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Réfugiés au Canada : « compassion », sécurité et « opportunités économiques »

#WorldRefugeeDay

Rédigé par Laurent Tessier | Jeudi 21 Juin 2018 à 19:10

           

Connu pour sa forte tradition d’accueil des migrants, le Canada a su absorber, à partir de 2015, le flux massif de réfugiés, en particulier ceux qui venaient de Syrie et d’Haïti. Une intégration des « nouveaux arrivants » réussie, grâce à un système de parrainage privé où de simples citoyens s’engagent pendant un an à aider un demandeur d’asile dans ses démarches administratives. Toutefois, la politique migratoire risque de venir au centre des débats dans la période électorale qui s’approche. Explications avec Laurent Tessier, en partenariat avec l’Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions.



Accueil de la première famille de réfugiés syriens, à l'aéroport de Toronto (Canada), en décembre 2015. (photo : Domnic Santiago)
Accueil de la première famille de réfugiés syriens, à l'aéroport de Toronto (Canada), en décembre 2015. (photo : Domnic Santiago)
De part sa situation géographique et géopolitique (relativement éloignée des zones de conflits ou de pauvreté), le Canada est très peu exposé aux flux massifs et soudains de réfugiés. Le pays contrôle ainsi ceux qui sont autorisés à entrer sur son territoire et à quel moment. Au sein de la population canadienne, le sentiment d’être exposé aux dangers d’une immigration de masse n'existe pas. L’immigration est « choisie » (y compris les réfugiés) et revendiquée comme telle. Au préalable de toute demande d’asile, un contrôle de sécurité très poussé est effectué. Quant à la réussite de l’intégration des demandeurs d’asile, elle dépend essentiellement de la générosité des Canadiens, du vecteur familial (regroupement familial) et du réseau communautaire (en particulier religieux) implanté au Canada.

Une société multiculturelle, accueillante et fière…

Avec 1/5 de sa population née hors de ses frontières, le Canada contemporain est un pays d’accueil qui s’est largement construit par l’immigration. Outre cette donnée essentielle, il convient également de citer les populations autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis) dont la présence et le rôle historique font l’objet d’une reconnaissance officielle de plus en plus appuyée par les autorités politiques et la société canadiennes.

En somme, la société canadienne se définit par sa diversité, vantée par le gouvernement fédéral comme une « force ». Fiers du multiculturalisme, inscrit dans la Constitution depuis 1982, les Canadiens se font un devoir d’accueillir les « nouveaux arrivants ». Selon une enquête de 2018, ils se montrent majoritairement bien disposés à l’égard des migrants.

... Mais des inquiétudes qui soulignent les enjeux socio-politiques et culturels

Malgré cette situation positive, il ne faut cependant pas sous-estimer les positions parfois hostiles qui dénoncent, à travers l'immigration, la transformation culturelle et politique actuellement à l’œuvre au Canada. L’immigration, quels qu’en soient les motifs, n'est pas sans influence sur le paysage socio-politique canadien.

On peut par exemple penser aux réactions à la suite de l’élection de Jagmeet Singh, né au Canada, d’origine penjâbie et de confession sikhe, comme chef de l’un des trois principaux partis politiques fédéraux : le Nouveau Parti démocratique (NPD). Certaines personnalités politiques se sont montrées inquiètes vis-à-vis de ses positions quant au respect de la neutralité religieuse de l’État.

D'autre part, des intellectuels québécois, comme le sociologue et historien Gérard Bouchard (Commission Bouchard-Taylord, 2008) ou, dans un style plus revendicatif, Mathieu Bock-Côté, mettent en avant l’« interculturalisme » et le besoin d’intégration des « nouveaux arrivés » à la société d’accueil. Et cela, sans pour autant rejeter l’apport de ces derniers. Par là même, ces intellectuels engagés interrogent non seulement la nature du lien social, mais plus particulièrement ce qui unit la société canadienne (ou plutôt québécoise en l’occurrence).

Enfin, on pourrait aussi évoquer un tournant politique conservateur qui s’appuie en partie sur l’attachement de certaines populations immigrantes, davantage religieuses, à des valeurs sociales conservatrices (cf. la théorie du « Big Shift », par John Ibbitson).

Les réfugiés et l’immigration au Canada, quelques chiffres récents

En moyenne, la proportion de réfugiés s’établit autour de 10 % à 15 % du nombre total annuel d’immigrants. En 2016, selon un rapport annuel remis au Parlement, sur les 300 000 migrants arrivés sur le sol canadien, près de 62 000 (soit 20 %) étaient considérés comme des réfugiés. Cette hausse s’explique principalement par la politique migratoire adoptée par le gouvernement de Justin Trudeau en faveur des réfugiés syriens.

