Alors que les acteurs économiques musulmans de France toisent encore le public du Net, M. Gafouri, PDG du Groupe Halal Trade accorde beaucoup d’intérêt aux internautes. Déjà connu des fidèles de Oumma.com, le label C-Halal de GHT a bien voulu tenter avec Saphir Médiation (www.saphir-mediation.com) , l’aventure de vivre l’Aïd autrement. L’occasion rêvée de lever un léger pan du voile opaque qui entoure la sensible question du Halal en France. Au lendemain du 3e Salon France Maghreb, M. Gafouri a bien voulu nous accorder quelques précieuses minutes de conversation. Halal ou pas Halal ? La question est déjà presque caduque.
Au 3e salon France Maghreb qui s’est tenu les 8 et 9 janvier dernier à Paris, vous avez reçu un trophée. Quel sens donnez-vous à cette récompense.
Les organisateurs du Salon ont trouvé que nous étions de ceux qui ont présenté de la nouveauté lors de ce Salon. Nous avions présenté le système de traçabilité Halal. Les visiteurs du salon ont massivement apprécié notre système. Ils ont trouvé qu’un tel système convenait à la communauté musulmane. Mais pour nous, au delà ce trophée, il était intéressant de participer à ce rendez-vous. Parce que nous avons rencontré de jeunes cadres très sensibles à nos produits et très surpris de découvrir notre méthode de travail. Il est vrai que le salon était petit mais il était bien organisé. Le public qui a fait le déplacement était intéressé. Notre stand était très visité et très apprécié. Les organisateurs ont trouvé que notre animation autour de la traçabilité Halal et la dégustation que nos produits ont apporté une touche spéciale au Salon.
Qu’est ce que la traçabilité Halal ?
Cela fait vingt-cinq ans que nous commercialisons des « produits ethniques ». Et, depuis près de quatorze ans, nous travaillons dans les produits Halal destinés à la communauté musulmane. Nous avons fait beaucoup de projets en vue d’arriver à un système qui convienne aux réalités européennes tout en restant conforme aux prescriptions de l’Islam. Un système qui soit aussi adapté au commerçant et à l’industriel. C’est après plusieurs tentatives que nous sommes parvenus à un produit satisfaisant.
Dans les années 80, nous avons participé au consistoire islamique avec d’autres personnes intéressées par le Halal. Notre objectif était de voir la naissance d’un système qui soit global, fiable et adaptable dans les abattoirs et dans le process de fabrication. Nous ne sommes pas parvenus à trouver ce système. Nous avons ensuite essayé avec les commerçants, les syndicats, les organismes de contrôle. Mais ce fut sans succès. Nous avons fini par penser que la meilleure solution était de trouver un système capable de prouver et de valider une pièce. Avec un tel système, nous savions que nous pouvions suivre le processus Halal depuis l’origine de l’animal jusqu’au produit fabriqué. C’est ainsi que nous en sommes arrivés au système actuel.
Qu’est-ce que votre système apporte de plus ?
L’innovation est que notre système de traçabilité est à la fois externe et interne. Il faut savoir que dans chaque unité de fabrication, le fabriquant est tenu de laisser des traces de sorte que, s’il y a un problème sanitaire ou un problème quelconque, les services compétents de l’Etat soient capables de suivre le process de fabrication du produit incriminé. Cela constitue la traçabilité interne. Elle est une obligation pour chaque fabriquant. Mais jusqu’alors, il n’y a pas de traçabilité externe. C’est à dire qu’il n’y a pas de système permettant au consommateur de suivre le produit acheté, de A à Z.
Nous sommes les premiers à mettre au point la traçabilité externe. Le consommateur est capable de suivre nos produits de l’origine jusqu’au produit fini. Il peut connaître l’origine de l’animal. Il peut savoir comment il a été abattu, s’il a été orienté vers la Mecque, si le matériel utilisé était propre et purifié, si les produits ajoutés sont Halal, s’il n’y a pas d’ajout de produits Haram, s’il n’y a pas de
Celui qui achète un de vos produits peut suivre tout cela maintenant ?
Oui, il peut le suivre dès le lendemain de la fabrication. Il peut savoir où le produit a été fabriqué. Il peut connaître le mode de purification de l’animal, l’origine de la bête, de sa mère et comment elle a été sacrifiée… Tout le process peut être connu en se connectant par Internet sur www.c-halal.com Pour la viande hachée par exemple, le consommateur peut savoir le nombre de bêtes à partir desquelles la viande hachée a été préparée. Un numéro de lot se trouve sur nos barquettes de viande, vendues en grandes surfaces. C’est ce numéro qui permet de voir tous ces renseignements en se connectant sur l’Internet. Il faut dire que tout le process se passe en la présence effective obligatoire d’un organisme de contrôle indépendant (Muslim Conseil International). De l’entrée de la bête jusqu’à la fabrication de produit. L’organisme de contrôle indépendant valide un cahier de charge correspondant à la jurisprudence industrielle. Nous avons donc la traçabilité de l’abattoir et la traçabilité de l’organisme de contrôle. Mais en plus, nous avons créé spécialement une société reconnue par l’Etat et qui a pour charge de comparer les fichiers en provenance de l’abattoir et les fichiers en provenance de l’organisme de contrôle avant de valider nos produits. En cas de discordance entre ces deux fichiers, le produit ne sort pas de l’abattoir. Si les deux fichiers concordent en tout point, la société délivre un certificat. Nous avons donc les informations de cet organisme et les informations de l’abattoir. Il y a donc une sécurité totale pour obtenir un produit de qualité suivant un cahier de charge strict qui convient à toute la communauté musulmane.
