Philippe Gaudin est directeur de l'Institut d'études des religions et de la laïcité (ISRL) au sein de l'École pratique des hautes études (EPHE). © Youtube/Campus Protestant
Le retour du mot « séparatisme » dans le vocabulaire politique témoigne-t-il, selon vous, d'une période particulièrement troublée ?
Philippe Gaudin : J'aurais tendance à répondre oui, effectivement. Alors, troublée par rapport à quoi ? C'est vrai que le retour de ce mot dans le vocabulaire politique et même dans le vocabulaire législatif date plutôt de 2020, et c'est lié à la préparation d'un projet de loi qui comportait ce mot. Je constate que depuis, le mot a disparu à la faveur du renforcement des principes républicains. Alors troublés ? Certainement et ça vient certainement du fait que les questions qui se posent, je dirais à la pratique de la laïcité française, ne sont pas que des questions techniques qui portent sur les relations entre l'Etat et les cultes, mais qui portent bien sur ce qui se passe dans la société. Alors, il est bien évident que l'islam ou les pratiques liées à l'islam ne sont pas les seules questions qui se posent. Mais il serait malhonnête, en quelque sorte, de ne pas vouloir voir que c'est cela dont il est question.
Est-ce le signe, le symptôme, d'une irruption du religieux comme jamais dans la société française ?
Philippe Gaudin : C’est simplement que les religions, dans un pays comme la France, se sont transformées petit à petit en opinions personnelles. Quand on pense à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, il est dit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public (établi par la Loi) », la religion est indiquée comme étant une opinion.
Même si le mot « opinion » au XVIIIe siècle n'a peut-être pas tout à fait la même signification, la religion chez nous est devenue au fond une option personnelle en quelque sorte. Et ce que nous constatons aujourd’hui notamment à propos de l'islam, mais pas seulement, c'est tout simplement le fait qu'on avait oublié que, dans l'épaisseur de l'histoire humaine, les religions ne sont pas simplement des opinions métaphysiques ou des convictions intérieures, mais elles sont ce qui règle les mœurs et c'est cela qui est nouveau et qui engendre un trouble.
Même si le mot « opinion » au XVIIIe siècle n'a peut-être pas tout à fait la même signification, la religion chez nous est devenue au fond une option personnelle en quelque sorte. Et ce que nous constatons aujourd’hui notamment à propos de l'islam, mais pas seulement, c'est tout simplement le fait qu'on avait oublié que, dans l'épaisseur de l'histoire humaine, les religions ne sont pas simplement des opinions métaphysiques ou des convictions intérieures, mais elles sont ce qui règle les mœurs et c'est cela qui est nouveau et qui engendre un trouble.
C'est très clair. Mais alors du coup, pensez-vous que l'emploi du terme « séparatisme » soit pertinent dans la situation actuelle ?
Philippe Gaudin : Alors, j'aurais tendance à répondre non. Pour une raison bien simple, c'est que le terme « séparatisme » renvoie plutôt à quelque chose qu'on a connu jusqu'à il y a encore relativement peu de temps, notamment avec une minorité de Corses ou de Basques, avec la volonté, effectivement, d'un séparatisme proprement politique, proprement étatique. En ce sens-là, le terme « séparatisme » (tel qu’il est employé actuellement, ndlr) est tout à fait inadapté. Par contre, il peut y avoir des mœurs réglées par des dogmes, des convictions, des prescriptions religieuses qui peuvent avoir un effet de séparatisme pratique dans la vie sociale.
Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui affirment que le mot « séparatisme » est employé en fait à dessein pour stigmatiser une communauté et en l'occurrence la communauté musulmane ?
Philippe Gaudin : Je répondrai d’abord d'une manière très simple : ceux qui stigmatisent gravement et je dirais même très, très, très gravement les gens de confession musulmane, ce sont ceux qui invoquent cette religion pour commettre des meurtres abominables. Ça, c'est vraiment stigmatisant.
Pour revenir à la question difficile, effectivement qui est celle des mœurs au fond, ce que nous savons, je dirais même d'un point de vue anthropologique, ce qui fait que l'on fait partie d'une communauté nationale, d'une communauté politique, la façon dont on peut s'intégrer quand on vient d'autres pays marqués par une autre histoire, une autre culture, une autre religion, c’est qu’il y a trois ingrédients d'une intégration harmonieuse : l'école, la table et le lit. Même si l’intégration ne veut pas dire abandonner ses particularités ou être absolument les mêmes.
L'école suppose d’accepter en quelque sorte l'enseignement, les programmes, de ne pas contester l'enseignement des professeurs qui est donné gratuitement, non pas que l'enseignement ne coûte rien, mais qu'il est gratuit ou quasiment gratuit pour les familles. Pour la table, ça suppose aussi que si on ne mange plus ensemble, c'est très embêtant parce qu'en fait, quand on mange ensemble, on ne partage pas que des aliments, on partage aussi des paroles, ce qui fait le cœur de la société, bien sûr. Enfin, il y a le lit. Effectivement, ce n'est pas une invention, ni une découverte – sauf pour ceux qui ont la mémoire courte – mais les religions, traditionnellement, conditionnent les règles du mariage. Si l'on oblige les jeunes femmes à se marier uniquement avec des hommes issus de la même communauté religieuse – même si le droit fait qu'en France, le mariage n'a pas de signification religieuse mais uniquement civile et qu'on peut lui donner a posteriori une bénédiction religieuse –, il y a forcément, fatalement, des effets séparatistes.
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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L'école suppose d’accepter en quelque sorte l'enseignement, les programmes, de ne pas contester l'enseignement des professeurs qui est donné gratuitement, non pas que l'enseignement ne coûte rien, mais qu'il est gratuit ou quasiment gratuit pour les familles. Pour la table, ça suppose aussi que si on ne mange plus ensemble, c'est très embêtant parce qu'en fait, quand on mange ensemble, on ne partage pas que des aliments, on partage aussi des paroles, ce qui fait le cœur de la société, bien sûr. Enfin, il y a le lit. Effectivement, ce n'est pas une invention, ni une découverte – sauf pour ceux qui ont la mémoire courte – mais les religions, traditionnellement, conditionnent les règles du mariage. Si l'on oblige les jeunes femmes à se marier uniquement avec des hommes issus de la même communauté religieuse – même si le droit fait qu'en France, le mariage n'a pas de signification religieuse mais uniquement civile et qu'on peut lui donner a posteriori une bénédiction religieuse –, il y a forcément, fatalement, des effets séparatistes.
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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