Mohammed Iqbal dans sa bibliothèque (à g.) et à la mosquée de Cordoue, en Espagne, en 1933 (à dr.). (Photos : © Iqbal Academy)
Né au Penjab en 1873, Mohammed Iqbal est issu d’une ancienne famille de brahmanes entrés en islam, via la tradition soufie. Mort en 1938, il avait recommandé, précise Abdennour Bidar, à l’autorité britannique d’alors en Inde, la création d’un État indien à majorité musulmane au nord du pays. Les Pakistanais estiment à tort aujourd’hui qu’il est le « père du Pakistan », alors qu’il ne souhaitait pas la création d’un État indépendant.
Mais outre ces aspects politiques, l’essentiel de l’inspiration d’Iqbal puise notamment dans la lecture du poète persan Rûmî, qu’il put revendiquer comme maître spirituel.
Mais outre ces aspects politiques, l’essentiel de l’inspiration d’Iqbal puise notamment dans la lecture du poète persan Rûmî, qu’il put revendiquer comme maître spirituel.
Mohammed Iqbal : poète, métaphysicien, philosophe...
Poète lui-même, métaphysicien, philosophe, il a séjourné en Angleterre où il a fait des études de droit qui lui permettront d’exercer le métier d’avocat à son retour en Inde. Mais il s’est frotté au point de vue occidental, il en a lu les penseurs, a mesuré l’ampleur de la désacralisation de cette partie de l’humanité et cela lui a donné à réfléchir.
Son ouvrage le plus connu, tiré de sept conférences faites en Inde, a pour titre Reconstruire la pensée religieuse de islam. Publié dans la première moitié du XXe siècle, juste avant la Seconde Guerre mondiale, ce livre semble être encore en avance sur l’état des consciences dans le monde musulman d’aujourd’hui.
Et l’intérêt d’Abdennour Bidar pour les thèmes de réflexion proposés par Iqbal n’en est que plus instructif, compte tenu des questionnements qui traversent la communauté musulmane aujourd’hui. « L’originalité de chacune de ces sept conférences, écrit A. Bidar, m’a sidéré lorsque j’ai commencé à les explorer il y a bien des années. Cela ne ressemblait en rien à ce que j’avais déjà lu chez tant de soufis, de théologiens, de penseurs musulmans anciens ou modernes. »
C’est le même enthousiasme, et le même type d’adhésion qui poussa l’islamologue française Eva de Vitray-Meyerovitch à rejoindre l’islam, alors qu’elle cherchait ardemment un sens à l’existence humaine. Iqbal vint l’éclairer et lui montrer un chemin audacieux.
Et l’intérêt d’Abdennour Bidar pour les thèmes de réflexion proposés par Iqbal n’en est que plus instructif, compte tenu des questionnements qui traversent la communauté musulmane aujourd’hui. « L’originalité de chacune de ces sept conférences, écrit A. Bidar, m’a sidéré lorsque j’ai commencé à les explorer il y a bien des années. Cela ne ressemblait en rien à ce que j’avais déjà lu chez tant de soufis, de théologiens, de penseurs musulmans anciens ou modernes. »
C’est le même enthousiasme, et le même type d’adhésion qui poussa l’islamologue française Eva de Vitray-Meyerovitch à rejoindre l’islam, alors qu’elle cherchait ardemment un sens à l’existence humaine. Iqbal vint l’éclairer et lui montrer un chemin audacieux.
L’individuation
Inspiré comme on l’a dit d’un maître comme Rûmî, mais bien entendu du Coran, des hadiths, de la Sira, bref de la tradition islamique, mais aussi par une vision globale, universaliste de l’humanité, et ce plus d’un demi-siècle avant l’actuelle globalisation, Mohammed Iqbal accorde une importance particulière à la notion d’individu, disons plutôt d’individuation.
Mohammed Iqbal. (© Iqbal Academy)
Il ne veut pas dire « individualisme », mais réalisation de soi, du Soi en soi, c’est-à-dire de la part divine que chaque être vivant contient. L’individuation, c’est donc ce chemin de réalisation de soi-même, ce grand jihad recommandé par le Prophète de l’islam.
Abdennour Bidar souligne les points communs existants avec Jung, le psychanalyste d’origine suisse et contemporain de Freud, inspiré par une vision de l’humanité d’où le sacré n’est pas exclu. A. Bidar traduit par Ego Suprême, selon Iqbal, ce que la plupart nomment « Allah ». Le mot « ego » peut s’avérer gênant en français qui ne comporte pas, comme en arabe, la notion d’évolution de l’âme.
Le travail sur soi, la capacité de se remettre en question, de s’analyser, d’endosser ses responsabilités selon les lois de l’éthique universelle, les niveaux d’évolution de la nafs (le moi pulsionnel censé s’autoéduquer pour trouver dans l’apaisement la saveur du divin), ne sont que les premières étapes, souligne A. Bidar, d’une évolution qui peut emmener l’homme, l’Homme, à un niveau de vision, de compréhension de la Réalité, et que l’on nomme en islam l’« homme parfait ». Chacun de nous recèle en lui-même la capacité de se développer à ce point, c’est, pour Iqbal, l’avenir de l’humanité, encore en son adolescence.
