L’avis de Saphirnews
« Mon père le plus fort », « maman courage »… L’auteur, qui a gravi l’Everest (dont l’exploit a inspiré le film L’Ascension), rend ici hommage à ses deux parents, venus en France illettrés mais combattifs pour donner des conditions de vie dignes à leurs enfants dans une France pas tendre avec ses immigrés. Il décrit leur pudeur pour dire « Je t’aime » et cette biographie familiale, à l’écriture incisive, leur envoie tout son amour.
Présentation de l’ouvrage par l’éditeur
Une histoire française : « Quand on est pauvre, c’est pour la vie. Je ressemble à mes parents. Je ne prends jamais le taxi, sauf à l’étranger, quand la course coûte quinze centimes. J’achète mes jeans en friperie, je me contente de trois paires de chaussures. Je suis attaché à ma culture de pauvre. J’aime les gens modestes, les miens. Eux passeront toujours avant les autres. »
Nadir Dendoune est journaliste, auteur de plusieurs livres dont Un tocard sur le toit du monde (Lattès, 2010), adapté au cinéma en 2017 (L’Ascension). Son exploit a inspiré le film L’Ascension Voici l’histoire de sa famille, une famille française.
Nadir Dendoune est journaliste, auteur de plusieurs livres dont Un tocard sur le toit du monde (Lattès, 2010), adapté au cinéma en 2017 (L’Ascension). Son exploit a inspiré le film L’Ascension Voici l’histoire de sa famille, une famille française.
Lire un extrait
À douze ans, champion de tennis, j’ai rêvé de grands chelems. Mais, je n’ai jamais osé parler à mes parents des seize mille francs qu’aurait coûté l’année dans un club de meilleur niveau que j’avais pourtant réussi à intégrer.
Vers quatorze ans, j’ai rêvé d’une parole libre parce que je n’en pouvais plus de me battre contre l’ingratitude des syllabes et des voyelles qui me faisaient faux bond. Je priais Dieu de m’offrir une élocution toute en douceur. Là encore, j’ai rêvé pour du beurre.
À seize ans, j’ai rêvé que la « police pour tous » me vouvoie comme n’importe quel autre Français et qu’elle ne vienne plus à la cité fouiller nos derches à la recherche d’un bout d’haschich qui traînerait au fond de notre anus. Mais mon rêve s’est transformé en cauchemar quand, me prenant pour un autre, ils m’ont roué de coups.
Quelques mois avant ma majorité, j’ai rêvé que le juge d’instruction ne m’envoie pas sous les verrous. Malgré mon innocence, il n’a rien voulu entendre à ma défense balbutiante et j’ai fini à Fleury. Alors j’ai rêvé que ma mère ne pleure plus pour moi comme elle l’a fait en me rendant visite.
À dix-huit ans, j’ai rêvé que ma carte d’identité française, ma chemise bien repassée et mon beau pantalon à pinces suffisent à user mes Jean-Marie Weston sur les dancefloors des clubs select. Mais une fois de plus, en vain.
À vingt ans, j’ai rêvé que les boîtes d’intérim donnent une chance à tout le monde mais faute de travail et de pognon, je suis resté tout l’été à tourner en rond.
Alors, déprimé, j’ai cessé de rêver. À quoi bon ? La solution de facilité. Et puis, ça dérangeait personne à la cité, où le fatalisme avait pris des longueurs d’avance sur l’optimisme.
On a tous des milliers de raisons d’aller mal, de ne plus croire en rien. On est nombreux à être abîmés par la vie, à avoir souffert de manques affectifs qui altèrent notre confiance.
Un jour, je me suis maté dans la glace et j’ai serré les poings très fort. Je pleurais de rage et d’envie. Je suis allé voir ma mère et je lui ai dit : « Ton fils a décidé de rêver de nouveau. » Elle a pas trop compris où je voulais en venir et m’a dit : « Trouve-toi déjà un travail, et une nana si possible, et tu seras peut-être heureux. » Mais mon Everest à moi ce n’était pas celui-là.
Mon Everest, c’était de vivre des rêves de riches. Ces rêves qu’on m’a toujours refusés. Qu’on a refusés à mes parents.
J’ai rêvé de voyages et je suis parti pédaler autour du monde.
