérée comme une métaphore de la connaissance spirituelle qui coule continuellement.

Les chemins et allées : Des chemins sinueux et des allées pavées invitent les visiteurs à déambuler à travers le jardin, créant une expérience immersive et contemplative. Ces chemins symbolisent le voyage spirituel vers la connaissance de soi et la proximité de Dieu.



Clara Murner
Clara Murner est doctorante en langue et littérature arabes à l'Université de Strasbourg, au sein... En savoir plus sur cet auteur


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