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Points de vue

Un Godard mystique : hommage à un géant du cinéma

Rédigé par Christophe Courtin | Lundi 26 Septembre 2022 à 12:15

           

Le cinéaste Jean-Luc Godard, co-fondateur du mouvement de la Nouvelle Vague, est décédé le 13 septembre 2022 à l’âge de 91 ans. Un hommage tout particulier lui est adressé par Christophe Courtin, spécialiste des questions couvrant la société civile et Etat de droit en Afrique, et chroniqueur pour Golias Hebdo.



© James Stencilowsky / CC BY 2.0
© James Stencilowsky / CC BY 2.0
Le 13 septembre 2022, on a entendu le dernier ressac de la nouvelle vague et le dernier souffle de Jean-Luc Godard. Le cinéma et la télévision ne l’intéressaient plus depuis un moment. Ils étaient devenus trop plats, alors que la terre n’est pas plate. Elle est ronde, ronde comme le ventre de Marie. Il creusait la profondeur du présent dans ses images et ses dialogues avec des bruits de rue, du jazz, Bach, des plans insolites ou un commentaire off, comme Mallarmé creusait ses vers avec ses mots et ses images sortis de sa tête. Godard voulait filmer l’invisible sinon il aurait fait des téléfilms expliquait-il. Au moins, avec le cinéma on lève la tête ; avec la télé, on la baisse, disait-il aussi.

A l’époque, le tube cathodique pouvait encore faire croire à une certaine profondeur ; aujourd’hui, les écrans sont plats comme ce qu’ils diffusent. Quels étaient ses sentiments au moment de sa fin de vie assistée se demande-t-on de la même manière qu’il se demandait en off quels étaient les sentiments des trois jeunes acteurs dansant le madison en faisant bande à part ? Claude Brasseur regardait ses pieds, Anna Karina s’inquiétait de savoir si les deux autres regardaient ses seins et Sami Frey pensait à tout et à rien. Et si c’était ça Godard finalement, une voix off permanente, prenant le parti d’intégrer la parole du commentateur avec la musique et les sons, en nous disant dans un phrasé musical : attention ce que vous voyez en allant au cinéma, eh bien, le réel, c’est à la fois plus simple et plus compliqué. Une prosodie qui nous manquera parce que la naissance et la mort, oui, c’est à la fois simple et compliqué.

Au commencement des films de Godard était le verbe du commentateur ; avant l’image, les paroles d’une actrice ou d’un acteur, qui créent son cinéma dans nos têtes. L’ouïe précède la vue, c’est vieux comme Le Cantique des cantiques : « C’est la voix de mon bien-aimé ! Il frappe ! Lui. Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma toute pure (…) mes entrailles ont frémi : c’était lui ! (…) J’ai ouvert à mon bien-aimé : mon bien-aimé s’était détourné, il avait disparu. » Marie la basketteuse, avant d’entrer dans le jeu, se demande en off « si quelque évènement allait survenir dans ma vie ». Elle entre sur le terrain … plan fixe qui montre la lune. Elle s’avance pour lancer le ballon, la voix off encore, « De l’amour je n’avais que... ce plan fixe sur la lune... l’ombre et même l’ombre d’une ombre ». Plus tard, son oncle Gabriel lui annonce qu’elle va avoir un enfant. « De qui ? », demande-t-elle. « Ne fait pas l’innocente », répond sèchement tonton.

Godard, l’athée calviniste, inscrit son scénario dans la tradition des Évangiles, il multiplie les niveaux de discours : conception, naissance, fécondation, nativité, virginité, grossesse, chasteté, infidélité, procréation, incarnation, dualité de l’âme et du corps. Godard dit, montre, suggère, nomme et crée mais n’explique pas. Le pape fut blessé, les traditionalistes y ont vu un blasphème, La Croix, Etudes, Panorama, Témoignage Chrétien, le grand retour du religieux dans le cinéma français, certains, un psaume, et le grand public, une parabole moderne, celle de la poule et de l’œuf : en deçà de la métaphysique, le grain et l’épi d’Aristote. Quelques cinéphiles y virent un pastiche laborieux et mal tourné.

Huit ans après Je vous salue Marie, il livre un court métrage, Je vous salue Sarajevo, deux minutes quinze, le bref deuxième volet d’un retable consacré à Marie. A côté de l’Annonciation, une mère de douleur. Autant le premier tableau du diptyque foisonnait d’images, de personnages et de plans, le second, comme en contrepoint d’une fugue visuelle ne montre qu’une seule image, une photo de guerre du photographe Ron Haviv, prise lors du massacre de Bijeljina en Bosnie les 1er et 2 avril 1992. Une mère au pied d’un fils, un milicien serbe du groupe paramilitaire Les Tigres d’Arkan qui s’apprête à donner le coup de grâce à une femme allongée sur un trottoir par un coup de pied dans la tête. Peut-être est-elle déjà morte. Il est décontracté, la clope à la main, les lunettes de soleil sur le front, on dirait qu’il va shooter dans un ballon. La prosodie de la voix off se fait cantate, elle lit Bernanos, Les humiliés : « La peur, voyez- vous, est quand même la fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi saint, elle n’est pas belle à voir, tantôt éraillée, tantôt médiatique, et pourtant ne vous y trompez pas, elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l’homme. » De quoi avait peur Godard, sinon de la mort ?

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Christophe Courtin, ancien directeur des projets et programmes au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), est consultant international sur les questions de société civile, Etat de droit, justice et droits humains en Afrique. Chroniqueur dans la revue Golias Hebdo, il est auteur de Lettres soufies. Raison, révélation et tradition au Sahel (L’Harmattan, 2005) et Le dictionnaire des idées reçues de l’aide au développement (Golias, 2016). A paraître dans Golias Hebdo.




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