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Politique

Le projet de loi séparatisme adopté à l'Assemblée nationale, une surenchère de la droite au Sénat annoncée

Rédigé par Myriam Attaf et Hanan Ben Rhouma | Mardi 16 Février 2021 à 20:00

           

Débattu pendant près d'un mois à l'Assemblée nationale, le projet de loi contre le séparatisme a été adopté sans grande difficulté mardi 16 février par une majorité de députés. Alors que le Sénat est appelé à débuter l'examen du texte fin mars et qu'une surenchère de la droite est redoutée, que faut-il retenir du projet de loi ?



Le projet de loi séparatisme adopté à l'Assemblée nationale, une surenchère de la droite au Sénat annoncée
Après 135 heures de débats à l'Assemblée nationale dont 80 heures en plénière, le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », aussi appelé projet de loi « contre le séparatisme », fort de 70 articles, a été adopté, mardi 16 février, par 347 voix pour, 151 voix contre et 65 abstentions, quatre mois jour pour jour après l'assassinat de Samuel Paty qui a poussé Emmanuel Macron à durcir le ton après son discours aux Mureaux.

Sur les 2 650 amendements déposés, quelque 144 amendements ont été adoptés au cours de la quinzaine de jours de débats dans l'hémicycle, venant ainsi modifier le texte initial présenté par le gouvernement en janvier sans pour autant le dévier de l'axe sécuritaire et répressif adopté comme réponses pour lutter contre « le séparatisme » et « l’islamisme radical ».

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Qu'entend instituer le projet de loi ?

Parmi les dispositions phares du texte figurent celles destinées à renforcer le contrôle administratif des associations. L'article 6 prévoit ainsi d'imposer aux structures associatives la signature d’un contrat d’engagement républicain pour espérer obtenir des subventions publiques tandis que l'article 7 entend renforcer les conditions d'obtention et de renouvellement de l'agrément des associations par l'État. Les motifs de dissolution administrative d'une association sont élargis avec l'article 8 : les structures pourront se voir imputer les agissements de leurs membres s'ils se rendent coupables d'actes délictueux ou criminels.

Du côté des associations cultuelles, elles sont incitées à s’inscrire sous le régime de la loi 1905 en leur faisant peser de nouvelles contraintes en contrepartie d'avantages qui n'ont pas convaincu à ce jour les représentants des cultes compte tenu de leurs inquiétudes. Au nom de la transparence, elles sont appelés à devoir déclarer tout don provenant de l'étranger dépassant les 10 000 euros, un don auquel les autorités pourront s'opposer.

Afin de limiter l'ingérence étrangère, les préfets pourront s'opposer à la cession d’un lieu de culte à un Etat étranger « en cas de menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société ». L’article 44 élargit les motifs de fermeture des lieux de culte en instaurant une procédure de fermeture pour deux mois par les préfets des lieux théâtres de propos, idées, théories, activités incitant à la haine ou à la violence, ou tendant à les encourager.

Côté éducation, le projet de loi prévoit de renforcer les dispositifs de contrôles des écoles hors contrat pouvant mener à des mesures de fermeture administrative en cas de « dérives » mais également de réduire les possibilités d’accès à l’instruction à domicile. Bien que le gouvernement ait revu sa copie face au risque d'inconstitutionnalité avant la présentation du projet de loi aux députés, l'article 21 régulant l'instruction en famille (IEF) a suscité bien des querelles à l'Assemblée. La disposition, qui a fini par être votée en première lecture, entend soumettre les familles à une autorisation préalable de l’Etat, en lieu et place d'une simple déclaration. Une période de transition est prévue jusqu’à l’année scolaire 2024-2025 mais des contrôles devraient débuter dès la rentrée 2021 afin de s'assurer que « ce mode d'instruction ne sert pas à des pratiques séparatistes ».

L'article 4 a suscité nettement moins de remous. Adopté à une quasi unanimité, il instaure un nouveau délit de « séparatisme » en prévoyant de sanctionner de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende les auteurs de menaces, d'intimidations ou des violences envers un élu ou un agent du service public avec l'objectif de se soustraire aux règles des services publics.

Pour lutter contre la haine en ligne, l'article 18 dit « Samuel Paty » crée un nouveau délit punissant jusqu'à trois ans de prison et 45 000 euros d'amandes la mise en danger de la vie d'autrui par la diffusion, dans un but malveillant, d'informations relatives à la vie privée.

Le projet de loi vient aussi inscrire l'extension de l'obligation de neutralité, tant religieuse que politique imposée aux fonctionnaires, aux agents de droit privé chargés d’une mission de service public. Contre l’avis du gouvernement et du rapporteur général du projet de loi, deux députés LR et LREM ont réussi à faire adopter un amendement redonnant aux préfets le pouvoir d’agréer les associations sportives et non plus par les fédérations, qui devront elles aussi souscrire à un contrat d’engagement républicain.

Enfin, les députés ont voté, sans longs débats, l'interdiction des certificats de virginité, qui prévoit des sanctions allant jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende. L'interdiction de la polygamie, en vigueur en France, a été renforcée de sorte à empêcher la délivrance d'un titre de séjour aux étrangers vivant en France en situation de polygamie. Pour lutter contre les mariages forcés, les officiers d’état civil ont pour obligation de s’entretenir séparément avec les futurs époux « lorsqu’il existe un doute sur le caractère libre du consentement » et de saisir le procureur en cas de doutes.

Des mesures sources d'inquiétudes et de division

Ce projet de loi, loin de faire l'unanimité, est particulièrement pointé du doigt dans les rangs de la gauche, à l'image du chef de file de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui a dénoncé une « loi fourre-tout » ciblant les musulmans et « nous tire vers l'agenda de l'extrême droite ».

Le projet de loi suscite, en parallèle, une vive inquiétude parmi les représentants de culte, auditionnés en commission. Il en va de même parmi des organisations de la société civile, qui dénoncent un texte « liberticide ».

En face, la droite juge les mesures du projet de loi pas assez dissuasives contre « le séparatisme islamiste ». Amalgamant extrémisme, islamisme et islam, la question du voile a ainsi été remise sur la tapis avec une série d'amendements visant à interdire le port du voile à l'université et pour les accompagnatrice scolaires. Ce qui a notamment fait dire à la députée Souad Zitoun son impression d'être devant « le tribunal contre l’islam et les musulmans » dans l'hémicycle. Ces amendements polémiques, refusés par la majorité présidentielle, n'ont pas été adoptés mais le débat est malheureusement loin d'être clos.

Le projet de loi devra désormais faire l'objet d'une deuxième lecture au Sénat où la droite est majoritaire. Des parlementaires parmi Les Républicains promettent d'ores et déjà d'aller « plus loin ». La surenchère est redoutée. Rendez-vous est pris le 30 mars.

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