Je n’imaginais pas un système de contrôle aussi complexe et je me demande soudain : mais pourquoi toutes ces précautions ?
En réalité, le Halal n’est pas quelque chose de compliqué. Mais lorsqu’un musulman pose un acte religieux, comme le Woudou (ndr : les ablutions rituelles), la prière ou tout autre acte, il se doit de le faire de la meilleure façon. « Il faut adorer Dieu de la meilleure adoration ». Or il nous est ordonné de manger Halal. Ce qui en fait un acte d’adoration. Comme il faut adorer Dieu de la meilleure adoration, nous essayons vraiment de ne rien négliger et de nous assurer que nous avons fait tout ce qu’il faut dans les règles. Le système de traçabilité actuel nous permet de donner un produit de bonne qualité. Nous devons aussi assurer la clientèle et lui permettre d’adorer Dieu de la meilleure adoration.
Nous pensons aussi que le Halal est une responsabilité. Comme cette responsabilité est aussi l’objet de notre commerce, nous devons être sûrs qu’il n’y a aucune dérive, aucune tricherie dans l’accomplissement de cette responsabilité. On peut trouver des dérives dans le Halal, dans certains pays musulmans à cause du manque de contrôle et de l’usure des habitudes. Mais ici, nous vivons dans un pays où le Halal n’est pas une habitude. C’est toute une démarche pour y accéder. Donc nous avons pensé que ce système est celui de l’avenir. Parce que ce système est transparent. Et il nous est demandé la transparence dans toutes nos actions d’adoration.
Ma surprise est que ces contrôles s’ajoutent à la traçabilité externe dont vous parlez…
C’est notre participation afin que celui qui le désire, assume la responsabilité de manger Halal par lui même. Parce que le Halal est une question de responsabilité personnelle. Comme il n’y a pas de réglementation aujourd’hui qui punisse les commerçants qui trichent, nous sommes obligés de prendre le maximum de précaution pour donner la possibilité à chaque consommateur de choisir lui même le chemin du Halal. La plupart des gens se fondent actuellement sur la confiance en leur boucher.
Mais la problématique du contrôle n’est pas nouvelle en Islam. Il y a le système de Isbah avec des contrôleurs qui sanctionnent les fraudeurs dans chaque corps de métier. Cela est de la responsabilité de la communauté musulmane. En attendant, nous prenons nos responsabilités. Car travailler dans le Halal est une grande responsabilité.
Nous avons l’habitude d’entendre les Musulmans émettre des doutes sur la qualité de la viande Halal en France. Un système comme le vôtre redonne confiance.
Notre souhait est que notre système puisse rassurer le consommateur. En lui proposant, comme je vous l’ai dit, que chaque produit qu’il achète soit tracé. Et je pense que cela devrait être une obligation. C’est pourquoi je dis que ce système est un système d’avenir. Nous sommes certes les premiers. Nous le lançons. Et nous pensons que d’ici quelques temps, ce système sera obligatoire pour la communauté musulmane. Demain, chaque père de famille musulman sera capable de demander la traçabilité des aliments qui sont servis à son enfant à la cantine. On peut aussi étendre cette perspective à l’hôpital et à l’ensemble des espaces de collectivité. De sorte que les musulmans puissent manger en toute tranquillité.
Comment en êtes vous arrivé à l’opération « mouton sans soucis » ?
Avoir le sacrifice pour l’Aïd el-Kébir est plus qu’un souci pour les musulmans en France. C’est l’une des grandes préoccupations ! Habituellement, chacun veut voir l’agneau qu’il achète. Il veut l’égorger lui-même ou il veut s’assurer que l’agneau est sacrifié en son nom. Malheureusement il y a beaucoup de tricherie et les gens deviennent encore plus méfiants. Chaque année, au mois de Ramadan, il y a un réel enthousiasme pour les produits Halal. On retrouve le même enthousiasme pour le Halal à l’occasion de l’Aïd el-Kébir. Les gens veulent s’assurer que leur agneau est sacrifié selon les règles… Certains ne sont pas rassurés à moins qu’ils égorgent eux-mêmes leur bête. J’ai même entendu parfois des gens dire qu’on ne peut pas véritablement faire le Halal ici en France ! Donc cette mentalité provient du manque de confiance. Il fallait faire quelque chose tôt ou tard.
