Peinture d'Amir Kamal
« Victimes d’eux-mêmes ou des circonstances, les écrivains trouvent dans la littérature une voie rédemptrice qui peut conduire jusqu’à une victoire spirituelle. »
Le premier verset coranique révélé forme une injonction de lecture envers le croyant qui va de pair avec l’utilisation du calame (1), roseau taillé dont on se sert pour l'écriture, propice à une transmission effective et intergénérationnelle du savoir. L’écriture, tout comme la lecture, vient en continuité d’une quête du monde et d’une quête de soi. L’imam Hasan Al Basirî souligne son importance par une puissante métaphore. Selon lui, celui qui assiste à un cercle d’apprentissage sans un calame est pareil à un homme qui va en guerre sans son arme. Chaque moment étant propice à un apprentissage, il est important d’anticiper l’oubli par une mise à l’écrit de ses idées. La renaissance européenne n’aurait pas été ce qu’elle fut sans les œuvres des savants musulmans. Ces derniers ayant repris, en partie, les travaux réalisés par les savants grecs. La découverte et l’étude des livres contribuent à une progression continuelle du savoir universel.
Si les œuvres scientifiques et analytiques participent au renforcement de la spiritualité par la recherche du savoir (2), elles restent formelles et rigides. L’écriture poétique contribue différemment à la spiritualité, par l’enchantement qu’elle procure. L’utilisation d’une vaste palette métaphorique dans la poésie amène l’homme à se reconnecter à sa profonde nature. Cette reconnexion est d’autant plus essentielle aujourd’hui où le diktat de l’urgence et de l’immédiateté est à son apogée. Il est ainsi important de remettre l’homme au cœur du système, pour lui permettre de se délecter de la beauté du monde à travers sa contemplation. L’écrivain trouve ainsi dans l’écriture poétique un moyen de saisir les instants éphémères qui l’entourent parfois en les idéalisant mais souvent en y trouvant un miroir descriptif de la subtilité des émotions qu’il expérimente. A travers divers styles littéraires, il espère ainsi enchanter et transcender son expérience individuelle.
Le premier verset coranique révélé forme une injonction de lecture envers le croyant qui va de pair avec l’utilisation du calame (1), roseau taillé dont on se sert pour l'écriture, propice à une transmission effective et intergénérationnelle du savoir. L’écriture, tout comme la lecture, vient en continuité d’une quête du monde et d’une quête de soi. L’imam Hasan Al Basirî souligne son importance par une puissante métaphore. Selon lui, celui qui assiste à un cercle d’apprentissage sans un calame est pareil à un homme qui va en guerre sans son arme. Chaque moment étant propice à un apprentissage, il est important d’anticiper l’oubli par une mise à l’écrit de ses idées. La renaissance européenne n’aurait pas été ce qu’elle fut sans les œuvres des savants musulmans. Ces derniers ayant repris, en partie, les travaux réalisés par les savants grecs. La découverte et l’étude des livres contribuent à une progression continuelle du savoir universel.
Si les œuvres scientifiques et analytiques participent au renforcement de la spiritualité par la recherche du savoir (2), elles restent formelles et rigides. L’écriture poétique contribue différemment à la spiritualité, par l’enchantement qu’elle procure. L’utilisation d’une vaste palette métaphorique dans la poésie amène l’homme à se reconnecter à sa profonde nature. Cette reconnexion est d’autant plus essentielle aujourd’hui où le diktat de l’urgence et de l’immédiateté est à son apogée. Il est ainsi important de remettre l’homme au cœur du système, pour lui permettre de se délecter de la beauté du monde à travers sa contemplation. L’écrivain trouve ainsi dans l’écriture poétique un moyen de saisir les instants éphémères qui l’entourent parfois en les idéalisant mais souvent en y trouvant un miroir descriptif de la subtilité des émotions qu’il expérimente. A travers divers styles littéraires, il espère ainsi enchanter et transcender son expérience individuelle.
Le lyrisme poétique, une des plus hautes expressions de soi
« Est poétique ce qui est dit de façon inhabituelle. »
Le lyrisme poétique couvre tous les registres de l’expression subjective. Le développement de cette littérature se confond avec la prise de conscience de la valeur de l’individu qui est au centre de la préoccupation de l’écrivain. Elle représente une façon d’extérioriser son empathie, sa compréhension profonde des émotions humaines. L’homme y révèle sa relation au monde, à la nature, à l’autre : c’est l’expression de soi par excellence. Les thèmes varient et tournent autour de l’amour, de la mort, de la joie et de la douleur. Le lyrisme cherche un absolu, un idéal au-delà du monde.