Mais, de manière générale, depuis 2015, on observe une hausse significative du nombre d’« immigrants reçus » (à qui on a accordé le droit de résider), toutes catégories confondues : (dans l’ordre d’importance) immigrants économiques, regroupements familiaux, réfugiés et « cas humanitaires ».

Les piliers du système d’immigration canadien : compassion et économie

Lors de son discours d’assermentation en novembre 2015, le Premier ministre libéral, Justin Trudeau, a défendu l’idée d’« un système d’immigration qui aura pour piliers la compassion et les opportunités économiques ». S’il est vrai qu’en matière d’accueil des réfugiés, la compassion et l’urgence humanitaire constituent le moteur de l’action du gouvernement canadien, il ne faut pas pour autant sous-estimer l’argument économique. L’immigration est une nécessité pour le développement du pays.

En effet, malgré la situation économique actuelle favorable, les perspectives à moyen terme sont assombries par un énorme défi : trouver de la main-d’œuvre. Le nombre de postes vacants atteint des sommets ces derniers mois. En cause : « un taux de chômage à moins de 7 %, un taux de natalité faible et de nombreux baby-boomeurs qui partent à la retraite ». Les immigrants, y compris les réfugiés, représentent donc une manne bienvenue pour le Canada.

Une politique migratoire qui reflète l’évolution des intérêts et de la mentalité d’un pays

Lorsque l’on survole l’histoire de l’immigration au Canada, on remarque assez aisément que les vagues successives de « nouveaux arrivants » sont très liées à l’actualité internationale (en particulier aux conflits et aux persécutions des minorités).

Par ailleurs, cette histoire permet de dresser « un tableau assez précis des attitudes raciales ou des préoccupations courantes en matière de sécurité nationale » et donc de nuancer une vision parfois idéalisée (cf. l'ouvrage d’Houda Asal, Se dire arabe au Canada. Un siècle d'histoire migratoire, PUM, 2016).

En effet, le Canada a aussi « assujetti [l’immigration], sans le moindre scrupule, aux propres intérêts économiques du pays et souvent à des politiques outrageusement discriminatoires sur les plans ethnique et racial ».

La clé du succès : le système du parrainage privé

Dans les années 1970 (1978 et 1981), des dizaines de milliers de Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens qui fuyaient la dictature communiste sont arrivés au Canada. Face à ces arrivées massives, le Canada a mis en place le système du parrainage privé pour faciliter l’« intégration » des réfugiés.

Ce système repose sur le volontariat citoyen : un simple citoyen a la possibilité d’accueillir un demandeur d’asile (ou une famille) avec lequel il a au préalable tissé des liens de confiance. Ainsi, il doit en assumer la pleine responsabilité pendant un an : l’aide sociale, la recherche de travail, l’ouverture d’un compte bancaire, les cours de langue (la « francisation » au Québec), l’inscription à l’école pour les enfants, etc.

Par le parrainage privé, le réfugié accueilli bénéficie d’un environnement familial et canadien qui lui permet de trouver plus facilement la stabilité et la confiance nécessaires pour s’investir dans la société d’accueil envers laquelle il se sent redevable. Ce système qui vient s’ajouter au traditionnel parrainage par l’État, bien moins efficace en termes d’intégration (car essentiellement porté sur l’apprentissage de la langue), continue encore aujourd’hui de faire ses preuves.

2015, un effort du gouvernement canadien pour l'accueil des réfugiés syriens

En 2015, la mort du petit Syrien Aylan Kurdi, retrouvé mort sur une plage de Turquie, provoque un scandale au Canada. Ses parents avaient en effet demandé l’asile au Canada, où se trouvait déjà des membres de la famille, mais leur demande avait été refusée. Par la suite, le gouvernement canadien a décidé d’agir et de prendre les devants non seulement en optant pour une simplification de la procédure d’asile pour les Syriens, mais aussi en instaurant un véritable pont aérien. Pendant près de trois mois, 600 fonctionnaires canadiens ont été envoyés au Liban, en Jordanie et en Turquie pour faciliter et garantir le transfert de réfugiés vers le Canada. Grâce à ces efforts et au parrainage privé, ce sont près de 35 000 Syriens qui ont obtenu la résidence permanente au Canada en 2016.

