Alors que les Assises territoriales de l’islam, promues cet été seulement par le gouvernement dans les différentes régions de France et organisées par les préfets, sont encore en cours, les choses semblent s’accélérer en vue d’une nouvelle organisation de l’islam de France.
Ainsi, l’Institut Montaigne vient de publier un nouveau rapport dirigé par Hakim El Karoui, « La Fabrique de l’islamisme » (lire ici), qui montre de manière rigoureuse comment, ces dernières décennies, en France comme ailleurs dans le monde, l’islam s’est laissé « wahhabiser » (en référence à l’islam promu par le royaume saoudien) et « fréririser » (eu égard à l’influence grandissante des Frères musulmans, malgré leur actuelle persécution en Egypte).
Le président de la République a reçu voici quelques jours ce gros travail (plus de 620 pages !), qu’il étudie maintenant, et le ministre de l’intérieur vient de se féliciter publiquement de son contenu.
La grande question, dès lors, est de savoir comment les débats suscités par les assises territoriales, d’une part, et le contenu de ce nouveau rapport, d’autre part, vont aboutir à des mesures concrètes qui favoriseront, comme le souhaite le président de la République, le triomphe d’un islam des musulmans de France qui sera en harmonie avec les idéaux de notre République laïque et au service d’un véritable « vivre-ensemble », privilégiant le bien commun au détriment des enfermements identitaires.
Ainsi, l’Institut Montaigne vient de publier un nouveau rapport dirigé par Hakim El Karoui, « La Fabrique de l’islamisme » (lire ici), qui montre de manière rigoureuse comment, ces dernières décennies, en France comme ailleurs dans le monde, l’islam s’est laissé « wahhabiser » (en référence à l’islam promu par le royaume saoudien) et « fréririser » (eu égard à l’influence grandissante des Frères musulmans, malgré leur actuelle persécution en Egypte).
Le président de la République a reçu voici quelques jours ce gros travail (plus de 620 pages !), qu’il étudie maintenant, et le ministre de l’intérieur vient de se féliciter publiquement de son contenu.
La grande question, dès lors, est de savoir comment les débats suscités par les assises territoriales, d’une part, et le contenu de ce nouveau rapport, d’autre part, vont aboutir à des mesures concrètes qui favoriseront, comme le souhaite le président de la République, le triomphe d’un islam des musulmans de France qui sera en harmonie avec les idéaux de notre République laïque et au service d’un véritable « vivre-ensemble », privilégiant le bien commun au détriment des enfermements identitaires.
Déjà circulent dans l’espace public quelques grandes idées promues par Hakim El Karoui qui auraient la faveur du chef de l’Etat et de son gouvernement. A leur sujet, quelques médias ont parlé de « propositions-chocs ». Celles-ci se résument en trois grandes perspectives : une surveillance accrue des flux financiers liés à l’islam ; une organisation plus contrôlée des pèlerinages dans les lieux saints de l’islam ; et une taxe sur les produits halal, qui serait collectée par un nouvel organisme.
De manière générale, on peut constater que ces propositions, contrairement au contenu principal de « La Fabrique de l’islamisme », qui traite de l’importance du récit idéologique dans les mutations de l’islam international et français, relèvent d’une approche totalement économique, le cœur de la pensée de ceux qui les préconisent étant que si l’argent est le nerf de la guerre, il est aussi celui de l’organisation des religions.
Pour eux, tant qu’il n’y aura pas de gestion rigoureuse de l’argent de l’islam, il ne pourra pas y avoir une organisation satisfaisante de cette religion maintenant française pour la formation des imams, comme pour la construction des lieux de culte et de transmission du savoir religieux.
De manière générale, on peut constater que ces propositions, contrairement au contenu principal de « La Fabrique de l’islamisme », qui traite de l’importance du récit idéologique dans les mutations de l’islam international et français, relèvent d’une approche totalement économique, le cœur de la pensée de ceux qui les préconisent étant que si l’argent est le nerf de la guerre, il est aussi celui de l’organisation des religions.