Par une parole imagée et rythmée, l’écrivain idéalise ou brunit ses propres traits. C’est ainsi que par des textes de formes techniques ou populaires, il donne une plus grande importance à sa condition d’être humain. La beauté du texte peut résider dans la forme choisie ou encore dans une expression plus libre, dénuée de toute règle comme la prose. L’écrivain arrive ainsi à dépasser sa finitude dans un texte qui le transfigure en y incorporant toute sa fragilité.
Dans la littérature arabe, le développement du lyrisme se confond avec l’histoire de la poésie. Son expression se retrouve dans la « qasida » qui reste jusqu’à aujourd’hui le genre dominant. Abu Al Atahiya trouve dans la mort un thème de prédilection. D’autres enfouissent leur plainte passionnée et leur quête amoureuse dans diverses histoires dont l’une des plus connues est celle de Magnun Layla (Le fou de Layla).
Le lyrisme poétique couvre tous les registres de l’expression subjective. Le développement de cette littérature se confond avec la prise de conscience de la valeur de l’individu qui est au centre de la préoccupation de l’écrivain. Elle représente une façon d’extérioriser son empathie, sa compréhension profonde des émotions humaines. L’homme y révèle sa relation au monde, à la nature, à l’autre : c’est l’expression de soi par excellence. Les thèmes varient et tournent autour de l’amour, de la mort, de la joie et de la douleur. Le lyrisme cherche un absolu, un idéal au-delà du monde.
Par une parole imagée et rythmée, l’écrivain idéalise ou brunit ses propres traits. C’est ainsi que par des textes de formes techniques ou populaires, il donne une plus grande importance à sa condition d’être humain. La beauté du texte peut résider dans la forme choisie ou encore dans une expression plus libre, dénuée de toute règle comme la prose. L’écrivain arrive ainsi à dépasser sa finitude dans un texte qui le transfigure en y incorporant toute sa fragilité.
Dans la littérature arabe, le développement du lyrisme se confond avec l’histoire de la poésie. Son expression se retrouve dans la « qasida » qui reste jusqu’à aujourd’hui le genre dominant. Abu Al Atahiya trouve dans la mort un thème de prédilection. D’autres enfouissent leur plainte passionnée et leur quête amoureuse dans diverses histoires dont l’une des plus connues est celle de Magnun Layla (Le fou de Layla).
La « rupture » de l’écrivain
« L’écriture intuitive est un processus perpétuel de contemplation, d’évaluation et de quête. »
Simone de Beauvoir identifie comme « rupture » le moment où l’écrivain est face à un évènement qui l’interpelle. Cet événement le pousse à une écriture spontanée. La contemplation et l’observation entourent l’écrivain et le mettent en condition pour extérioriser ses émotions en des mots qui finissent par révéler son intérieur profond. Dans l’obligation d’écriture, la spontanéité ne trouve pas toujours sa place tandis que dans l’écriture désirée, l’être s’investit entièrement.
L’auteur, après une longue cohabitation avec l’écriture, finit par comprendre ses secrets et le code menant à l’inspiration. L’écriture le porte, en effet, à se reconnecter à son profond intérieur, à ses désirs et ses émotions. Un processus d’auto-évaluation se déclenche et mène à une écoute minutieuse de soi. Les émotions finissent par être intériorisées et apprivoisées. Un juste équilibre entre le cœur, le corps et l’esprit se concrétise permettant à l’harmonie de soi d’être effective. La transmission sincère s’opère en des mots qui permettent une description réaliste et minutieuse de ces émotions. Lorsque cette alchimie se révèle, c’est une réelle consécration rédemptrice pour l’écrivain. Car après l’instant de l’émotion vient celui de la sérénité. Si, dans un premier temps, ces écrits restent confinés, le partage surgit naturellement même s’il reste difficile à réaliser. L’écriture est avant tout une possibilité de s’immerger dans l’intimité et la fragilité de l’écrivain, dans sa manière de voir et de penser les choses. La passion du message mène au partage des textes. L’écriture devient alors un acte social. C’est, en effet, une manière de se connecter les uns aux autres à travers l’imaginaire et l’émotion de l’auteur.
Mise sur papier, l’histoire contée ou la poésie imagée est en dehors de soi. On effleure la fiction. L’écriture représente dans ce cas une réelle thérapie.