Mais il y a le manque d’infrastructures aussi
Dans la pratique ce n’est pas facile. Mais, il y a plus d’un million de pèlerins à la Mecque. On sait que ces pèlerins accomplissent le rituel du sacrifice qui est assez important pour le pèlerinage. On sait aussi que chaque pèlerin délègue quelqu’un pour sacrifier son mouton en son nom. Un tel système n’existe pas ici en France. En plus, il n’y a pas suffisamment d’abattoirs mis à disposition. Pour des raisons sanitaires, on ne peut pas sacrifier les moutons sauvagement. Beaucoup de musulmans éprouvent des difficultés à faire leur sacrifice.
Avec le système de traçabilité, le musulman sera tranquille. Il saura que l’agneau acheté sera égorgé en son nom. Cette année est une première expérience et nous espérons faire mieux l’année prochaine, Inchallah. Nous espérons même que la personne puisse suivre par l’Internet, si elle le désire, la scène du sacrifice. Elle pourra entendre l’énoncé de son nom si elle le veut. Elle pourra suivre toute l’opération par l’Internet, comme si elle y était. Si la communauté soutient cette opération, notre souhait est de pouvoir fêter l’Aïd de manière moderne en gardant tout le caractère religieux de cette fête sans avoir le cœur chargé des questions de moutons.
Ce projet est très enthousiasmant. Comment en êtes-vous arrivés à le concevoir ?
J’ai un doctorat en économie. Je suis spécialisé dans la Programmation Linéaire et la Recherche Opérationnelle. Je me suis spécialisé dans Les structures de l’Economie Islamique. J’ai publié ma thèse aux éditions Al Bouraq. C’est donc vous dire que ce n’est pas un hasard si je m’occupe de lancer des structures comme celle dont nous parlons.
Mais l’économie est un vaste domaine. Comment en êtes vous arrivés à vous occuper du Halal ?
L’idée de m’occuper de produits Halal remonte à la fin de l’année 86. A l’époque, nous avions un magasin dans le 18e arrondissement de Paris d’où nous approvisionnions des commerçants dans le quartier de Barbes. A ces occasions, je voyais beaucoup de musulmans très pieux mais qui mangeaient des produits que je ne pouvais pas consommer parce que je les trouve illicites. J’étais intrigué par ces gens qui faisaient régulièrement la prière et qui ne voyaient pas d’intérêt à se nourrir de produits qui sont licites. Je me demandais vraiment comment cela était possible. Et de fil en aiguille j’en suis arrivé à me demander pourquoi je ne leur proposerais pas des produits Halal. C’est ainsi que je me suis renseigné et que j’ai commencé à commercialiser des produits Halal certifiés. C’est de là que vient mon idée du Halal. Nous avons commencé avec les raviolis « Dounia Halal » et quelques autres produits pour en arriver aujourd’hui à la viande tracée.
Et pour l’Aïd el-Kébir ?
L’opération « le mouton sans soucis » en ce mois de l’Aïd, est une suggestion des membres de l’association Saphir Médiation (www.saphir-mediation.com), organisme qui édite le site d’actualité SaphirNet.info Ils ont eu connaissance de notre projet de traçabilité et ils nous ont proposé que nous mettions en place un système pour rendre l’Aïd plus facile. Leurs responsables nous ont
L’an dernier, il nous a été donné de participer à une réunion organisée par le Préfet de la Seine Saint-Denis pour nous informer des conditions d’organisation de l’Aïd dans le département. Avec les encouragements des responsables de Saphir Médiation, nous avons finalement proposé, lors de cette réunion, de mettre en œuvre un autre mode d’organisation de l’Aïd. Nous espérons progressivement parvenir, d’ici l’année prochaine, Inchallah, à un vrai partenariat avec les abattoirs, les personnes impliquées dans l’organisation avec un projet plus complet pour aider la communauté musulmane. L’objectif étant de simplifier l’Aïd et éviter de le réduire à une simple question de mouton mais de lui redonner toute sa dimension. Malheureusement, aujourd’hui, pour beaucoup de personnes l’Aïd se limite au sacrifice du mouton. Il en perd toute sa dimension de souvenir, son aspect de fête des enfants… Ce n’est pas la « fête du mouton », c’est quand même l’Aïd el-Kébir (ndr : la grande fête). Nous espérons en arriver à éviter les abattages sauvages. Et instaurer un moment de religiosité effectif dans un système moderne. Chaque famille pourra avoir son agneau sacrifié en son nom et le recevoir chez lui sans s’inquiéter. La famille pourra garder son esprit libre pour aller à la prière et partager de bons moments en ensemble, tranquillement.
Il reste qu’il faut sacrifier le mouton seulement après la Salat de la fête. Le délai de livraison peut inquiéter les musulmans.
Beaucoup de gens pensent que l’Aïd se limite en un seul jour. Peu de gens savent qu’il s’étend sur trois jours. Si nous sacrifions le mouton le premier jour, nous prévoyons de le livrer le même jour ou le lendemain. Cette année, l’Aïd est prévu le dimanche (ndr : 1er février 2004). Les abattoirs sont normalement fermés. Quelques uns vont avoir une dérogation. Mais nous pouvons sacrifier les moutons le lundi et le livrer soit le lundi, soit le mardi matin. Cela est autorisé par l’Islam. Malheureusement, les gens ne le savent pas. J’espère que la communauté nous suivra, Inchallah.
Propos recueillis par Amara Bamba