Pour eux, tant qu’il n’y aura pas de gestion rigoureuse de l’argent de l’islam, il ne pourra pas y avoir une organisation satisfaisante de cette religion maintenant française pour la formation des imams, comme pour la construction des lieux de culte et de transmission du savoir religieux.
Tracfin de l’islam : le risque de suspicion générale
La première proposition part du constat, tout à fait exact, que tout ce qui tourne autour de l’islam – collectes auprès des fidèles au moment des prières et prêches du vendredi, organisation des pèlerinages, activités commerciales liées au respect de règles, notamment alimentaires (le halal) – génère et appelle beaucoup d’argent, sans qu’il y ait un contrôle réel de la régularité de ces flux et de l’honnêteté de tous les acteurs. Il est donc envisagé la création d’une structure spécifique de type Tracfin au ministère des Finances, à l’image de ce qui est déjà en place pour surveiller tout ce qui est fraudes, blanchiment d’argent, financement du trafic de la drogue et du terrorisme.
En fait, Tracfin a compétence pour tous les types d’escroquerie et de financements illicites. Est-il dès lors nécessaire et, plus encore, souhaitable d’y ajouter une structure spéciale pour surveiller la religion musulmane davantage que d’autres structures confessionnelles ?
D’ailleurs, si les finances des grandes Eglises traditionnelles sont depuis longtemps très contrôlées par Bercy, d’autres organisations à vocation religieuse (églises dites « évangéliques », églises ethniques, dénominations orthodoxes ou assimilées, organisations bouddhistes…) mériteraient de faire aussi l’objet d’un réel contrôle.
Si l’on met ainsi en place une sorte de « police financière pour la surveillance de l’islam », ne court-on pas le risque de créer une suspicion générale sur les organisations musulmanes, et de favoriser la méfiance et les discriminations à l’égard de nos concitoyens musulmans ?
En fait, Tracfin a compétence pour tous les types d’escroquerie et de financements illicites. Est-il dès lors nécessaire et, plus encore, souhaitable d’y ajouter une structure spéciale pour surveiller la religion musulmane davantage que d’autres structures confessionnelles ?
D’ailleurs, si les finances des grandes Eglises traditionnelles sont depuis longtemps très contrôlées par Bercy, d’autres organisations à vocation religieuse (églises dites « évangéliques », églises ethniques, dénominations orthodoxes ou assimilées, organisations bouddhistes…) mériteraient de faire aussi l’objet d’un réel contrôle.
Si l’on met ainsi en place une sorte de « police financière pour la surveillance de l’islam », ne court-on pas le risque de créer une suspicion générale sur les organisations musulmanes, et de favoriser la méfiance et les discriminations à l’égard de nos concitoyens musulmans ?
Lire aussi : Les fausses pistes autour de l'islam de France
Taxe sur le pèlerinage via l’Arabie saoudite : moralement acceptable ?
La deuxième proposition apparaît comme la plus réaliste, mais elle semble en contradiction totale avec tout le rapport Montaigne, qui est un dévoilement et une dénonciation des stratégies saoudiennes pour imposer partout dans le monde son modèle wahhabite. En effet, l’idée est de se mettre d’accord avec le royaume saoudien pour que celui-ci, fort de sa souveraineté, n’agrée que les agences qui contribueront volontairement au financement de l’islam de France en versant une part de leurs bénéfices à une association nationale de financement de l’islam.
Des tractations diplomatiques entre la France et l’Arabie saoudite permettraient d’établir une liste des « bonnes agences ». Alors que la République laïque ne saurait imposer à des agences d’organisation du pèlerinage cette taxe religieuse, des accords diplomatiques franco-saoudiens permettraient, en quelque sorte, de « déléguer » cet acte de contrainte à l’Etat confessionnel wahhabite.