Simone de Beauvoir identifie comme « rupture » le moment où l’écrivain est face à un évènement qui l’interpelle. Cet événement le pousse à une écriture spontanée. La contemplation et l’observation entourent l’écrivain et le mettent en condition pour extérioriser ses émotions en des mots qui finissent par révéler son intérieur profond. Dans l’obligation d’écriture, la spontanéité ne trouve pas toujours sa place tandis que dans l’écriture désirée, l’être s’investit entièrement.
L’auteur, après une longue cohabitation avec l’écriture, finit par comprendre ses secrets et le code menant à l’inspiration. L’écriture le porte, en effet, à se reconnecter à son profond intérieur, à ses désirs et ses émotions. Un processus d’auto-évaluation se déclenche et mène à une écoute minutieuse de soi. Les émotions finissent par être intériorisées et apprivoisées. Un juste équilibre entre le cœur, le corps et l’esprit se concrétise permettant à l’harmonie de soi d’être effective. La transmission sincère s’opère en des mots qui permettent une description réaliste et minutieuse de ces émotions. Lorsque cette alchimie se révèle, c’est une réelle consécration rédemptrice pour l’écrivain. Car après l’instant de l’émotion vient celui de la sérénité. Si, dans un premier temps, ces écrits restent confinés, le partage surgit naturellement même s’il reste difficile à réaliser. L’écriture est avant tout une possibilité de s’immerger dans l’intimité et la fragilité de l’écrivain, dans sa manière de voir et de penser les choses. La passion du message mène au partage des textes. L’écriture devient alors un acte social. C’est, en effet, une manière de se connecter les uns aux autres à travers l’imaginaire et l’émotion de l’auteur.
Mise sur papier, l’histoire contée ou la poésie imagée est en dehors de soi. On effleure la fiction. L’écriture représente dans ce cas une réelle thérapie.
La poésie, le soufisme et l’amour divin
L’expression poétique partage avec la mystique une même essence, un même recours aux symboles et à l’ambiguïté originelle du langage. La poésie permet de suggérer des vérités spirituelles que l’on ne peut expliciter formellement. Dans le soufisme, présenté comme la science ésotérique de l’islam, le dévoilement spirituel a une place importante et est une étape pour accéder à la « Haqiqa » qui mène au « Haqq », au Vrai et donc à Dieu. L’homme dévoilé spirituellement est celui qui ouvre son cœur et ses sens au monde qui l’entoure pour observer les signes divins en toute chose. Ce dévoilement permet ainsi l’accès au monde suprasensible. C’est à travers cette sensibilité que l’écrivain va s’exprimer pour décrire l’indicibilité de Dieu et la quête qui mène à Lui.
« "Hujwîrî" fait dériver "mahabba", amour, du mot "hibba" qui désigne les graines qui tombent sur la terre dans le désert. L’amour, pour le soufi, s’apparente à une i[« graine » qui va fructifier dans le cœur de l’amoureux ("mahbûb") jusqu’à le transformer et l’unir à Celui qui aime ("Muhibb"). Quels que soient ces rapprochements, de l’amour physique ou naturel à l’amour spirituel puis de celui-ci à l’amour divin, c’est un seul et même jeu de l’Amour qui s’accomplit et s’approfondit, à chaque degré, dépassant un peu plus ses limites. »]i (3)
Plusieurs poètes soufis vont ainsi laisser leurs traces dans le monde de la poésie en mettant en avant l’amour du divin à travers la création. Comme chez Ibn ‘Arabi, l’homme est le dernier élément d’une chaîne d’êtres émanés de l’Unité divine. Chaque homme contient en lui une partie de l’Etre Divin. Cette prise de conscience est vécue par beaucoup de soufis comme une séparation de Dieu sur un mode dramatique. Arraché à sa patrie originelle, l’homme doit la reconquérir à travers diverses épreuves et souffrances. Ces épreuves finissent par le mener à une mort mystique et à une renaissance spirituelle.
Djalal al-Din al-Rumi, originaire de Balkh, incarne le plus haut point atteint par la poésie et le soufisme persan. Il rédige au début du XIIIe siècle l’un des monuments de la littérature persane, le Mathnawi, un énorme poème de 26 000 distiques (groupe de deux vers). Dans ces poèmes, il exprime sa séparation avec l’Un et il ressent alors la même souffrance que ce roseau arraché à la terre.
