« En 20 ans à peine, l'inscription de l'Islam et des musulmans dans la société française a surgi comme une réalité problématique entraînant une réflexion approfondie, tant sur l'Islam que sur le modèle français d'intégration dans le cadre de la laïcité. » Et face aux échecs de l'Etat d'intégrer le fait musulman dans le paysage français, par l'expérience du CORIF de Pierre Joxe et du Conseil Représentatif des Musulmans de France de Charles Pasqua, plusieurs organisations publiques, notamment la Ligue Française de l'Enseignement et de l'Education Permanente (LFEEP) d’abord et la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) ensuite, ont pris le relais pour mener une réflexion sur la question de la compatibilité de l'Islam et de la laïcité.
L'Islam à l'étude
Au sein de ces organisations sont créées des commissions ayant pour buts ultimes d'analyser « la présence musulmane dans la société française et rechercher les valeurs d'une intégration harmonieuse dans le cadre intangible de la laïcité, de sa philosophie politique et des institutions », et de déterminer si les principes selon lesquels la République ne reconnaît aucun culte tout en garantissant leur libre exercice peuvent « recevoir la même application en 2000 qu'en 1905. » Elles sont notamment composées de personnalités d'horizons socioculturels, professionnels et idéologiques diverses comme Philippe Bataille, Michel Tubiana, Tariq Ramadan, ou encore Michel Morineau.
En avant-garde, la LFEEP a rappelé avec insistance que le cadre juridique et institutionnel de la laïcité permet « à toutes les convictions - sauf les idéologies totalitaires, racistes et xénophobes – de coexister avec leurs valeurs, leurs règles, leurs rituels et leurs droits privés propres quand il s'agit des religions. »
L'intérêt principal de ces études réside dans la recherche d'une conciliation possible ou non de la liberté de conscience des citoyens français musulmans avec l'idéal laïc. Le résultat des travaux de ces commissions démontre contre toute attente que le véritable problème d'intégration des musulmans dans le paysage français se situe à un autre niveau, c'est-à-dire qu'il est en réalité conséquent aux inégalités de fait et discriminations qui touchent particulièrement les musulmans.
Le couple « Islam et Laïcité » est parfaitement compatible
Le constat de la Commission « Islam et Laïcité » de la LFEEP est formel : « Les musulmans peuvent pratiquer leur religion sans avoir à payer le prix d'une assimilation, ni céder à la tentation du repli sur soi ou du ghetto. Ces deux attitudes seraient contraires à l'esprit de l'Islam comme à celui de la citoyenneté, elles illustreraient douloureusement l'échec de l'idéal républicain. Toute la Commission était d'accord sur ce point. »
Contrairement à ce qui nous est assené et répété quotidiennement par les intégristes de la laïcité, l'idéal laïc français, visant à garantir les libertés individuelles, n'a pas changé, c'est la société française qui se transforme. Il s'agit donc, aujourd'hui, d'intégrer la différence musulmane qui est devenue une réalité inéluctable comme la différence juive a été intégrée dans le paysage de la société française à la fin du 18éme siècle.
Jean-Pierre Dubois a ainsi fait remarquer très justement que la laïcité est « la voie médiane, salutaire entre individualisme abstrait et hypocrite et communautarisme régressif et ségrégatif. Elle garantira l'égalité dans la reconnaissance de différences légitimes mais aussi, et d'un même mouvement, le partage et l'enseignement de valeurs communes précisément de liberté, d'égalité et de respect absolu de la dignité de la personne. Il n'y aura pas là « nouvelle laïcité » mais fidélité à l'esprit de 1905, voire retour à la laïcité véritable que toute intolérance défigure. »
L’Islam en France : Entre égalité de droit et de fait
La Commission « Islam et Laïcité » a relevé avec force que le fossé entre l'égalité de droit et l'inégalité de fait concernant les musulmans et leur liberté de culte devait être absolument comblé. En effet, parmi ses principes les plus fondamentaux, la République compte l'égalité de tous les citoyens et l'égalité des cultes.
C'est pourquoi, l'Etat doit s'attacher à tout mettre en œuvre pour éradiquer toute discrimination, qu'elle soit le fait du secteur privé (discrimination à l'emploi, au logement…), ou du secteur public (réticence des municipalités concernant la construction de mosquées, interdiction d'ouvrir des aumôneries…). Il y contribuera également en favorisant une présentation publique plus valorisante de l'Islam et de ses adeptes, dont les pratiques, à l'instar des autres religions, sont légitimes et conformes au droit français, qui, de surcroît, les garantit. Car si les musulmans ont des droits et des devoirs à l'égard de la République, celle-ci a pour obligation de leur rendre effectives les valeurs, qui forment sa quintessence : liberté, égalité, fraternité.
Enfin, tous les détracteurs doivent comprendre qu'au-delà de l'expression de convictions religieuses, il s'agit surtout d'affirmer et de construire une identité, en harmonie tant avec son appartenance citoyenne qu'avec son appartenance confessionnelle, chacune indispensable à la survie de l'autre. Et la laïcité, non seulement, constitue le trait d'union fondamental entre ces deux appartenances, mais a contribué et contribue à l'édification d'une France pluraliste, diverse et une.
Toutes les citations sont extraites du rapport de la LFEEP « Laïcité et Islam, l'intégration des musulmans dans une France une et diverse » (décembre 2000), et du rapport de la LDH sur « La laïcité à l'épreuve de la diversité, Egalité et pluralisme en France et en Europe » (6ème université d'automne du 18 et 19 novembre 2000).