J’ai rêvé de soleil, de plage et de bombasses et je suis allé en Australie.
J’ai rêvé de pouvoir raconter nos histoires, je suis devenu journaliste et j’ai publié trois livres.
J’ai rêvé d’exploits et je suis devenu le premier Maghrébin à escalader l’Everest.
Ça s’est joué à pas grand-chose. J’aurais pu finir grand délinquant. Mais j’ai eu de la chance. De belles rencontres à chaque moment important de mon parcours.
Justement, il y a quatre ans, ma vie a un peu changé. Je me suis mis à écrire de nouveau. Chaque mardi. Par plaisir, bien sûr, par envie également, mais aussi par nécessité. Pour oublier certaines choses, et en comprendre d’autres. Et j’ai l’impression, texte après texte, de m’approcher de la paix.
Vers quatorze ans, j’ai rêvé d’une parole libre parce que je n’en pouvais plus de me battre contre l’ingratitude des syllabes et des voyelles qui me faisaient faux bond. Je priais Dieu de m’offrir une élocution toute en douceur. Là encore, j’ai rêvé pour du beurre.
À seize ans, j’ai rêvé que la « police pour tous » me vouvoie comme n’importe quel autre Français et qu’elle ne vienne plus à la cité fouiller nos derches à la recherche d’un bout d’haschich qui traînerait au fond de notre anus. Mais mon rêve s’est transformé en cauchemar quand, me prenant pour un autre, ils m’ont roué de coups.
Quelques mois avant ma majorité, j’ai rêvé que le juge d’instruction ne m’envoie pas sous les verrous. Malgré mon innocence, il n’a rien voulu entendre à ma défense balbutiante et j’ai fini à Fleury. Alors j’ai rêvé que ma mère ne pleure plus pour moi comme elle l’a fait en me rendant visite.
À dix-huit ans, j’ai rêvé que ma carte d’identité française, ma chemise bien repassée et mon beau pantalon à pinces suffisent à user mes Jean-Marie Weston sur les dancefloors des clubs select. Mais une fois de plus, en vain.
À vingt ans, j’ai rêvé que les boîtes d’intérim donnent une chance à tout le monde mais faute de travail et de pognon, je suis resté tout l’été à tourner en rond.
Alors, déprimé, j’ai cessé de rêver. À quoi bon ? La solution de facilité. Et puis, ça dérangeait personne à la cité, où le fatalisme avait pris des longueurs d’avance sur l’optimisme.
On a tous des milliers de raisons d’aller mal, de ne plus croire en rien. On est nombreux à être abîmés par la vie, à avoir souffert de manques affectifs qui altèrent notre confiance.
Un jour, je me suis maté dans la glace et j’ai serré les poings très fort. Je pleurais de rage et d’envie. Je suis allé voir ma mère et je lui ai dit : « Ton fils a décidé de rêver de nouveau. » Elle a pas trop compris où je voulais en venir et m’a dit : « Trouve-toi déjà un travail, et une nana si possible, et tu seras peut-être heureux. » Mais mon Everest à moi ce n’était pas celui-là.
Mon Everest, c’était de vivre des rêves de riches. Ces rêves qu’on m’a toujours refusés. Qu’on a refusés à mes parents.
J’ai rêvé de voyages et je suis parti pédaler autour du monde.
J’ai rêvé de soleil, de plage et de bombasses et je suis allé en Australie.
J’ai rêvé de pouvoir raconter nos histoires, je suis devenu journaliste et j’ai publié trois livres.
J’ai rêvé d’exploits et je suis devenu le premier Maghrébin à escalader l’Everest.
Ça s’est joué à pas grand-chose. J’aurais pu finir grand délinquant. Mais j’ai eu de la chance. De belles rencontres à chaque moment important de mon parcours.
Justement, il y a quatre ans, ma vie a un peu changé. Je me suis mis à écrire de nouveau. Chaque mardi. Par plaisir, bien sûr, par envie également, mais aussi par nécessité. Pour oublier certaines choses, et en comprendre d’autres. Et j’ai l’impression, texte après texte, de m’approcher de la paix.
Nadir Dendoune, Nos rêves de pauvres, JC Lattès, 2017, 184 p., 15 €.
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