On ne peut réellement connaitre les mobiles qui poussent à l’écriture si ce n’est par la révélation personnelle de l’écrivain. Une écriture peut être explicitement religieuse par les thématiques qu’elle traite, d’autres pourtant ne contiennent aucune trace de spiritualité mais procurent par la réalité et la beauté de ce qu’elles décrivent un éveil spirituel. L’écriture poétique est une personnalité dont l’enchainement artistique reste imprévisible. Elle fluctue tout comme le besoin d’enchantement de l’écrivain.
(1) « Lis au Nom de ton Seigneur qui a créé ! Il a créé l’homme d’un caillot de sang. Lis ! Car ton Seigneur est le Très-Généreux qui a instruit l’homme au moyen du calame, et lui a enseigné ce qu’il ignorait. » (Sourate 96, verset 1 à 5 du Coran)
(2) « Celui qui prend un chemin pour rechercher la science, Allah lui fait prendre par cela un chemin vers le paradis. » (Hadith)
(3) Jean Annestay, Une femme soufie en islam, Rabi'a Al-'Adawiyya
« "Hujwîrî" fait dériver "mahabba", amour, du mot "hibba" qui désigne les graines qui tombent sur la terre dans le désert. L’amour, pour le soufi, s’apparente à une i[« graine » qui va fructifier dans le cœur de l’amoureux ("mahbûb") jusqu’à le transformer et l’unir à Celui qui aime ("Muhibb"). Quels que soient ces rapprochements, de l’amour physique ou naturel à l’amour spirituel puis de celui-ci à l’amour divin, c’est un seul et même jeu de l’Amour qui s’accomplit et s’approfondit, à chaque degré, dépassant un peu plus ses limites. »]i (3)
Plusieurs poètes soufis vont ainsi laisser leurs traces dans le monde de la poésie en mettant en avant l’amour du divin à travers la création. Comme chez Ibn ‘Arabi, l’homme est le dernier élément d’une chaîne d’êtres émanés de l’Unité divine. Chaque homme contient en lui une partie de l’Etre Divin. Cette prise de conscience est vécue par beaucoup de soufis comme une séparation de Dieu sur un mode dramatique. Arraché à sa patrie originelle, l’homme doit la reconquérir à travers diverses épreuves et souffrances. Ces épreuves finissent par le mener à une mort mystique et à une renaissance spirituelle.
Djalal al-Din al-Rumi, originaire de Balkh, incarne le plus haut point atteint par la poésie et le soufisme persan. Il rédige au début du XIIIe siècle l’un des monuments de la littérature persane, le Mathnawi, un énorme poème de 26 000 distiques (groupe de deux vers). Dans ces poèmes, il exprime sa séparation avec l’Un et il ressent alors la même souffrance que ce roseau arraché à la terre.
On ne peut réellement connaitre les mobiles qui poussent à l’écriture si ce n’est par la révélation personnelle de l’écrivain. Une écriture peut être explicitement religieuse par les thématiques qu’elle traite, d’autres pourtant ne contiennent aucune trace de spiritualité mais procurent par la réalité et la beauté de ce qu’elles décrivent un éveil spirituel. L’écriture poétique est une personnalité dont l’enchainement artistique reste imprévisible. Elle fluctue tout comme le besoin d’enchantement de l’écrivain.
(1) « Lis au Nom de ton Seigneur qui a créé ! Il a créé l’homme d’un caillot de sang. Lis ! Car ton Seigneur est le Très-Généreux qui a instruit l’homme au moyen du calame, et lui a enseigné ce qu’il ignorait. » (Sourate 96, verset 1 à 5 du Coran)
(2) « Celui qui prend un chemin pour rechercher la science, Allah lui fait prendre par cela un chemin vers le paradis. » (Hadith)
(3) Jean Annestay, Une femme soufie en islam, Rabi'a Al-'Adawiyya
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Abir Bee, juriste, est membre d'El Médina, une association animée par la volonté de partager la connaissance et la compréhension de l'histoire, la culture et l'héritage de la civilisation arabo-musulmane. El Médina, en partenariat avec Saphirnews, propose chaque semaine de partir à la redécouverte de cette civilisation.
Abir Bee, juriste, est membre d'El Médina, une association animée par la volonté de partager la connaissance et la compréhension de l'histoire, la culture et l'héritage de la civilisation arabo-musulmane. El Médina, en partenariat avec Saphirnews, propose chaque semaine de partir à la redécouverte de cette civilisation.
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