Mais si cela est « jouable » légalement, est-ce moralement acceptable ? Est-il cohérent d’aller chercher la collaboration, pour organiser l’islam de France, des tenants de l’islam le plus obscurantiste et le plus négateur des droits de l’homme, que l’on dénonce par ailleurs ?
Des tractations diplomatiques entre la France et l’Arabie saoudite permettraient d’établir une liste des « bonnes agences ». Alors que la République laïque ne saurait imposer à des agences d’organisation du pèlerinage cette taxe religieuse, des accords diplomatiques franco-saoudiens permettraient, en quelque sorte, de « déléguer » cet acte de contrainte à l’Etat confessionnel wahhabite.
Mais si cela est « jouable » légalement, est-ce moralement acceptable ? Est-il cohérent d’aller chercher la collaboration, pour organiser l’islam de France, des tenants de l’islam le plus obscurantiste et le plus négateur des droits de l’homme, que l’on dénonce par ailleurs ?
Taxe sur le halal : quels artifices juridiques pour l'Etat laïque ?
La troisième proposition, dans la suite des deux premières, porte sur l’instauration d’une taxe sur tous les produits halal (et ils sont nombreux, dans l’alimentaire mais aussi dans la cosmétique ou l’organisation de séjours de vacances), qui serait mise en place et gérée par une association musulmane pour l’islam de France (AMIF).
Mais comment l’Etat laïque peut-il imposer à des acteurs économiques divers (l’essentiel de l’industrie du halal, en France, est détenu par des industriels et de grandes enseignes qui ne sont pas de confession musulmane) le financement d’une religion ? Par quels artifices juridiques ?
On voit bien que le modèle historique vers lequel beaucoup regardent est le financement des institutions religieuses juives, que permet un contrôle rigoureux de la cacherout par le Consistoire central israélite de France et les consistoires régionaux. Mais c’est oublier que ce système de financement a été établi sous un autre régime politique et juridique que celui de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, à savoir celui de Napoléon Ier, en 1808, et que les principaux responsables juifs de l’époque étaient d’accord avec la mise en place de ce système.
On le voit : même si le rapport dirigé par Hakim El Karoui représente un progrès dans la prise de conscience collective de ce qui se joue actuellement sur la scène de l’islam de France, nous sommes encore bien loin de détenir les solutions – qu’il faut pourtant trouver ! – pour, à la fois, limiter l’influence redoutablement efficace et très organisée des réseaux « fréristes » et salafistes, et soutenir, renforcer, promouvoir « l’islam des gens », l’islam, bienveillant à l’égard des non-musulmans, de la majorité des musulmans de France.
Mais comment l’Etat laïque peut-il imposer à des acteurs économiques divers (l’essentiel de l’industrie du halal, en France, est détenu par des industriels et de grandes enseignes qui ne sont pas de confession musulmane) le financement d’une religion ? Par quels artifices juridiques ?
On voit bien que le modèle historique vers lequel beaucoup regardent est le financement des institutions religieuses juives, que permet un contrôle rigoureux de la cacherout par le Consistoire central israélite de France et les consistoires régionaux. Mais c’est oublier que ce système de financement a été établi sous un autre régime politique et juridique que celui de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, à savoir celui de Napoléon Ier, en 1808, et que les principaux responsables juifs de l’époque étaient d’accord avec la mise en place de ce système.
On le voit : même si le rapport dirigé par Hakim El Karoui représente un progrès dans la prise de conscience collective de ce qui se joue actuellement sur la scène de l’islam de France, nous sommes encore bien loin de détenir les solutions – qu’il faut pourtant trouver ! – pour, à la fois, limiter l’influence redoutablement efficace et très organisée des réseaux « fréristes » et salafistes, et soutenir, renforcer, promouvoir « l’islam des gens », l’islam, bienveillant à l’égard des non-musulmans, de la majorité des musulmans de France.