Abdennour Bidar souligne les points communs existants avec Jung, le psychanalyste d’origine suisse et contemporain de Freud, inspiré par une vision de l’humanité d’où le sacré n’est pas exclu. A. Bidar traduit par Ego Suprême, selon Iqbal, ce que la plupart nomment « Allah ». Le mot « ego » peut s’avérer gênant en français qui ne comporte pas, comme en arabe, la notion d’évolution de l’âme.
Le travail sur soi, la capacité de se remettre en question, de s’analyser, d’endosser ses responsabilités selon les lois de l’éthique universelle, les niveaux d’évolution de la nafs (le moi pulsionnel censé s’autoéduquer pour trouver dans l’apaisement la saveur du divin), ne sont que les premières étapes, souligne A. Bidar, d’une évolution qui peut emmener l’homme, l’Homme, à un niveau de vision, de compréhension de la Réalité, et que l’on nomme en islam l’« homme parfait ». Chacun de nous recèle en lui-même la capacité de se développer à ce point, c’est, pour Iqbal, l’avenir de l’humanité, encore en son adolescence.
La nécessité de l’action
Mohammed Iqbal est un intellectuel et un homme d’action. La pensée et le passage à l’acte, l’engagement personnel de chacun vers cette dimension intérieure permet de tisser les fondements d’une nouvelle sagesse pour le monde. Rien que ça !, a-t-on envie de penser…
Iqbal estime que les racines de cette sagesse universelle nécessaire à notre avenir collectif ici-bas se trouvent dans l’islam. Pour lui, l’islam est une réponse à ce que l’on appelle le « désenchantement du monde occidental », source, selon lui, des plus grands tourments de l’âme de nos contemporains.
Mais un islam qui a su muter, s’adapter, se transformer, se transcender. Ce qu’on appelle le « religieux », quelle que soit la religion, doit évoluer et quitter ce que A. Bidar nomme « le magistère exercé sur la vie spirituelle des hommes ». Pour Mohammed Iqbal, c’est inhérent à l’islam, point d’intermédiaire entre le Soi et Dieu.
Certes, le clergé musulman n’existe pas, mais les luttes pour le pouvoir sur les autres ne cessent pas depuis la mort du Prophète. L’emprise sur les âmes, la privation de responsabilité... Or l’individu, responsable devant Dieu, comme le fut Muhammad lors du Voyage nocturne, ne rend de comptes qu’à son Créateur. « Il y a là de quoi réfléchir, pour ceux qui pensent…. »
Abdennour Bidar commente : « Iqbal transforme la religion en un projet pour l’homme qui, tout en conservant l’esprit fondateur du religieux, correspond pourtant à un nouveau mode de spiritualisation de l’existence – dépassement de la vision religieuse sans renoncement au spirituel. »
On imagine à quel point le penseur, aujourd’hui récupéré au Pakistan pour des raisons politiques, a pu déranger ses contemporains : et ne nous dérange-t-il pas encore aujourd’hui ?
Iqbal estime que les racines de cette sagesse universelle nécessaire à notre avenir collectif ici-bas se trouvent dans l’islam. Pour lui, l’islam est une réponse à ce que l’on appelle le « désenchantement du monde occidental », source, selon lui, des plus grands tourments de l’âme de nos contemporains.
Mais un islam qui a su muter, s’adapter, se transformer, se transcender. Ce qu’on appelle le « religieux », quelle que soit la religion, doit évoluer et quitter ce que A. Bidar nomme « le magistère exercé sur la vie spirituelle des hommes ». Pour Mohammed Iqbal, c’est inhérent à l’islam, point d’intermédiaire entre le Soi et Dieu.
Certes, le clergé musulman n’existe pas, mais les luttes pour le pouvoir sur les autres ne cessent pas depuis la mort du Prophète. L’emprise sur les âmes, la privation de responsabilité... Or l’individu, responsable devant Dieu, comme le fut Muhammad lors du Voyage nocturne, ne rend de comptes qu’à son Créateur. « Il y a là de quoi réfléchir, pour ceux qui pensent…. »
Abdennour Bidar commente : « Iqbal transforme la religion en un projet pour l’homme qui, tout en conservant l’esprit fondateur du religieux, correspond pourtant à un nouveau mode de spiritualisation de l’existence – dépassement de la vision religieuse sans renoncement au spirituel. »
On imagine à quel point le penseur, aujourd’hui récupéré au Pakistan pour des raisons politiques, a pu déranger ses contemporains : et ne nous dérange-t-il pas encore aujourd’hui ?
Abdennour Bidar, L’Islam spirituel de Mohammed Iqbal, Éd. Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », septembre 2017, 344 p., 9,20 €.
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