Connectez-vous S'inscrire

Société

Le lycée musulman Averroès célèbre ses 20 ans avec combativité et résilience

Rédigé par | Vendredi 31 Janvier 2025 à 12:00

           

Le groupe scolaire Averroès a mis les petits plats dans les grands, mardi 28 janvier, en célébrant dignement ses 20 ans d’existence au Grand Palais de Lille. Malgré la résiliation, en 2024, du contrat d’association avec l’Etat qui est venu ternir deux décennies d’une insolente réussite pour le lycée, les responsables et leurs soutiens ne s’avouent pas vaincus. Ils sont bien déterminés à poursuivre une aventure dont la tournure dépendra beaucoup de l'issue du bras de fer judiciaire engagé contre l'Etat et ô combien décisif pour l’avenir d’Averroès.



Une soirée célébrant les 20 ans du lycée privé musulman Averroès a été organisée, mardi 28 janvier 2025, au Grand Palais de Lille en présence de quelque 1 500 personnes.
Une soirée célébrant les 20 ans du lycée privé musulman Averroès a été organisée, mardi 28 janvier 2025, au Grand Palais de Lille en présence de quelque 1 500 personnes.
Le lycée Averroès fête ses 20 ans d’existence. Et celles et ceux qui imaginent un anniversaire empreint d’amertume et de morosité se trompent lourdement. Les temps sont durs pour le groupe scolaire lillois, mais le défaitisme n’est pas à l’ordre du jour, loin de là.

Les personnels, les élèves, anciens et actuels, leurs familles… quelque 1 500 personnes ont investi, mardi 28 janvier, un auditorium du Grand Palais de Lille pour une soirée avant tout festive, mettant à l’honneur les 300 bacheliers des promotions 2023 et 2024. Une belle brochette d'élèves sapés comme jamais, habillés pour leur grande majorité d'une toge et d'une toque rouges, couleur signalant l’obtention d’une mention. Averroès peut en effet se vanter d'afficher l'un des meilleurs taux de réussite au baccalauréat dans la région Hauts-de-France (97,5 % en 2024 dont 69 % de mentions).

L’excellence, maître-mot de la soirée, est au cœur du projet éducatif lancé en 2003 ; celle-là même qui a conduit Averroès à être sacré meilleur lycée de France en 2013, cinq ans après son passage sous contrat avec l’Etat. Un succès qui ne s’est jamais démenti et qui, à l’instar de celui rencontré par le groupe scolaire Al-Kindi, dans la région lyonnaise, a indéniablement contribué au développement d'écoles musulmanes dans le pays et à l’institutionnalisation de l’enseignement privé musulman.

Et pourtant ! Malgré des rapports d’inspection positifs dont l’emblématique rapport rendu par l’IGESR en juin 2020, Averroès est victime d'une « folle cabale », engagée d’abord depuis 2019 par la Région Hauts-de-France, puis par la préfecture du Nord, se désole face à son auditoire Mohammed Damak, le président de l'association Averroès. Le groupe scolaire « comptabilise à lui seul plus de contrôles que tous les établissements privés de France. Nous méritons notre place dans le Guinness des records », lance-t-il avec un sourire ironique. « Averroès n'a pas changé, elle est restée fidèle à ses principes et à ses orientations, clame-t-il. Mais le vent de l'extrême droite a soufflé sur la politique et nous en sommes malheureusement la victime collatérale. »

Avec plus de 2 000 alumnis dans la vie active aujourd'hui, « nous sommes fiers d'avoir relevé le défi dignement », celui d’avoir accompagné une génération de citoyens français musulmans en ayant su transmettre le respect des valeurs de la République sans se départir des valeurs et de l'éthique musulmanes, déclare Mohammed Damak. Autour de lui, l’on reconnait des pionniers à l'origine du projet, à commencer par Amar Lasfar, le recteur de la mosquée de Lille-Sud qui a accueilli l’école durant neuf ans avant sa délocalisation en 2012. A ses côtés, se trouvaient le directeur de la mosquée Al-Imane Rachid Hamoudi, le conseiller pédagogique du lycée Michel Soussan, le directeur de l’association Averroès Makhlouf Mamèche, et le chef d’établissement Eric Dufour.

Une « sincère adhésion pleine et entière aux valeurs de la République » martelée

Avec des envolées lyriques dignes d’un bon slameur, ce dernier a enthousiasmé un public acquis à la cause. « Averroès, c'est une éthique, des valeurs communes partagées entre celle de la République et de l'islam. C'est une solution et non le problème dans une société qui va mal, qui a mal à son identité, à son école et à sa relation aux autres », fait-il part à la tribune.

« Averroès, c'est la République. C'est la promesse de la liberté, de l'égalité, de la fraternité. Je n'ai jamais admis, je n'admets pas, je n'admettrai jamais que l'on remette en cause notre sincère adhésion pleine et entière aux valeurs de la République. Car la République, c'est nous ! C'est vous ! (...) Averroès, c'est l'avenir de la France ! (...) Vive Averroès, vive la République et vive la France ! », conclut le proviseur, sous des applaudissements nourris qui disent aussi combien les soutiens d’Averroès ont vécu et vivent injustement les reproches et autres procès d'intention qui leur sont faits ces dernières années. La Marseillaise viendra d'ailleurs, plus tard dans la soirée, accompagner les bacheliers sur une estrade qui aura vu défiler des personnalités locales engagées aux côtés d'Averroès.

Mohammed Damak (à la tribune), entouré des fondateurs et directeurs d'Averroès.
Mohammed Damak (à la tribune), entouré des fondateurs et directeurs d'Averroès.