2017, la crise survient… des États-Unis

En 2017, le président des États-Unis, Donald Trump, a décidé de mettre fin au statut de protection temporaire qui permettait à près de 60 000 Haïtiens, depuis le drame du séisme de 2010, de résider et de travailler sur le sol américain. Inquiets face à la perspective d’être expulsés et de devoir retourner vivre dans un pays à l’équilibre social et politique précaire, plusieurs centaines d’Haïtiens ont franchi, parfois de manière illégale (entre les postes-frontières, par des sentiers de forêt dans des conditions climatiques peu propices), la frontière canadienne. D’autres, d’origine syrienne, yéménite ou encore afghane, ont fait de même.

À l’été 2017, la situation a atteint son paroxysme. Les autorités et les douaniers québécois – les plus exposés à l’afflux de cette population aux frontières Québec-États-Unis – ont craint momentanément d’être débordés. Pour symbole, on retiendra que des abris temporaires (tentes) ont été dressés aux abords des postes de douanes, ou encore que le stade olympique de Montréal, objet de fierté pour les Montréalais, a été réquisitionné et transformé en centre d’accueil d’urgence pour les populations haïtiennes arrivées depuis les États-Unis.

Cette situation, assez inédite, a suscité de nombreux débats : la situation a-t-elle été sous-estimée par les autorités ? Les craintes de débordements sont-elles justifiées ? Le résultat est que d’important retards dans le traitement des demandes sont à observer et que dans le même temps des quotas d’accueil doivent être respectés. Le gouvernement fédéral a réagi par une campagne d’information directement sur le sol des États-Unis, visant à dissuader les populations concernées de venir au Canada à cause du grand risque d’expulsion en cas d’arrivée irrégulière sur le territoire.

Les centres et solidarités communautaires ont fortement contribué à résorber la crise

Malgré cette agitation, il faut cependant reconnaître que la situation des réfugiés haïtiens à l’été 2017, notamment à Montréal, s’est rapidement apaisée. Cela est en grande partie dû aux liens de solidarité communautaires au sein des réseaux d’Églises haïtiennes. Les communautés de croyants, évangéliques et catholiques, ont par exemple permis à certains d’intégrer leur organisation, leur fournissant ainsi du travail, et de manière générale de trouver un repère pour mieux s’orienter dans la société québécoise.

Il ne s’agit pas là pour autant d’une nouveauté imposée par l’urgence de la situation. La tradition d’accueil demeure très forte, notamment grâce au volontarisme et à la générosité d’organismes de la société civile. L’une de ces organisations les plus emblématiques est certainement le Centre Afrika de Montréal.

Conçu à la fin des années 1980 par les Missionnaires d’Afrique (les « Pères Blancs »), le Centre Afrika a pour mission d’« accompagner toute personne liée au monde africain (au sens large) en vue de faciliter son intégration dans la société québécoise et contribuer ainsi à son enrichissement ». Il offre un véritable « service d’accueil et d’orientation » en lien avec le tissu associatif montréalais et les organismes compétents en matière d’immigration. Les « nouveaux arrivants » peuvent ainsi bénéficier aussi bien de conseils très pratiques pour l’adaptation à la vie quotidienne au Québec (exemple : comment cuisiner avec les aliments locaux, comment manger équilibré pour subsister dans un pays où le climat est radicalement différent ? etc.), que des événements de sensibilisation à l’interculturel et à l’interreligieux.

Des débats et des tensions à scruter à l'approche des élections provinciales et générales

À l’issue de ce survol de la situation des réfugiés au Canada, et plus particulièrement au Québec, on peut estimer que le « modèle » migratoire canadien fondé sur une forte tradition d’accueil fonctionne.

L’afflux massif de réfugiés observé en 2017, ainsi que les mesures de facilitation des demandes d’asile pour les réfugiés syriens ne semblent pas l’avoir déstabilisé outre mesure. Cependant, à l’approche des prochaines élections provinciales (pour le Québec, automne 2018) et générales (automne 2019), il est important de suivre avec attention le débat public (et les tensions qui se font jour) autour de la question des réfugiés et plus largement de l’immigration. Cette problématique fera sans nul doute l’objet d’intenses discussions.

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Doctorant en sciences des religions (EPHE, Université de Montréal), titulaire du master Conflictualité et médiation (Université catholique de l’Ouest) et du master Religion et laïcité dans la vie professionnelle et associative (Institut européen en sciences des religions, EPHE), Laurent Tessier a rejoint l’Observatoire Pharos en juin 2017 pour y mener un travail d’analyse sur le Canada, l’étendue de la diversité culturelle et religieuse et les diverses problématiques liées.

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