Depuis dix ans, tous les deux ou trois ans, on fabrique un nouveau monstre d'importance majeure contre lequel il faut nous défendre. Il fut un temps où les Russes étaient le monstre toujours disponible. Nous pouvions toujours nous défendre contre les Russes. Mais les Russes sont en train de perdre de leur attrait en tant qu'ennemis et il devient de plus en plus difficile de leur faire jouer ce rôle. C'est pourquoi d'autres diables doivent jaillir de la boîte de Pandore (...) C'est ainsi qu'ont été créés le terrorisme international, les narcotrafiquants, les Arabes déments et Saddam Husseïn, le nouvel Hitler qui allait conquérir le monde ...
Le scénario est toujours le même : d'abord une offensive idéologique destinée à fabriquer un monstre chimérique ; ensuite le lancement d'une campagne pour l'anéantir. Mais il n'est pas possible de se lancer dans une bataille si les agressés sont capables de se défendre. C'est trop dangereux. En revanche, si l'on est assuré de les anéantir, rien n'empêche de les mettre hors d'état de nuire et de s'offrir un nouveau soupir de soulagement.
Les véritables gagnants des bombardements du Kosovo en 2000.
A la fin de la guerre, la presse économique a déclaré que ''le vrai vainqueur'' était l'industrie militaire occidentale, c'est-à-dire les industries de pointe en général. Moscou s'attend à une année exceptionnelle pour les exportations d'armes russes, tandis que le monde procède de façon inquiétante à son réarmement, principalement grâce à l'aventure de l'OTAN dans les Balkans, en cherchant à se doter de moyens de dissuasion, comme cela fut largement prévu durant la guerre. Plus important encore, les Etats-Unis ont réussi à imposer leur domination sur la région stratégique des Balkans, prenant le relais des initiatives de l'Union européenne, au moins provisoirement, ce qui était une des raisons principales de l'exigence que l'opération soit entre les mains de l'OTAN, filiale des Etats-Unis.
Le désordre mondial
La question essentielle - qui n'est pas difficile à comprendre - est que le monde est confronté à deux possibilités en ce qui concerne le recours à la force: soit un semblant d'ordre mondial, la Charte de l'ONU, ou quelque chose de mieux, si ce quelque chose peut obtenir un certain degré de légitimité; soit des Etats puissants qui, comme par le passé, agissent à leur guise, guidés par les intérêts du pouvoir et du profit, à moins d'en être empêchés de l'intérieur. Il est bon de lutter pour un monde meilleur, mais pas de se bercer d'illusions à propos de celui dans lequel nous vivons.
La prétendue boussole morale
Lorsqu'on lui a demandé, en 1996, lors d'une émission de télévision, quelle était sa réaction face à la mort de près de 500.000 enfants irakiens depuis 1991, Madeleine Albright, alors représentante des Etats-Unis au Conseil de Sécurité, a répondu : 'Il s'agit d'une décision particulièrement difficile à prendre, mais nous pensons qu'elle en vaut la peine.' Des estimations actuelles estiment que 5.000 enfants irakiens meurent chaque mois, et que cette somme macabre 'en vaut toujours la peine.' Il est nécessaire de garder à l'esprit ce dernier exemple, ainsi que les précédents, lorsque nous lisons chaque jour une rhétorique frappée d'admiration et de respect pour la bonne orientation de la ''boussole morale'' de l'administration [américaine].