Des soutiens politiques au premier rang

Pour Jean-René Lecerf, ancien président du conseil départemental du Nord, « Averroès a effectivement dans ses mains plein de promesses et ces mains feront que cet établissement sera une gloire pour ses élèves, leurs familles, les fondateurs mais surtout une gloire et une fierté pour le pays tout entier ». « J’aurais tellement aimé voir ce soir celles et ceux qui vous attaquent avec tellement de constance et d'acharnement depuis des années », affirme, à son tour, Roger Vicot, député (PS) du Nord. Mais « ils ne viendront pas parce que ça les arrange d'avoir cette petite braise de l'intolérance et de la haine sur laquelle ils peuvent souffler, en espérant que cette petite braise devienne un brasier ».

Et d’ajouter : « Dans la France d'aujourd'hui, des vents mauvais sont en train d'assaillir notre société mais vous savez, chers amis, lorsque les vents tournent, il n'y a que les girouettes qui tournent. Les autres, c'est-à-dire vous et nous, restons solides sur nos valeurs. (...) Alors les vents mauvais vont continuer de souffler encore un peu mais lorsque vous serez encore secoués, nous serons nombreux autour de vous pour faire en sorte que cette aventure de 20 ans ne soit pas une fin mais bien une suite pour les dizaines d'années qui vont suivre. »

Tandis qu’Aurélien Le Coq, député (LFI) du Nord, dénonce « l'islamophobie » dans « les attaques répétées et le harcèlement ciblé d'un certain nombre de responsables politiques » à l’encontre d’Averroès, Pierre Mathiot a répété son engagement contre « une injustice fondamentale » qui est « d'autant moins acceptable qu'elle est portée par des représentants de l'Etat ». L’ancien directeur de Sciences Po Lille, qui fut partenaire du lycée, prône « un message de calme » malgré la tempête avec une « confiance en la justice administrative pour qu'elle restaure les droits d’Averroès ».

Des centaines de bacheliers du lycée Averroès mis à l'honneur au Grand Palais de Lille.
Des centaines de bacheliers du lycée Averroès mis à l'honneur au Grand Palais de Lille.

Un combat essentiel sur le terrain judiciaire

L’heure n’est donc point à la résignation ; on s'y refuse collectivement. Le message de confiance est d’ailleurs porté par les avocats du lycée, Mes Paul Jablonski et Sefen Guez Guez. Pour le premier, mobilisé depuis cinq ans dans la bataille judiciaire contre la Région, avec succès, la résiliation du contrat d'association est la conséquence d'un « climat politique détestable qui se dégrade d'année en année, avec des mesures de plus en plus discriminantes contre les établissements musulmans ». « Il y a, selon mon expertise d'avocat, des vices de procédure et des erreurs d'appréciation commises par le préfet et qui entachent sa décision d'illégalité », estime Me Paul Jablonski.

La procédure au fond contre l’Etat est « dans sa dernière ligne droite », signale Me Sefen Guez Guez. L’artisan de la victoire judiciaire obtenue en juillet 2024 par le collège Avicenne à Nice dit avoir bon espoir que l’audience ait lieu « courant mars ou avril 2025 ». « La volonté de démantèlement de l'enseignement privé musulman n'est pas qu'une vue de l'esprit, c'est une réalité tangible. Mais face à ça, nous n'avons que deux options : baisser les bras, et votre présence ce soir est la démonstration que ce n'est pas votre choix, ou bien accepter de participer à ce combat pour sauvegarder cette spécificité qu'est prévue par la loi, cette diversité d'enseignement », déclare-t-il.

« Sans le réseau musulman, notre système éducatif ne reflète pas la diversité qui fait la richesse de notre pays », renchérit Makhlouf Mamèche, qui pilote la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM) depuis sa création en 2015. « Nous dénonçons fermement ce déséquilibre manifeste dans le traitement des réseaux d'enseignement en France », martèle-t-il, appelant à « mettre fin à ces pratiques discriminatoires qui entravent le développement légitime et naturel de l'enseignement privé musulman ».

Une « chaîne de l’espoir » pour sauver Averroès

Pour le moment, « quelle ingéniosité inventer pour survivre tout en gardant le même niveau d'excellence que l'on a promis à nos élèves, à leurs parents et à tous nos soutiens ? » Une grande question qui traverse les corps administratifs, pédagogiques et enseignants, et relayée par Mohammed Damak. « L'heure est grave car l'enjeu est existentiel, mais Averroès ne tombera pas. La flamme d'Averroès ne doit pas s'éteindre et elle ne s'éteindra pas grâce à vous. (...) On veut abattre Averroès le symbole mais nous ne changerons pas de cap. On refuse d'être une variable d'ajustement politique ou une cible de discrimination. »

Les responsables sont bien décidés à poursuivre encore longtemps une aventure dont la tournure dépendra beaucoup de l'issue de la bataille judiciaire contre l'Etat. Indépendamment du verdict, ils comptent aussi sur la générosité et la confiance du plus grand nombre pour faire face aux difficultés présentes et à venir. La soirée, sorte de parenthèse enchantée dont avait aussi besoin le public pour être galvanisé, a ainsi été l’occasion de donner un coup de boost à la campagne de dons en cours et, surtout, de garder la mobilisation forte.

Lire aussi :
Après les résiliations des contrats avec Averroès et Al-Kindi, sale temps pour l’enseignement privé musulman
Affaire Al-Kindi : lettre ouverte au président de la République après la résiliation des contrats avec le lycée musulman
Le groupe scolaire musulman Al-Kindi perd ses contrats avec l'Etat, « une islamophobie d'Etat » dénoncée
Au lycée Averroès de Lille, une rentrée scolaire sans contrat d'association sous le signe de la combativité


Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur







Complete your gift to make an impact